NETTALI.COM - Le rapport de la Cour des comptes est décidément une patate chaude entre les mains du gouvernement qui multiplie les actes et sorties pour rassurer tout le monde, notamment, les plus grands contributeurs au fonds Force covid-19. Non seulement, il s’engage à une mise en œuvre de toutes les recommandations, mais aussi, il ne tarit plus d’éloges sur les magistrats de la Cour des comptes, après qu’ils aient été voués aux gémonies, dans un premier temps.
L e temps diplomatique n’est certainement pas le temps politique ; encore moins celui de l’opinion publique. Souvent absents lors des débats sur certains dossiers sensibles comme les questions politiques et les scandales financiers, le corps diplomatique a été très présent dans le dossier des 1000 milliards du Fonds Force Covid-19, objet de l’audit de la Cour des comptes qui ne cesse de défrayer la chronique. Quand ce n’est pas des membres du corps diplomatique qui témoignent publiquement de leur indignation au vu des révélations de la Cour des comptes, c’est le Gouvernement qui multiplie les initiatives pour rendre des comptes et essayer de donner des gages. Outre les sorties remarquables et remarquées du porte-parole du Gouvernement et du ministre en charge des Finances, l’histoire retiendra aussi les sorties de la cheffe de la Diplomatie. Elle, qui d’habitude accorde très peu d’interviews, est montée au créneau pour s’expliquer dans à l’émission Grand Jury de la RFM. ‘’Assumer ce qu’il faut assumer’’ ; ‘’réfuter ce qu’il faut réfuter’’ : voilà deux objectifs que revendiquait d’emblée Maitre Aïssata Tall Sall pour justifier la ligne de conduite du Gouvernement. Interpellée sur une éventuelle colère des partenaires et une possible atteinte à l’image du Sénégal à l’international, elle répondait : ‘’Je peux vous dire qu’ils (les partenaires) ne sont pas fâchés ; en tout cas pour ceux que j’ai rencontrés et je vais continuer à rencontrer les autres. Pas plus tard qu’hier d’ailleurs, le président de la République me demandait d’arrêter un calendrier de rencontre avec l’ensemble de nos partenaires, des diplomates des pays étrangers accrédités à Dakar, ainsi que d’autres partenaires techniques pour leur expliquer ce qui se passe… ’’
Quand Macky Sall demandait à la ministre des Affaires étrangères de rencontrer tous les partenaires pour expliquer
La veille, informait la ministre des Affaires étrangères, elle avait reçu les ambassadeurs de l’Union européenne. ‘’Nous avons beaucoup parlé de ce rapport de la Cour des comptes ; j’ai donné la version et les éléments que le Gouvernement met à la disposition des partenaires. Je peux vous dire que, non seulement, ils ont compris, mais ils ont accepté, et l’exercice va continuer avec les autres. Il faut savoir que si on est là à débattre autour de ce rapport, c’est parce que le Président a voulu ce rapport et sa publication’’, se défendait la ministre. Qui précise : ‘’Le président de la République a dit : je veux que la Cour des comptes, en plus de sa mission générale classique, fasse un audit spécial, particulier, sur ces fonds Force Covid. Et la Cour l’a fait. Mieux, il a demandé qu’une fois que ce rapport termine, il faut le publier. Nous, dans le gouvernement, nous avons été mis au courant en même temps que l’opinion de ce rapport…’’ Face à ces déclarations, le Coordonnateur du Forum Civil (Section sénégalaise de Transparency international, Birahime Seck, n’avait pas manqué de monter au créneau pour crier son indignation. Il fulminait : ‘’Bët bu rusul tocc, ces partenaires et diplomates sont au courant de tout. Aussi, nous informerons leurs parlements. Le déminage doit se faire devant le juge, en plus des mesures à prendre par le Président Macky Sall.’’ Depuis lors, la bataille de l’opinion publique ne faiblit pas, aussi bien à l’échelle nationale qu’à l’échelle internationale. Pour sa part, le Gouvernement n’a eu de cesse de multiplier les sorties pour, non seulement, calmer les organisations de la société civile qui se sont fortement mobilisées à travers notamment un rassemblement public, mais aussi, pour rassurer les membres du corps diplomatique, comme l’annonçait la cheffe de la diplomatie.
La publication du rapport, une exigence des bailleurs de fonds
Avant cette entrée en lice de la ministre en charge des Affaires étrangères, son collègue des Finances, tout comme celui en charge de la Parole du Gouvernement se sont prêtés au même exercice. Il en est de même du ministre en charge de la Justice et de plusieurs autres lieutenants du Président Sall. Mais, c’est à croire que ces différentes sorties n’ont pas suffi pour rassurer totalement les bailleurs de fonds qui, il faut le rappeler, ont été les plus grands contributeurs du fonds Force Covid-19. Aussi, si elles visent toutes à donner des gages, ces sorties qui se suivent ne se ressemblent pas toujours. Par exemple, quand la ministre des Affaires étrangères présentait l’audit comme une volonté exclusive du chef de l’Etat, elle n’avait pas tout dit. En réalité, ce rapport spécifique et sa publication était un engagement de l’Etat pour inciter les partenaires à l’accompagner dans le cadre de la lutte contre la pandémie. ‘’Je voudrais tout d’abord rappeler qu’en sollicitant le concours financier des partenaires au développement pour mettre en place ce fonds, le Sénégal avait souscrit volontairement à l’engagement de soumettre la gestion dudit fonds à un contrôle de la Cour des comptes et de rendre public le rapport d’audit qui en serait issu’’, reconnait le PM qui, contrairement à ses collègues qui n’hésitent pas à mettre un bémol sur le travail de la Cour des comptes, a précisé devant les partenaires : ‘’Quels que soient les montants sur lesquels portent les manquements, la dilapidation des ressources publiques constitue toujours un acte extrêmement grave et de surcroît, en temps de crise sanitaire. De telles pratiques, si elles sont avérées, heurtent l’éthique et n’honorent pas notre administration.’’ Mieux, face aux bailleurs qui avaient fait de la publication de ce rapport une exigence, l’inspecteur des Impôts n’a pas tari d’éloges envers les magistrats de la Cour des comptes. Celle-ci, souligne Amadou Ba, a rendu public un excellent rapport. ‘’C’est l’occasion de rendre hommage aux éminents magistrats de cette juridiction spécialisée dans le contrôle des finances publiques, mais également, à l’ensemble des magistrats du Sénégal pour le travail de qualité qu’ils réalisent avec abnégation et indépendance. La publication d’un rapport de la Cour des Comptes permet toujours d’assurer une plus grande transparence dans l’utilisation des fonds publics. La Cour des Comptes aide donc le Gouvernement à s’assurer du bon emploi de l’argent public. Ce faisant, elle contribue à garantir la gestion démocratique des affaires publiques.’’
Après les félicitations des bailleurs, la Cour des comptes peut compter sur le Premier ministre
Un discours qui tranche net avec les attaques à peine voilée du ministre de la Justice Ismaïla Madior Fall, tout comme d’autres ministres de la République. Selon Amadou Ba, ‘’la Cour des Comptes est une juridiction spécialisée, hautement compétente en matière de gestion financière des ressources publiques. Elle travaille sur la base d’une méthodologie d’audit très rigoureuse dans le respect de référentiels juridiques, techniques et éthiques.’’ Le Premier ministre ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Loin des élucubrations de certains membres du Gouvernement, il promet : ‘’Certaines recommandations vont servir de base, au nom de la redevabilité ou la reddition des comptes, à la mise en jeu de la responsabilité des gestionnaires publics. Le Ministre de la Justice destinataire desdites recommandations, apportera dans un cadre approprié, les réponses nécessaires relativement au déroulement de ces procédures.’’ Par ailleurs, au-delà de ces sorties de membres du Gouvernement qui, tantôt minimisent les conclusions de l’audit, tantôt s’en prennent de manière frontale à l’honorabilité des magistrats de la Cour, tantôt les magnifient comme l’a fait le PM, les bailleurs, eux, se sont montrés très séduits par la compétence et l’indépendance de la haute juridiction. A chaque fois que l’occasion se présente, ils ne manquent pas de partager leur satisfaction. ‘’Je salue la compétence et l’indépendance de la Cour des comptes du Sénégal… Ce rapport conclut la série d’engagements en matière de transparence et de reddition des comptes pris par le Gouvernement dans son dialogue avec les partenaires techniques et financiers’’, a soutenu le représentant résident du FMI, en conférence de presse avant-hier, non sans affirmer que le FMI reste attentif à la suite réservée à ce rapport. Pour sa part, le représentant de l’ONUDI, Christophe Yvetot, n’avait pas mis de gants pour montrer son indignation face à l’ampleur des révélations de la Cour des comptes. ‘’Je suis sans voix’’, assénait-il dans Jury du Dimanche, scandalisé. Des actes concrets sont ainsi attendus aussi bien par les Sénégalais que par les bailleurs de fonds, soucieux de l’utilisation de l’argent des contribuables de leurs pays.