NETTALI.COM - Comment peut-on avoir fait un tel aveu et être maintenu à la tête du ministère des Transports terrestres, des Infrastructures et du Désenclavement ? En effet, lors de son déplacement sur les lieux du drame, Mansour Faye a, lui-même, reconnu, si l’on en croit le Témoin qui le cite dans son édition du mercredi 11 janvier, un laxisme manifeste dans les contrôles techniques des véhicules. « Il n’y a qu’un seul centre et il se trouve à Dakar. Les régions n’en ont pas. Donc les véhicules qui s’y trouvent, ne font pas l’objet d’une vraie visite. –« Dagnouy taf yeungeul rek»- On colmate çà et là pour après leur délivrer le feu vert», a-t-il commenté.
Des propos qui sonnent comme un aveu grave de mission non assumée à la tête de son ministère, ce d’autant plus que le ministre reconnaît entre les lignes n’avoir jamais travaillé à résoudre un problème majeur qu’est le contrôle technique des véhicules qui s’avère finalement être une question de vie et de mort. Sans contrôle technique digne de ce nom, aucun véhicule ne devrait normalement circuler. Cette procédure reste dès lors une question de vie ou de mort.
De toute façon que ceux qui s'attendent à sa démission, déchantent, Mansour Faye ne compte pas rendre le tablier. Il n'est d’ailleurs aucunement question qu'il le rende malgré les appels dans ce sens d’acteurs du secteur des transports, suite à l’accident de Kaffrine
«Moi, rendre le tablier ? Pourquoi ? Je ne vois pas la raison qui me pousserait à le faire (démissionner). En réalité, je ne suis même pas concentré sur cela. Le chef de l’État m’a assigné des missions. Je vais travailler pour qu’elles soient réalisées. S’il y a des politiques qui veulent profiter de ces moments où les Sénégalais sont en deuil, cela les engage, pas moi», a-t-il rétorqué. Des propos largement relayés et repris par les journaux
Et pourtant Abdoulaye Diouf Sarr a, lui, été très vite emporté par l’affaire des 11 bébés, morts calcinés à l’hôpital El Hadji Abdou Aziz Sy de Tivaouane. Un maintien de Mansour Faye bien étonnant surtout au regard de la vive émotion ressentie au niveau national et même au-delà. Les évènements malheureux passent, mais Mansour demeure à ses postes, tel un baobab. Sa gestion des fonds covid fortement décriée avant même que le rapport de la Cour des comptes ne voit le jour pour soulever des problèmes relatifs aux coûts d’achat du riz, ne connaîtra aucune suite. A l’heure actuelle, c’est la question de sa responsabilité qui est interpellée surtout au regard des nombreux accidents de la route. Une logique voudrait que le ministre en place assume la responsabilité de ce qui se produit dans son secteur. Mais lorsqu’on est beau frère du président de la république, on peut-être tout se permettre. Que caux qui demandent au sein de l’opinion que Mansour Faye mette à l’aise le président Sall, ont d’ailleurs tout à fait tort. C’est à ce dernier de prendre ses responsabilités.
Toujours est-il qu’il est bien rare sous nos cieux, de voir des khalifes généraux intervenir à l’unisson sur un sujet similaire. De Tivaouane en passant par Touba, Médina Gounass, la communauté Khadrya pour arriver à Yoff, les appels à une sécurité routière plus accrue, sont unanimes : conduire avec respect, éviter de faire la course sur la route, respecter le Code de la route… Autant de conseils relatifs aux mesures de sécurité, prodigués. Une liste hélas si longue des actes d’irrespect des règles du code de la route au Sénégal qu’il sera bien difficile de les citer, tant le niveau d’incurie dans ce pays est abyssal.
Bref, des messages délivrés avec la même tonalité et le même refrain. Des sorties qui attestent ainsi de la gravité de l’accident et son caractère tragique et inédit qui en fait une grande première dans ce pays, en termes de nombre de victimes d’un accident de la route.
Il y a eu bien sûr l’épisode de 2017 avec un accident qui avait occasionné 13 morts avec, à l’époque, 10 commandements qui avaient été retenus dans le sens de règlementer davantage les mesures de sécurité. Mais, en fin 2021, alors que les mesures allaient commencer à être appliquées, une grève menée par les syndicalistes, Gora Khouma et Cie, deux jours durant, avait eu raison de la volonté du gouvernement de Mahammed Boun Abdallah Dionne de poursuivre dans le sens de l’application de ces mesures.
Cette fois-ci, le gouvernement qui a changé de chef en la personne d’Amadou Ba, a pris 23 commandements pour le quotidien « Le Soleil » et 22 pour la plupart des titres de la presse écrite, non sans servir un discours de fermeté, avec l’intention d’aller au bout de sa logique. Entre autres mesures phares, l'interdiction de circulation des véhicules de transport public entre 23 heures et 5 heures du matin ; un arrêté portant limitation de la durée d’exploitation à 10 ans pour les véhicules de transport de personnes, à 15 ans pour les véhicules de transport de marchandises ; un arrêté portant limitation de la durée d’exploitation à 10 ans pour les véhicules de transport de personnes à 15 ans pour les véhicules de transport de marchandises; un arrêté interdisant la pose et l’usage des porte-bagages et prescrivant le démantèlement de ceux déjà fixés sur les véhicules de transports de personnes etc.
Bref la liste est longue, mais l’on se doute bien que les transporteurs ne resteront pas sans broncher. Soit ils s’inscrivent dans une logique de négociation, soit ils tentent comme ils l’ont fait en 2021 de mener une grève dans le sens d’amener le gouvernement à revoir sa copie.
Mais il faudrait bien qu’ils soient assez peu consciencieux de l’ampleur des dégâts que causent les accidents sur nos routes, pour ne pas daigner ouvrir les yeux sur le fait que celles-ci doivent cesser d’être des lieux où l’on va pour mourir. Le gouvernement a beau distribuer des montants aux victimes que cela n’atténuera pas les douleurs ou ressuscitera les morts.
Pour un gouvernement qui s’est donné en tout cas comme vocation le combat en lançant au grand jour le vocable de « gouvernement de combat », voici en tout cas un combat qui vaut la peine d’être mené. Celui de la lutte contre l’insécurité routière. Qu’est-ce qu’il pourrait d’ailleurs bien perdre à le mener surtout qu’il a le soutien des populations qui en ont marre d’un système de transport archaïque avec des comportements de transporteurs aussi exécrables. Pour s’en convaincre, il suffit juste de faire le tour des émissions dédiés aux auditeurs ou de faire une revue de la presse télévisuelle ou des micro-trottoirs ou encore des reportages de la presse écrite. Pas un Sénégalais pour soutenir les transporteurs, tant leurs comportements sont fortement décriés.
La vérité est que le transport a une mauvaise image sous nos cieux. C’est un secteur qui regroupe toutes les tares de la société dans ce qu’elle comporte en termes de manque de savoir-vivre, de savoir-être et d’irrespect des règles. Un secteur anarchique, archaïque, conservateur qui refuse la modernité dans un contexte où la digitalisation est en train de faire une mutation forcée au métier de taxi par exemple sans que ces taximen d’une autre époque s’en rendent compte, tellement ils sont caractérisés par la cupidité et l’appât du gain.
Comment comprendre le refus systématique d’investir et de renouveler un outil de travail qui rapporte pourtant de l’argent pour les propriétaires ? Rafistolage et dépannage seulement semblent être les seules alternatives qui s’offrent à eux. Paient-ils seulement les impôts ? Déclarent-ils leurs revenus et leurs employés qui doivent, comme tous les autres employés des autres secteurs, bénéficier de la sécurité sociale et de la retraite ? Ils sont hélas bien malheureux ces chauffeurs, utilisés à leur guise par les propriétaires. Difficile dès lors de leur demander davantage que de conduire et de ne pas être concernés que par le versement à la fin de la période arrêtée avec le propriétaire.
Ainsi fonctionne le monde du transport privé avec ses mauvaises habitudes, son indifférence vis-à-vis du client et de son confort. Un monde gangrené par l’informel, peuplé pour la plupart d’anciens agriculteurs qui ont pris le chemin de l’exode rural avant de se reconvertir dans ce domaine. Un chauffeur de taxi par exemple devrait pourtant pouvoir comprendre d’autres langues puisqu’il est censé recevoir et transporter des étrangers. Il devrait de la même façon détenir un véhicule climatisé avec une carrosserie en bel état, sans oublier sa tenue qui doit être approprié à l’accueil car il vend du service. Voilà autant de remarques que l’on peut porter sur le transport en général au Sénégal.
Mais le peuple du secteur du transport n’est pas au fond le principal fautif puisque le gouvernement, enfermé dans une certaine frilosité, refuse d’assumer sa responsabilité et laisse faire. Admettre dans un pays que des véhicules de transport puissent être dénommés « clandos », montre qu’on tolère que des véhicules puissent opérer dans une parfaite clandestinité, alors qu’à l’opposée d’autres transporteurs paient des licences. Admettre aussi que des motos puissent rouler sans plaque, prouve qu’on donne le feu vert au vol à l’arrachée et au permis de fuir en cas d’accident.
Autant d’hérésies d’un système que l’Etat peut réguler à condition de cesser d’être faible. Ces mesures, si elles sont respectées, peuvent être une avancée notable, mais elles pouvaient être plus hardies en s’attaquant au phénomène des clandos et « tiaks tiaks », ces motos qui pourrissent la vie à tous les usagers de la route, sans parler de ces mini véhicules dédiés au transport qui détruisent tous les trottoirs en refusant d’emprunter les routes normales dans le but de se frayer un chemin rapide.
Le discours des marabouts est allé dans le sens de formuler des prières, de présenter des condoléances et d’évoquer la volonté de Dieu à accepter. Mais pas que seulement puisqu’il a fait appel à l’action de l’homme qui compte, ainsi que l’a si bien formulé Serigne Babacar Sy Mansour qui a interpellé les forces vives de la Nation, notamment les religieux, les syndicats, les organisations de la société civile, à « soutenir l’Etat dans l’application stricte des lois, pour tout ce qui met en danger les fondements de la société, en s’interdisant la conciliation, l’intervention et le corporatisme lorsqu’il y a péril dans la société, lorsque la vie d’autrui pourrait être menacée ». Ces préconisations, a-t-il dit, sont valables, à condition que l’Etat accepte d’« assumer son pouvoir régalien, sans pression, sans compromission aucunes, faisant s’appliquer la loi dans toute sa dureté ».
Aux yeux du Khalife général de Tivaouane, « il importe également aux acteurs du transport de crédibiliser leur corporation par la sensibilisation et la formation adéquates des chauffeurs et la nécessité de s’acquitter des règles édictées par l’administration des transports, en matière d’acquisition du permis de conduire, de respect du code de la route et d’agrément du matériel de transport, seules conditions pour que la prévention et la sécurité routières puissent porter leurs fruits ».
Le saint homme ose ainsi espérer que « cette ultime tragédie pourra servir de déclic pour une remise aux normes du secteur des transports dans notre cher Sénégal ».
Tout a en tout cas été dit dans ce discours et il sera bien difficile d’ajouter autre chose, sinon de commencer par respecter les règles de la sécurité routière afin que le bon Dieu fasse le reste. Mais fot heuersuement le président de la république a demandé, lors du conseil des ministres du mercredi 11 janvier, au Premier Ministre et aux ministres impliqués (Forces armées, Intérieur, Finances et Budget, Transports terrestres) « de mettre en œuvre sans délais, avec l’implication de toutes les parties prenantes, les mesures arrêtées lors du Conseil interministériel sur la sécurité routière. »
Macky Sall a ainsi fait savoir au gouvernement que « l’application des décisions retenues, fera l’objet, en Conseil des ministres, d’un suivi et d’une évaluation hebdomadaire. »
Il a en outre demandé au Premier Ministre d’organiser, dans les meilleurs délais, une réunion spéciale sur le renouvellement prioritaire des parcs automobiles de transport, en relation avec les organisations de transporteurs et de chauffeurs.
Mais dans un pays gangrené par la corruption, il sera en tout cas bien difficile de faire des réformes profondes à plus forte raison de faire appliquer correctement des commandements dont on pense qu’ils seront vite rangés dans les tiroirs de l’oubli. A moins peut-être de voir ces commandements appliqués sur le terrain pour pouvoir y croire !