NETTALI.COM - Un sacré bordel que cette affaire de supposé viol opposant Ousmane Sonko à Adji Sarr ! Elle est partout et a charrié tellement d’émotions, de spéculations et de passions qu’on ne sait plus quoi croire et quoi comprendre. Tous les Sénégalais sont désormais passés spécialistes es-procédure pénale, après avoir passé le cap de constitutionnalistes hors pair. On se croirait en ces temps de Can où tout le monde est entraineur de foot !
Toujours est-il que cette audition tant attendue, que beaucoup souhaitaient de leur vœu, a finalement eu lieu après que le Journal Enquête a vendu la mèche de l’audition, finalement repoussée, avant d’être fixée à ce fameux jeudi 3 novembre.
Le déploiement des forces de l’ordre dans la capitale était en tout cas bien impressionnant avec ces artères inaccessibles de la capitale, des écoles désertées, les magasins Auchan surveillés comme du lait sur le feu, une circulation bien fluide, des gendarmes armées jusqu’aux dents. Un dispositif sécuritaire sans précédent qui laissait toutefois entrevoir des possibilités de débordements et de violence. Le syndrome des événements de mars planait. Mais autour de la fin de journée, beaucoup de ceux qui craignaient une réédition des violences et saccages de commerces, ont fini par pousser un grand ouf de soulagement.
Il est vrai que l’appel d’Ousmane Sonko, en direction de ses camarades de coalition et de ses partisans, aura beaucoup participé à calmer les esprits et les ardeurs. Mais, pour qui connaît le degré de motivation de tous ceux-là qui pensent qu’il est victime de complot, c’était presque mission impossible que de leur demander de rester chez eux. Aussi sur le chemin du tribunal vers la fin de matinée, des groupes éparpillées sur de nombreuses artères de la capitale, ont-ils été aperçus sur le passage du convoi du leader de Pastef. Mais à l’issue, le grabuge tant redouté, n’aura pas eu lieu. Auditionné par le juge Amadou Maham Diallo, Ousmane Sonko est ressorti du tribunal après 3 tours d’horloge du tribunal.
Mais quid de l’audition dans le bureau du juge d’instruction ? Faite en présence du 1er substitut du procureur, Amary Diouf, et des avocats d’Ousmane Sonko, le mis en cause, selon certaines confidences, a réfuté toute conjonction sexuelle et réaffirmé s’être rendu dans ce salon uniquement pour une séance de massage. Tout au plus, il déclarera être victime d’un complot ourdi par Macky Sall, Serigne Bassirou Guèye, (ancien procureur de la république), le Général Moussa Fall (patron de la gendarmerie), Mamour Diallo, Maître Dior Diagne, le Commandant Abdou Mbengue (patron de la Section de recherches au moment des faits) et l’avocat Maître Papa Mamadou So, etc. Un « complot » qu’il a tenté de prouver en remettant ce qu’il considère comme le PV original et un rapport d’enquête interne de la gendarmerie, non sans citer les confidences d’un certain Ridial, tout en accablant l’ancien procureur de la république d’avoir « fabriqué un PV ».
Très offensif, selon les mêmes confidences, le leader de Pastef refusera de répondre aux questions du parquetier présent, qu’il considère comme «un membre du complot». Ousmane a même estimé que toutes ces personnes qu’il a citées comme faisant partie du complot, doivent comparaître comme témoins, dans cette affaire.
Interrogé sur la possibilité de se soumettre à un test d’Adn par le juge d’instruction, Ousmane Sonko a répondu qu’il ne donnera pas son sang à des comploteurs.
Réaction de ses conseils qui ont pris la parole, à l’issue de l’audition. Les avocats d’Ousmane Sonko ont refusé de s’exprimer sur son contenu et se sont félicités de la posture adoptée par leur client.
Me Bamba Cissé a par exemple affirmé que « le viol est inexistant, en l’espèce ». Lui et ses collègues ne s’attendent qu’à un non-lieu. L’avocat est même catégorique et pense tout simplement qu’il n’y a pas une once d’élément pouvant accréditer la thèse même d’un acte consenti entre les deux personnes majeures, à fortiori d’un viol concluant que « les faits tels qu’ils découlent de la procédure, n’admettent aucune qualification de droit».
Quid de la suite dans cette affaire ? Un autre avocat d’Ousmane Sonko, Me Étienne Ndione a lui renseigné que le juge a, s’il le souhaite, la possibilité de convoquer une nouvelle fois, son client pour une confrontation. Mais il s’empresse de préciser que son client doit au préalable recevoir une notification. Ce qui n’a pas été fait, jeudi à la fin de l’audience d’instruction, précisant toutefois que cela pourrait se faire dans les jours à venir. Maitre Ndione a toutefois expliqué que la confrontation n’est pas nécessaire, mais possible, dans le cadre de cette procédure.
Que de spéculations et de commentaires profanes sur ce sujet ! Car quoi que l’on en dise ou que l’on en pense, le droit a été bien chahuté ces dernières années, au point de passer pour une matière interprétable au gré des intérêts du moment. Les constitutionnalistes et les spécialistes nous ont décidément habitués à des analyses diverses et variées, à un point tel que des citoyens ordinaires se sont désormais crus compétents en la matière. Mais malgré tout ce brouhaha, le droit reste une matière technique qu’il n’est pas donné à n’importe qui de l’apprécier et de comprendre les procédures. D’ailleurs, la faculté qui l’enseigne est bien dénommée « Faculté des sciences juridiques et politiques ». Le droit est donc une science ésotérique qu’il faut apprendre pour pouvoir l’interpréter. Il a son propre langage et le sens des termes utilisés, peuvent différer du sens littéral. Lorsque par exemple un littéraire comprend par le terme «auteur», celui qui a écrit un livre, le juriste lui, dira que l’auteur, est celui qui a commis une infraction : l’auteur d’un viol par exemple. Tout cela pour dire que le droit n’est pas une affaire de bon sens. Ce sont des concepts, des articles, des procédures et un lexique à assimiler avant de pouvoir en parler, sans induire les gens en erreur.
Que certains en arrivent à spéculer au point de déclarer que la prochaine étape, sera la confrontation entre Adji Sarr et Ousmane Sonko, ils n’en savent fichtrement rien. Même si cela peut être nécessaire à la manifestation de la vérité, au regard des divergences profondes entre l’accusatrice et l’accusé, aucune disposition n’oblige le juge d’instruction à organiser une confrontation. Que certains pensent que le capitaine Touré devrait être entendu, son audition peut ne pas être nécessaire et ne relèverait que de la seule discrétion du juge, pour ne pas dire son appréciation personnelle, motivée que par un besoin impérieux d’éclairages supplémentaires.
Le déroulement de cette affaire montre qu’on n’est pas encore sorti de l’auberge. En effet, tous ces dossiers politico-judiciaires semblent accréditer l’idée que notre justice doit être réformée pour retrouver la confiance des sénégalais. La vérité est que tant que le cordon ombilical entre l’exécutif et le judiciaire à un point tel que le président de la république et le ministre de la justice ne soient plus impliqués dans la gestion des carrières des magistrats, il sera toujours difficile d’instaurer un climat de confiance et de justice sereine. Il y aura toujours et toujours des suspicions de pressions et d’instrumentalisation de la justice. Les cas khalifa Sall et Karim Wade qui ont été les seuls à être traduits devant la justice avant d’être emprisonnés, montrent à certains égards que ceux qui suspectaient le pouvoir de vouloir les écarter des adversaires politiques, se fondent sur des actes posés pour déclarer cela. Non pas que Khalifa Sall et Karim Wade ne soient pas coupables de ce dont on les accuse, mais bien parce que d’autres dignitaires du régime libéral, épinglés dans des dossiers, ont échappé à la justice, sans que l’on ait noté une quelconque procédure les concernant.
D’entendre le président de la république dire qu’il a mis certains dossiers sous le coude, est tout simplement ahurissant, bizarre et renforce davantage la suspicion. C’est en réalité cette gestion parcellaire des dossiers judiciaires qui accrédite la thèse du deux poids, deux mesures et du règlement de comptes politiques à travers l’instrumentalisation de la justice.
Pour sortir de ces impasses répétées, il s’agit dès lors d’adopter une seule posture qui est celle d’appliquer les mêmes règles à tous les justiciables. C’est cette perception de justice à deux vitesses qui conduit inéluctablement à des suspicions à tous les étages, de la surenchère verbale, de la polémique sans fin et surtout de la manipulation d’une opinion non avertie qui obéit à ses propres ressentis, suivant le camp auquel elle appartient. La preuve, tous les actes de procédure posés par le juge d’instruction et par le procureur de la république, sont chahutés. Et quelle que soit l’issue de cette affaire, il en ressortira toujours une impression de justice qui marche sur la tête.