NETTALI.COM - Après avoir plusieurs fois promis la rupture dans la façon de faire la politique, Ousmane Sonko et son parti, le Pastef/Les Patriotes semblent être confrontés à la réalité politique. La preuve, les responsables de Pastef font aujourd’hui dans le reniement, ils reviennent sur des engagements pris.
Encore un cas ! Un autre qui allonge la liste de reniements au sein de Pastef. Mais, celui-ci a connu un grand retentissement, compte tenu du profil et du statut de son auteur. Accablé depuis des semaines, l’administrateur de Pastef, Birame Soulèye Diop, n’est pas loin de s’emporter face à la pression sur le cumul de ses mandats de maire de Thiès-Nord et de député. «Aucune loi n'interdit le cumul de mandats. En France, il y a effectivement une loi qui l’interdit, mais aucunement au Sénégal. Deuxièmement, aucune loi dans la constitution, dans les codes connus ne l'interdit, surtout si la population a confiance en vous. Je ne vois pas où est le problème d’occuper un double poste», s’était-il défendu la semaine dernière. Une réplique aux allures d’un pied de nez au leader de son parti Ousmane Sonko qui, l’avant-veille, avait fait la leçon aux responsables de sa formation politique qui sont dans la même situation. Dans une déclaration de presse, il avait rappelé les conditions posées à l’investiture des personnes concernées par cette question au sein du parti Pastef. Le maire de Ziguinchor a déclaré avoir «personnellement appelé les responsables concernés pour leur demander d’opter pour l’un ou l’autre». Mais, rien n’y fait. Même si Ousmane Sonko reconnaît ne pas pouvoir «les contraindre à démissionner car, il s’agit d’un mandat conféré par le peuple. Seuls les concernés sont aptes à prendre une telle décision.»
Cette volte-face de Birame Souleye Diop lui a valu un lynchage systématique sur les réseaux sociaux. Certains de ses camarades de parti ont même parlé de parjures. Mais le Président du Groupe parlementaire de Yewwi Askan Wi (Yaw) ne semble pas ébranlé par le bashing qu’il continue de subir. «Ce n’est pas parce que des gens sont sur les réseaux sociaux à parler, parce qu'aucun d’entre eux n’a voté, aucun d’entre eux n’était là quand on rencontrait la population de Thiès-Nord», a-t-il rétorqué à ses pourfendeurs. Seulement, ce «reniement» des convictions qui ont fondé l’esprit Pastef n’est pas à son premier coup. Le chef de file des «Patriotes» a été pris à défaut dans ses positions. Dans ses discours, il ne cessait de répéter son engagement à se démarquer des politiciens «classiques», des gens du «système», comme il les appelait. Ces propos flatteurs avaient séduit bon nombre de Sénégalais, notamment les jeunes qui voient en Ousmane Sonko le «Messi» qui va définitivement changer le Sénégal. Son combat contre le «système» était à la base du serment qu’il a avait fait de ne jamais s’allier avec des personnes issus des régimes politiques précédents. Aujourd’hui, la réalité politique est autre. La majorité des alliés de Pastef au sein de Yewwi Askan wi sont constitués d’anciens barons du Parti socialiste (Ps), du Parti démocratique sénégalais (Pds) qu’il a toujours accusés d’être responsables de tous les maux dont souffrent les Sénégalais.
Cette «inconstance» au sein de Pastef n’est pas sans conséquences. Ils peuvent impacter sur l’avenir politique de Ousmane Sonko et Cie. Car, souligne le journaliste-analyste politique, Aliou Ndiaye, «leur crédibilité en prend un sacré coup». Ces reniements sont particulièrement négatifs pour une communication, selon le journaliste Assane Samb. Qui explique : «Les actes posés parlent beaucoup plus que les paroles. Si les actes sont en porte-à-faux avec les déclarations antérieures, cela peut poser un problème de crédibilité et de morale. Les gens pourraient se poser des questions». Ousmane Sonko et Cie ne seraient-ils pas victimes de leur manque d’expérience politique ? Le journaliste Aliou Ndiaye répond par la négation. Il réfute cette thèse et parle d’actes sciemment posés. Il détaille : «Ils ne sont pas dupes, ce ne sont pas des gens nés de la dernière pluie. Ils savaient très bien que c’est le genre de promesses électoralistes qu’on fait en général pour flatter l’opinion et l’électorat. Cela veut dire que contrairement à ce qu’on nous a vendu depuis très longtemps, ces gens-là ne sont pas nouveaux au sens politique du terme, ce sont des politiciens africains, ordinaires qui pensent que le principe de non contradiction ne s’applique pas à eux. Ils peuvent dire une chose aujourd’hui et son contraire demain. Pour moi, ce n’est pas un manque d’expérience, ils sont très conscients de ce qu’ils disent. Au Sénégal, quand on a le vent en poupe, on peut se permettre tout et n’importe quoi, et politiquement, cela ne va pas prêter à conséquence».
«Contrairement à leur discours, ce sont des politiciens africains ordinaires»
Ce comportement des responsables de Pastef n’est pas nouveau dans le champ politique sénégalais. Le journaliste Assane Samb estime que cette situation est symptomatique de ce qui s’est toujours passé dans notre pays. «Quand on est dans l’opposition, qu’on ne gère pas encore le pouvoir, explique-t-il, on est blanc, on est des anges et on peut tout promettre en termes de discours, d’influence et de communication politique. Mais, il y a ce qu’on appelle la realpolitik, la réalité du pouvoir qui suppose une autre dynamique qui fait souvent que les gens critiquent le système, mais quand ils sont au pouvoir, ils s'accommodent souvent du système». A l’en croire, on peut tout promettre lorsqu’on est dans l’opposition parce qu’on n’a pas une grande expérience de la gestion du pouvoir, on n’a pas également une imprégnation des dossiers, mais lorsqu’on arrive au pouvoir, il y a d’autres réalités. «Le Pastef est en train d’expérimenter tout cela. Déjà avec Ousmane Sonko, en tant que maire, on a vu ses difficultés avec les étudiants de Ziguinchor qui n’ont pas hésité à l’attaquer. On a vu Birame Souleye sur la question du cumul des mandats, alors que le Pastef était intransigeant sur ces questions-là. Mais, on se rend compte qu’ils n’ont aucune envie de se débarrasser de mandats que la loi et les populations leur ont donnés. Cela veut dire qu’ils s’accommodent et profitent du système. Souvent les discours qu’on entend sont des discours simplement d’opposants qui souhaitent être élus», souligne le journaliste-analyste politique Assane Samb. Ce dernier ne croit pas à un changement de pratiques avec le Pastef. Il pense que même si ces gens-là arrivaient au pouvoir, dans beaucoup de domaines ils risquent de se conformer au système.
Les arguments de l’administrateur général du Pastef, qui se réfugie dans la loi, sont loin de convaincre ces spécialistes de la communication politique. Soulignant que le discours politique, c’est soit dans le fond soit dans la forme, le journaliste Aliou Ndiaye explique : «Alors qu’on pose une question de principe, de forme, lui il va dans le fond en disant qu’il n’y a aucune loi qui l’interdit. Le problème que les gens posent n’est pas un problème de légalité, mais de conformité entre la parole et l’action. On ne lui demande pas si c’est légal ou illégal. Personne n’a dit que c’était illégal. Il pose le débat sur la légalité parce que cela l’arrange. Ils disaient toujours qu’ils étaient contre le cumul des mandats, maintenant qu’ils sont des cumulards, ils veulent se justifier. Cela montre que ces gens-là, contrairement à leur discours, sont des politiciens africains ordinaires. Alors qu’ils n’ont qu’un pouvoir municipal et législatif, ils sont en train de reproduire ce qu’ils reprochent aux autres». Le journaliste Assane Samb d’ajouter : «On se réfugie dans la loi parce que les intérêts personnels sont en jeu. On se rend compte qu’à chaque fois que quelqu’un a une parcelle de pouvoir, les réflexes d’homme de pouvoir s’imposent».