NETTALI.COM - La phrase prononcée par le président de la république résume l'état d'esprit dans lequel, il se projette désormais. Pour habiller son vœu cher du moment, le président Sall a à nouveau convoqué le dialogue politique. Ce fameux concept fourre-tout dans lequel, il a cette fâcheuse tendance à enrober tout ce qu'il voudrait voir se réaliser en termes de subterfuges politiques. Le président de la République a ainsi demandé au Garde des Sceaux, ministre de la Justice, lors du conseil des ministres de mercredi 28 septembre "d'examiner dans les meilleurs délais, les possibilités et le schéma adéquat d'amnistie pour des personnes ayant perdu leurs droits de vote."
L'amnistie, ce bon vieux mot est si souvent utilisé sous nos cieux depuis les affaires Karim Wade et Khalifa Sall. Il y a eu bien évidemment des précédents. Utilisé, semble-t-il dans son sens générique, l'amnistie en question peut être vue suivant trois hypothèses possibles :
La première consiste à soit avoir recours à la révision du code électoral qui avait introduit la disposition selon laquelle, il fallait être électeur avant d'être éligible. Or le même code électoral dispose qu'on ne peut pas s'inscrire sur les listes électorales lorsqu'on est condamnés pour des infractions liées à des deniers publics ;
la deuxième hypothèse consiste en une loi de réhabilitation qui vise des personnes. Dans ce cas d'espèce, Khalifa Sall ou Karim Wade recouvre ses droits civiques et politiques, même si leur condamnation reste intact.
la troisième hypothèse qui est l'amnistie au sens juridique du terme et qui est de loin la plus plausible, efface l'infraction pour laquelle, ils ont été condamnés. Dans ce cas, en plus de recouvrer leurs droits civiques et politiques, l'infraction est effacée de leur casier judiciaire car elle est censée n'avoir jamais existé. Ce qui plaide d'autant plus en faveur de cette hypothèse là, c'est qu'au-delà de ces deux hommes politiques, une amnistie pourrait profiter aux tenants actuels du pouvoir.
Tout cela prouve d'une certaine manière que nos sous ne sont pas en sécurité et qu'ils peuvent continuer à être dilapidés. C'est en tout cas le signal que l’on vient de donner aux Sénégalais, à la suite du 1er conseil des ministres de l'ère du gouvernement Ba.
Karim Wade et Khalifa Sall vont s’en tirer à bon compte. Ismaïla Madior Fall, réhabilité à son poste de ministre de la Justice, son rôle de conseiller niché au palais ne suffisant plus, il est chargé de s’exécuter dans les plus brefs délais. N’est-ce pas un gouvernement de combat ou plus exactement « fast track » ?
Juste rappeler que Khalifa Sall a été condamné à cinq ans de prison et cinq millions d’amende dans l’affaire de la caisse d’avance de la mairie de Dakar ; et Karim Wade, en exil au Qatar, a lui écopé de six ans de prison et 138 milliards Fcfa d’amende pour enrichissement illicite.
Eh bien, tout cela risque d'être passé par pertes et profits. Difficile à croire au regard de tout ce qu’on a pu émettre comme critiques contre la Cour de Répression de l’Enrichissement illicite (Crei) d’ailleurs disparue des esprits et dans les faits ; et surtout de la polémique sans fin entretenue sur des commission rogatoires et autres saisies immobiliers et remboursements sans traces ! Tout ce tintamarre et ce brouhaha vont hélas se dissiper comme la poussière avant la pluie. Mais, en dépit de tout ce que l’on peut dire sur le bien-fondé ou non de leur culpabilité, la justice les a quand même déclarés tous les deux coupables de ce qu’on leur reproche.
Même la manière dont ils ont été graciés, montre que l'on utilise les voies judiciaires pour condamner des citoyens, mais aussi pour narguer le peuple avec un espace public mobilisé pendant des mois, dans un tintamarre incroyable, question à l’époque de faire accréditer et valider l’idée de détournements opérés sur nos maigres deniers. C’est hélas toujours le peuple qui trinque. Le peuple, cette sorte de dindon permanent de la farce ! Qu’est-ce qu’il était rocambolesque l’épisode de la libération de Karim Wade ! De voir un prisonnier cueilli de Rebeuss direction l'aéroport, puis interdit de séjour au Sénégal. Du jamais vu ! Peu scrupuleux dans la manière, moche dans l’acte et honteux pour ce qui risque de suivre !
Ce qui paraissait jusqu’ici évident à nos yeux de pauvres analystes de la politique, va bientôt être une réalité. Karim et Khalifa ou plus exactement les faits les concernant, vont être amnistiés ! Macky Sall semble, à l’épreuve des faits qui s’imposent à lui, n’avoir d’autre choix que de barrer la route à Ousmane Sonko qui prend, depuis l’élection de 2019 du volume ; tandis que lui en perd de manière vertigineuse. Le dossier Adji Sarr, rangé dans les tiroirs, commence à s’y éterniser et l’on voit mal la justice le dépoussiérer et se mettre à organiser à nouveau un ballet devant le juge d’instruction qui avait déjà interrogé des concernés par le dossier.
Diviser pour mieux régner, c’est le nouveau combat de Macky avec son gouvernement de combat. A-t-il vraiment le choix ?
Retenons juste un fait inédit. Une loi d’amnistie pour des personnes condamnées pour des délits économiques et financiers serait une première au Sénégal. En général, la mesure vise plutôt les crimes politiques comme la loi d’amnistie de 1990 (crise casamançaise) et celle de 2005 (troubles post-électoraux de 1993 avec l'assassinat de Me Babacar Sèye) qui avait profité à Clédor Sène et Cie.
Toutefois, que Nafissatou Diallo, tout porte-parole du Pds qu’elle est, se répande en refus de toute amnistie dans la presse, pour ne pas accréditer l’idée d’une culpabilité de Karim Wade, n’est finalement que de la surenchère politicienne. Karim ne peut refuser de bénéficier d’une amnistie, si d’aventure les faits le concernant venaient à être visés par cette prérogative légale.
D’ailleurs, la manière dont la loi est libellée ne lui donne aucun choix. A titre d’exemple, la loi N° 2005-05 du 17 Février 2005 portant loi d’amnistie (dont avait bénéficié Clédor Sène et Cie) était ainsi rédigée : «sont amnistiées, de plein droit, toutes les infractions criminelles ou correctionnelles commises, tant au Sénégal qu’à l’étranger, en relation avec les élections générales ou locales, ayant eu une motivation politique, situées entre le 1er Janvier 1983 et le 31 Décembre 2004, que leurs auteurs aient été jugés ou non. L’amnistie de l’infraction entraîne sans qu’elle puisse jamais donner lieu à restitution, la remise totale de toutes les peines principales, accessoires et complémentaires, ainsi que la disparition de toutes les déchéances, exclusions, incapacités et privations de droits attachées à la peine».
En procédant ainsi Macky Sall ne fait que couper l’herbe sous les pieds à une opposition désormais consciente de sa force - face à une majorité chancelante de Macky Sall- qui a toujours nourri le vœu de voter une loi permettant à Khalifa et Karim de recouvrer leurs droits civiques et politiques.
Une option qui peut toutefois jouer des tours au président Sall s’il espère affaiblir Ousmane Sonko en divisant l’opposition dans une logique d’éparpiller les voix, dans le cadre d’une présidentielle qu’il est désormais difficile de gagner au 1er tour. Qu’il soit candidat ou pas, le risque Sonko est toujours présent. Une sacrée grosse épine dans son pied, surtout avec un peuple si fasciné par les victimes et enclin à les soutenir. Un avenir en somme bourré d’incertitudes malgré des possibilités d’artifices. Le pire est que la situation du pays que vient de déclarer la Banque mondiale, est si peu reluisante au niveau économique. La perspective d’une galère bien plus aiguë que vont devoir affronter les Sénégalais, malgré le gouvernement de combat, les concertations sur la vie chère et autres.