EDITORIAL - Le mercure est en train de monter, s’approchant inexorablement de la ligne rouge, comme si rien ne pouvait l’arrêter. Les acteurs politiques semblent déterminés à s’affronter dans un combat mortel, au prix de vies innocentes transformées par le gré des ambitions en chair à canon. On va donc vers des lendemains incertains, lourds de tous les dangers. La faute à nos cécités tenaces…
Nous étions jeunes, quand Me Abdoulaye Wade, alors leader tout puissant de l’opposition sénégalaise, mobilisait les jeunes dans la rue pour instaurer des bras de fer continus et stressants au président Abdou Diouf. Ceux qui connaissent bien Me Wade diront que le plan développé à l’époque par le “Pape du Sopi” est celui qu’on appelle “Stratégie du bord du gouffre”, qui consiste à entrainer son adversaire jusqu’au sommet de la falaise, pour lui faire entrevoir le danger de
la chute (et donc de la mort certaine).
Mais Me Abdoulaye Wade, “gaindé” et “leuk” en même temps, savait aussi manier les bonnes vertus de la discussion. Il laissait toujours des brèches et une ouverture pour désamorcer la “bombe” avant qu’elle n’éclate, au prix souvent de sa crédibilité politique. C’est bien cette posture qu’il partageait avec des hommes à l’intégrité reconnue tels Maguette Thiam, Dansokho, Bathily, etc., qui a rendu possible les différents gouvernements d’union que le Sénégal a connus dans les années 90. C’est aussi cela la différence fondamentale entre le “Bleu en chef”’ de la période des braises et les nouveaux caïds de la pègre politique.
Fondamentalement, les jeunes restent rebelles. C’est tout à fait compréhensible. Et qui se rappelle bien son niveau de maturité lorsqu’il fut jeune, de la facilité avec laquelle il pouvait se faire manipuler à l’appât de lendemains meilleurs, comprendra et excusera tous les excès et ivresses des jeunes d’aujourd’hui.
De ce point de vue, rien de nouveau sous les cieux. Si nouveauté il y a, elle réside sans nul doute dans l’affaissement du niveau des politiques (comme des autres secteurs d’ailleurs de la vie nationale) au point que le seul génie déployé est de type musculaire. C’est une sorte de carence qu’on cherche à camoufler avec la poussière de la meute.
Il est bien incompréhensible, avec toute l’expérience politique acquise par notre pays, depuis plus d’un siècle, qu’on en arrive là. Et que nos hommes politiques, comme Ousmane Sonko, se prennent encore et toujours pour des demi-dieux sortis de la cuisse de Jupiter. Entendons-nous bien : il ne s’agit point de condamner avant la lettre qui que ce soit. Le leader de Pastef a tous les droits pour aspirer à toutes les ambitions permises, y compris celle d’être président de la République.
Mais, en démocratie, l’exigence de transparence est une des pièces maîtresses de cet édifice en commun qu’on appelle République. La vie privée du citoyen lambda ne devrait intéresser l’opinion publique, tant qu’elle est circonscrite dans les limites de la loi. Cela veut dire que la vie privée d’un Wally Seck ne nous intéresse aucunement, tant qu’il ne lève pas le petit doigt pour dire : “Je veux être président de la République.” Car, à partir de ce moment-là, il est soumis à la loi des projecteurs. Lorsqu’on convoite la confiance populaire, qu’on veuille être le suppôt de la volonté du peuple, président, député ou maire, on n’est plus un citoyen ordinaire. On sort du lot.
Un investissement plus méticuleux devrait d’ailleurs concerner la charge de président de la République, vu tous les pouvoirs dont il dispose. Mais pour évoquer le sujet sous un angle moins tranché, il y a bien une urgence à faire un saut qualitatif dans le sens de faire évoluer notre démocratie. Nos candidats à la magistrature suprême se présentent devant les électeurs avec des jeux de masques si corsés qu’on les prendrait pour de doux agneaux. Cette règle est vraie sous nos tropiques comme ailleurs.
Mais une fois installé au trône, voilà que les masques tombent un à un, pour montrer souvent un visage bien loin de la première perception que nous en avions. Le président Macky Sall lui-même était perçu comme un “doux” d’entre les “doux”, sans main de fer. Nous savons aujourd’hui que malgré certaines qualités réelles, il sait être redoutable et impitoyable. Les citoyens doivent savoir que les politiques ne leur disent pas tout. Et qu’ils oublient bien souvent de signaler à leurs “militants bien aimés” qu’ils ont un tel homme d’affaires comme ami qui finance en catimini la campagne et qui est assez doux pour se faire rembourser ensuite en marchés sonnants et trébuchants, après élection de Sa Majesté.
Assurément, l’une des faiblesses de notre jeune démocratie réside là. Notre aîné et confrère Vieux Savané le relevait dans son dernier papier, dans les colonnes de “Sud Quotidien”. Les Sénégalais sont des as du “dégagisme”. Mais ils ne peaufinent pas assez leur esprit critique, lorsque l’heure du choix arrive. Disons que c’est le suivisme et le gommage systématique de toute aspérité de leur leader bien aimé qui deviennent son passetemps favori, sa priorité absolue, son “jihad” absolu ; en Grand- Place comme dans les réseaux sociaux.
Une des lacunes de notre démocratique. A corriger ou périr !