NETTALI.COM - L’État du Sénégal avait dégagé une enveloppe pour soutenir les populations et divers acteurs de l’économie éprouvés par la Covid19. Des ministères et agences nationales étaient chargés de l’exécution des dépenses. Nombreux sont les manquements notés.

L a Cour des Comptes a publié, hier, son rapport sur l’audit du Fonds Covid-19. Beaucoup d’irrégularités ont été notées dans la gestion de ce fonds, dont l’appui au secteur de la santé constitue le pilier 1 du Programme de résilience économique et sociale (Pres). En effet, pour des prévisions définitives liées à l’appui au secteur de la santé d’un montant de 77,8 milliards F CFA, les dépenses sont exécutées à 112,317 milliards F CFA, à la date du 31 mars 2021, selon la Direction générale du Budget, rapporte la Cour des Comptes. Elle précise également qu’en plus des ressources mobilisées dans le cadre du Pres, les structures du MSAS ont bénéficié de financements de la part des PTF, des collectivités territoriales, des comités locaux de développement sanitaire et de contributions volontaires. Ainsi, la Cour des Comptes s’est attachée à vérifier que les dépenses exécutées par le MSAS sont conformes à la réglementation en vigueur et aux principes de bonne gestion. ‘’Au total, un montant de 356 500 000 F CFA a été payé aux membres du CNGE sur une période de sept mois (mars à septembre). Or, si on se réfère à la note portant création du CNGE qui fixe le nombre de membres à 31, le montant à payer ne devrait pas dépasser la somme de 43 400 000 F CFA, d’où un montant indûment payé de 313 100 000 F CFA’’, relève les rédacteurs du rapport. Une irrégularité qui s’explique avec l’examen de la liste des états de paiement. Elle fait ressortir que parmi les bénéficiaires dont les noms figurent sur les trois listes, l’écrasante majorité est composée de personnel administratif (secrétaires, chauffeurs…) et d’agents dont le rôle est d’appuyer les services techniques pour leur bon fonctionnement. ‘’Il faut également relever que sur les 75 membres qui sont considérés comme membres du groupe de coordination et qui ont reçu une prime mensuelle de 200 000 F CFA, 29 parmi eux n’ont jamais participé aux 29 réunions du CNGE tenues entre le 19/03/2020 et le 09/09/2021’’, lit-on dans le rapport. En outre, sur la justification de la somme de 313 100 000 F CFA irrégulièrement payée, le DAGE du MSAS, Ousseynou Ngom, indique que ‘’pour le montant de 98 200 000 F CFA payés aux membres du CNGE, nous prenons bon acte de l’observation relativement au surplus. Ainsi, toutes les dispositions seront prises pour une vérification des listes effectives. Cependant, pour les autres montants CNGE, il s’agit des agents intervenants directement ou jouant un rôle très important dans le cadre de la riposte contre la Covid dont l’autorité a décidé d’octroyer une motivation de 150 000 au même titre que les agents des CTE’’, ajoute-t-on. Ainsi, la Cour fait remarquer que sur un montant de 98 200 000 F CFA, le DAGE n’aurait dû payer que 43 400 000 F CFA, soit un montant indûment payé de 54 800 000 F CFA. Pour le cumul des primes CNGE d’un montant de 258 300 000 F CFA, le DAGE n’a pas produit la décision du ministre de la Santé autorisant le paiement desdites primes’’. Par conséquent, elle enjoint M. Ngom ‘’de rembourser la somme irrégulièrement payée à des personnes dites «membres du Comité national de gestion des épidémies (CNGE)» d’un montant de 313 100 000 F CFA’’.

11 191 532 F CFA des fonds Force Covid-19 non justifiés par le ministère de la Microfinance

Par ailleurs, pour ‘’défaut de production de pièces justificatives par le comptable de l’EPS1 de Kaffrine’’, la Cour des Comptes demande l’ouverture d’une information judiciaire. ‘’L’établissement public de santé (EPS) de Kaffrine de niveau 1 devenu EPS 2 a bénéficié de fonds Covid transférés par le DAGE du MSAS pour un montant de 45 000 000 F CFA. Ce montant de 45 000 000 F CFA a été reçu en deux tranches de 20 000 000 F CFA en 2020 et 25 000 000 F CFA en 2021. Pour les 20 000 000 F CFA, le comptable n’a pas versé dans les pièces justificatives les chèques ainsi que le relevé de compte.

Concernant le montant de 25 000 000 F CFA reçu en 2021, aucune pièce justificative n’a été transmise à la Cour. Interpellé par la Cour des Comptes, M. Diallo n’a ni répondu ni produit les pièces justificatives. Cette pratique contrevient aux règles régissant l’exécution des dépenses publiques. La Cour demande au garde des Sceaux, ministre de la Justice de faire ouvrir une information judiciaire à l’encontre de Lamine Diallo, Comptable sortant de l’établissement public de santé de niveau 1 de Kaffrine, pour défaut de production des pièces justificatives des dépenses financées par les fonds Covid d’un montant de 45 000 000 F CFA’’, souligne-t-on dans le rapport. Au ministère de la Microfinance, des anomalies sont notées. Le rapprochement entre les dépenses totales exécutées et le solde du relevé du compte bancaire ouvert à la BNDE destiné à suivre les fonds Covid-19, qui affiche 1 251 749 F CFA au 31 décembre 2020, révèle un montant de 11 191 532 F CFA non retracés dans les dépenses. Le directeur du Fonds d’impulsion de la Microfinance, qui a géré les fonds Covid-19 pour le ministère de la Microfinance et de l’Economie sociale et solidaire, Ndiamé Ndiaye, n’a pas justifié l’utilisation de 11 191 532 F CFA. ‘’Interpellé par la Cour dans le rapport provisoire, M. Ndiaye n’a pas répondu dans les délais. La Cour demande au garde des Sceaux, ministre de la Justice, d’ouvrir une information judiciaire à l’encontre de M. Ndiamé Ndiaye, Directeur du Fonds d’impulsion de la microfinance pour non-justification d’un montant de 11 191 532 F CFA des fonds Force Covid-19’’, lit-on dans le rapport. L’ouverture d’une autre information judiciaire est demandée à l’encontre, cette fois-ci, du directeur de l’Administration générale et de l’Équipement sortant du ministère du Développement communautaire, de l'Équité sociale et territoriale sur la surfacturation sur le prix du riz pour un montant de 2 749 927 498 F CFA. En effet, pour les acquisitions de riz, l’arrêté n°007111 fixe le prix de la tonne chez le grossiste à 245 000 F CFA ; les frais de manutention sont fixés à 5 001 F CFA la tonne par le ministère du Commerce, soit un prix global de 250 001 F CFA. Or, il a été fixé par le MDCEST à 275 000 FCFA la tonne, soit un manque à gagner de 24 999 F CFA par tonne. Le montant du surplus facturé par les fournisseurs, qui s’établit à 2 749 927 498 F CFA, est détaillé par entreprise. ‘’S’agissant des surfacturations constatées, Aliou Sow, DAGE du MDCEST sortant, indique que «(…) les prix sont fixés par les vendeurs ayant répondu à l’avis de commande. (…).

Toutefois, le ministre du Développement communautaire et de l'Équité sociale et territoriale avait remis au président de la commission des marchés un tableau produit par le ministre chargé du Commerce qui retraçait les prix des denrées pour que la commission l’utilise comme document de travail. (…). Dans ce tableau, le prix de la tonne de riz brisé non parfumé est affiché à 275 000 F CFA et toutes les entreprises sélectionnées pour l’acquisition de riz avaient proposé le même prix». La Cour relève qu’une note du ministre du Commerce indiquant des prix de référence pour l’acquisition de denrées alimentaires ne peut remplacer l’arrêté précité qui était encore en vigueur. Par conséquent, le surplus facturé de 2 749 927 498 F CFA au titre de la commande de riz brisé non parfumé est établi’’, concluent les auditeurs.

Une information judiciaire à l’encontre de l’ex-DAGE du ministère de la Culture demandée

Des fonds ont été alloués au ministère de la Culture et de la Communication. Pour sa gestion, un comité de pilotage a été d’abord mis sur pied, ensuite des sous-comités sectoriels. Outre 5 500 000 000 F CFA, un montant de 900 000 000 F CFA a été octroyé aux sous-secteurs de la communication, dont 700 000 000 F CFA pour les entreprises de presse et 200 000 000 F CFA aux «cultures urbaines». Cependant, la reddition relative à l’appui aux acteurs est marquée par l’incomplétude des pièces justificatives, la non-justification de l’intégralité des fonds et l’absence d’indication sur la destination des reliquats. Certains sous-secteurs (presse, livre et édition, cinéma et audiovisuel créatif et artistes vivant avec un handicap) ont justifié intégralement les fonds alloués en transmettant toute la documentation y afférente, des manquements sont notés chez les autres. En effet, ‘’les critères d’éligibilité, les procès-verbaux de fin de travaux par sous-comité, ainsi que toutes les pièces justificatives permettant de s’assurer de la réalité de l’octroi des fonds aux membres des sous-comités identifiés n’ont pas été produits à la Cour. Contrairement aux souscomités du «Livre et Édition», «Cinéma et audiovisuel créatif» et la presse de manière générale qui ont produit toutes les pièces, la «Danse», la «Mode et Stylisme», le «Patrimoine culturel» et la «Musique» (pour la Sodav) n’ont transmis aucune pièce justificative. Pour les sous-comités «Arts visuels», «Théâtre, Musique et Conte», seules les décharges et la copie de la carte nationale d’identité du bénéficiaire ont été produites. Les critères d’éligibilité, le procès-verbal de fin de travaux de ces sous-comités et les listes de bénéficiaires des fonds ne sont pas communiqués’’, fait savoir la Cour des Comptes. Elle souligne également que la non-exhaustivité des pièces justificatives ou leur production incomplète ne permet pas de s’assurer de l’attribution équitable et effective des fonds aux ayants droit. Et le DAGE d’alors admet que des organisations ont failli dans la transmission des pièces justificatives. ‘’Il s’y ajoute qu’il n’a pas produit à la Cour la liste des bénéficiaires souscomité «Arts Visuels» et les pièces justificatives complémentaires concernant les secteurs «Danse», «Mode et Stylisme», «Patrimoine culturel» et Sodav, ainsi que les décharges attestant le paiement effectif de la subvention. L’exploitation des pièces justificatives produites à la Cour, lors de la phase de contradiction par M. Nzalley révèle que la liste des bénéficiaires du sous-comité «Arts visuels» n’a pas été produite. Concernant les secteurs que sont la «Danse», la «Mode et Stylisme», le «Patrimoine culturel» et la Sodav aucune pièce justificative additionnelle y compris les décharges qui justifient du paiement effectif de la subvention n’a été mise à disposition de la Cour’’.

Elle demande alors au garde des Sceaux, ministre de la Justice, d’ouvrir une information judiciaire à l’encontre Léons Nzalley, Directeur de l’Administration générale et de l’Équipement du ministère de la Communication et de la Culture, pour défaut de justification de dépenses pour un montant de 1 120 000 000 F CFA. ‘’Des écarts sont notés entre les montants des justificatifs et ceux des fonds reçus. C’est le cas du sous-comité «Conte» dont le président de l’Association des conteurs du Sénégal "Leebon ci Leer’’ a reçu 11 475 000 F CFA sur la base d’une décharge non datée. Sur ce montant, seuls 3 000 000 F CFA sont justifiés, soit un montant non justifié de 8 475 000 F CFA. Concernant les musiciens non-inscrits à la Sodav, au nombre de 1 069 personnes réparties dans les 14 régions du Sénégal, un montant de 388 310 900 F CFA n’est pas justifié. Toutefois, les montants versés à l'Omarts, à l’Amaa (Association des managers et agents d'artistes, à la Coordination des acteurs culturels de Dakar, à l'Association des métiers de la musique, au mouvement Reçus ne sont pas indiqués et les listes validées des bénéficiaires de ces organisations non produites. Pour le sous-comité «Livre et Édition», la liste des bénéficiaires indique un nombre de 257 personnes pour un montant de 200 000 000 F CFA distribué. Toutefois, concernant les douze derniers bénéficiaires qui ont été sélectionnés à la suite de réclamations, il n’y a ni décharge ni copie des CNI.