NETTALI.COM - En conflit ouvert ou larvé contre plusieurs pontes du régime dont Mahmoud Saleh, Abdoulaye Diouf Sarr et Abdoulaye Daouda Diallo, le Premier ministre devra aussi faire face à la méfiance et au manque de confiance du président de la République qui, non seulement a considérablement réduit son budget, mais aussi le place sous haute surveillance. Comment le départ de Mimi a précipité son retour ? Quels sont ses principaux ennemis dans le pouvoir ? Comment le possible soutien de Karim Wade intrigue le palais ? Voilà quelques sujets au cœur du livre de Cheikh Yérim Seck “Macky Sall face à l’histoire : passage sous scanner d’un pouvoir africain”.
C’ est un livre qui n’en finit pas de susciter la polémique. Pour les uns, c’est un livre sur commande ; un tissu de contrevérités et de tentatives de manipulation. Pour les autres, il y a quand même beaucoup d’informations, des analyses assez pertinentes et même des révélations. Chacun y va de son commentaire. Jusque-là, les passages à charge sur Ousmane Sonko ont soulevé le plus de vagues. Mais dans certains milieux de l’Alliance pour la République, la partie du livre réservée au Premier ministre Amadou Ba ne passera certainement pas inaperçue. Dans ce chapitre intitulé “Le problème Amadou Ba” (pages 207 et suivants), l’auteur liste pas mal d’informations de nature à mettre en exergue les relations tumultueuses entre le président de la République Macky Sall et son Premier ministre. Ce dernier est en conflit ouvert, si l’on en croit le journaliste-écrivain, avec beaucoup de dignitaires du régime, dont les plus en vue seraient Mahmoud Saleh, Abdoulaye Daouda Diallo, mais aussi Abdoulaye Diouf Sarr, pour ne citer que ceux-là. Pour ce qui est de l’ancien ministre de la Santé, candidat de la majorité présidentielle à la mairie de Dakar lors des dernières élections locales, il en voudrait surtout au PM de lui avoir fait perdre les élections.
“Le 17 octobre dernier, Abdoulaye Diouf Sarr a menacé de quitter le parti présidentiel depuis son fief de Yoff. Sans le dire, il s’opposait ainsi à la nomination du nouveau Premier ministre. Il considère que le président Macky Sall n’avait pas le droit de nommer celui qui lui a fait perdre la ville de Dakar, par un sabotage murement orchestré”, révèle le journaliste. Selon lui, à maintes reprises, au cours des jours précédant les élections locales de janvier 2022, Diouf Sarr a appelé Macky Sall pour lui dire ceci : “Monsieur le Président, nous allons perdre les élections du fait des sabotages venant de notre camp. Amadou Ba neutralise notre avancée dans tout Dakar, en nous retirant des soutiens et en créant des listes parallèles. Rien qu’aux Parcelles Assainies, il en a créé huit listes. Si nous perdons Parcelles, l’élection sera compromise pour nous.”
Voilà pourquoi, d’après Cheikh Yérim, l’ancien maire de Yoff a du mal à digérer la promotion de celui qu’il accuse d’être à l’origine de sa perte. Au-delà de l’ancien ministre de la Santé, le Premier ministre compte dans l’appareil d’État et du parti au pouvoir bien d’autres adversaires au plus haut sommet. Parmi eux, il y aurait également le très influent Mahmoud Saleh, qui tire les ficelles depuis le palais. “À visage découvert, selon le journaliste, au nez et à la barbe du président de la République, Mahmoud Saleh réunit au palais de nombreuses personnalités du régime pour orchestrer le sabotage de l’action d’Amadou Ba à la tête du gouvernement”.
Dans la même veine, il y a également Abdoulaye Daouda Diallo qui aurait payé de son poste très stratégique de ministre des Finances le retour du banni, à la faveur du dernier remaniement. Entre les deux hommes (Amadou et Abdoulaye), tous fonctionnaires des impôts, le différend remonterait à plusieurs années. À la descente aux enfers de Macky Sall alors responsable au PDS, Abdoulaye Daouda Diallo s’était rangé de son côté. Amadou Ba, qui était déjà directeur général des Impôts et des Domaines et proche de la Génération du concret, lui aurait rendu un peu la vie difficile à cause de cette position. Daouda Diallo n’a donc pas compris, à l’arrivée au pouvoir de Macky Sall, sa promotion à la tête du département des Finances. Si l’on en croit l’auteur, c’est que l’ancien directeur général des Impôts a su bien manœuvrer. “Il a eu l’intelligence d’appuyer tous les candidats (lors des élections de 2012)”, rapporte Cheikh Yérim Seck. Construites sur du sable mouvant, des suspicions et autres méfiances, les relations entre Amadou Ba et son mentor n’ont pas toujours été au beau fixe.
“Tantôt réunis, tantôt séparés, tantôt collaborateurs proches, tantôt éloignés par un décret, ces deux hommes qui ne s’aiment pas et ne se font pas mutuellement confiance, font chacun de son côté les efforts nécessaires pour ne pas atteindre le point de non-retour. Ils ont été fatalement amenés plus d’une fois à une cohabitation dictée par des situations objectives”, soutient le journaliste. De toutes les accusations contre Amadou Ba, celle qui a le plus fait mouche, c’est le soutien présumé à Sonko, également inspecteur des impôts. Pour l’auteur de “Macky Sall face à l’histoire…”, c’est parce qu’il y a eu un précédent grave entre les deux hommes au sujet de l’opposant radical. D’après Yérim, quand Macky Sall avait émis le souhait de radier le fonctionnaire indélicat, Amadou Ba avait mis sur la table des réserves sur la pertinence d’une telle décision. La suite, tout le monde la connait. Macky est passé à l’acte. Sonko est devenu ce qu’il est devenu. Amadou Ba aura échappé à maintes reprises à la guillotine, avant de quitter finalement le gouvernement en novembre 2020, chassé de la course à la mairie de Dakar et de la tête de liste de Benno aux Législatives. Son retour, il le doit à un concours de circonstances exceptionnelles et surtout au départ d’Aminata Touré.
“Le palais a été durement secoué. Le roi s’est retrouvé nu. Macky Sall ne pouvait plus se permettre, face à cette rébellion, de laisser dehors un ponte du régime du poids d’Amadou Ba. Voilà pourquoi il a été nommé PM. Sa désignation était tellement inattendue qu’il l’a lui-même sue le jour même, deux heures avant qu’elle ne soit rendue publique”. Nommé dans un contexte où le débat sur une troisième candidature de Macky Sall fait rage, Amadou Ba ressemble à un Premier ministre sous haute surveillance. De l’avis de Yérim, cela ne fait l’ombre d’aucun doute. “Amadou Ba est isolé, entouré de forces de sécurité, placé sous haute surveillance dans tous les sens du terme… Aucun de ses faits et gestes n’échappe à Macky Sall qui l’a manifestement à l’œil. Pour pousser à l’extrême cette logique de containment, Macky Sall prive son PM de moyens suffisants pour travailler. Il lui a alloué, pour le compte de l’exercice 2023, un budget de 29,4 milliards, loin derrière les 48,3 milliards qui avaient été affectés à Boun Dionne au cours de l’exercice 2018 qui a précédé la suppression du poste”, écrit le journaliste. Il ajoute : “Il n’a même pas de locaux pour accueillir son cabinet, obligé de recevoir et de travailler au petit palais, cerné de toutes parts par des hommes en armes… Les ministres ne se pressent pas non plus à sa porte, préférant aller prendre les instructions directement au palais.”
Comme pour ne rien arranger, il y a eu, selon Cheikh Yérim Seck, ce rapprochement avec Karim Wade qui sème la panique au sommet. “Macky Sall, souligne-t-il, a appris qu’Amadou Ba préparait activement sa candidature à la Présidentielle de 2024. Et que dans ce cadre, il avait eu à prendre langue avec beaucoup de personnalités sénégalaises de l’intérieur comme de la diaspora. Il avait même réussi à convaincre Karim Wade de le soutenir. D’ailleurs, grande fut la déception du fils de Wade d’apprendre que celui à qui il avait promis son soutien a tourné casaque pour se retrouver PM de Macky Sall”. Pour étayer son propos sur les relations tumultueuses entre les deux hommes, le journaliste tient également à rappeler cette fuite sur un rapport de la très discrète Cour des Comptes qui n’a pas manqué d’épingler l’ancien ministre des Finances. “Comme par hasard, insiste-t-il, la Cour des Comptes, d’habitude si avare de confidences, a laissé fuiter, le 16 novembre 2022, un rapport qui dézingue la gestion de celui qui fut le ministre des Finances en 2018. Des écarts de 200 milliards ont été révélés sur la gestion du budget de cette année, dont 73 milliards concernant les dépenses en matériels et 83 milliards au niveau des rubriques emprunts et dettes publiques”.