NETTALI.COM - L’on évoquait dans un de nos éditos de début d’année, une fin d’année électrique et chargée en termes de polémiques, de manifestations et d’oppositions sur le terrain politique. L’affaire d’armement de 45 milliards pour le compte du ministère de l’Environnement, passée sous le sceau du « secret défense » et celle du rapport de la Cour des comptes avec des gestionnaires épinglés et passibles de poursuites, étaient au cœur des débats et polémiques incessants.
L’on avait aussi signalé par la même occasion que ces faits allaient empiéter sur un début d’année tout aussi crispée et chargée de contestations. Eh bien, nous y voilà, puisque la tension est partie pour s’exacerber.
C’est en effet l’embrasement à tous les niveaux sur le terrain politique. Les débats sont de plus en plus houleux et les haines de plus en plus tenaces. Barthélemy Dias, lors d’une sortie la semaine dernière, a encore accablé Macky Sall quant à la persécution dont font l’objet les opposants. Il a dans la foulée qualifié le dossier sweet beauté de « complot d’état », prévenant au passage contre les risques d’embrasement du pays, tout en demandant à son « grand », Macky Sall en l’occurrence, d’inviter l’opposition à la table de la discussion.
Mimi Touré elle, est déchue de son mandat de député, mais maintient le cap de la lutte contre le 3ème mandat. Elle a ainsi demandé aux populations de s’insurger contre et a même fait un clin d’œil aux forces de sécurité, lors de sa conférence de presse du jeudi 26 janvier. Comme Ousmane Sonko, d’ailleurs lors de son méga rassemblement de Keur Massar.
Les cadres de Pastef eux, sont montés au front et poussé un grand coup de gueule face à ce qu’ils considèrent comme une volonté d’amener Ousmane Sonko à l’échafaud. Ils ont tous « fait leur testament ». De même, les députés de la coalition « Yewwi Askan Wi », emmenés par Birame Soulèye, le président du groupe parlementaire à l’Assemblée nationale, n’ont pas également été absents de la fronde puisqu’ils s’en sont pris à l’ex-procureur de la république, Serigne Bassirou Guèye qui a abordé le dossier sweet beauty en conférence de presse.
Bref c’est le front politique qui est en ébullition et la sortie de l’ancien procureur de la république n’est pas du tout pour arranger les choses, surtout au moment où l’on s’achemine vers le procès Ousmane Sonko-Adji Sarr, même si les conseils du leader de Pastef ont introduit un recours à la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Dakar pour faire annuler l’ordonnance de renvoi délivré par le Doyen des juges, Oumar Maham Diallo, contre Ousmane Sonko et Ndèye Khady Ndiaye.…
Toujours est-il que la sortie de Serigne Bassirou Guèye a interpellé bon nombre de Sénégalais, tant elle manquait de prétexte. Elle est même révélatrice d’un certain manque de sérénité et de hauteur. A « Soir d’infos » sur la TFM, Daouda Mine, chroniqueur judiciaire, a rappelé que beaucoup de parquetiers et même des juges d’instruction, ont eu à subir des attaques par des politiques dans le cadre de dossiers où des hommes politiques ont été impliqués. Il a par exemple cité le cas du procureur Abdoulaye Gaye, jadis attaqué par Me Wade sur son fameux flagrant délit continu ; il en est de même du dossier Idrissa Seck, placé sous mandat de dépôt à l’époque dans le cadre d’un dossier entre les mains du doyen des juges de l’époque Seynabou Ndiaye Diakhate et la Haute cour de justice présidée à l’époque par Cheikh Tidiane Diakhate. Pour ne pas dire un dossier géré à l’époque par le couple Diakhaté.
Tout cela pour dire que l’ex-procureur aurait pu se passer de cette sortie inopportune puisqu’en l’occurrence le dossier n’est plus le sien, mais bien celui d’Amath Diouf l’actuel procureur. Ce d’autant plus que si Serigne Bassirou Guèye a fait le réquisitoire introductif, c’est l’actuel procureur de la république Diouf qui a fait le réquisitoire définitif.
Une manière d’invoquer le caractère unique et indivisible du parquet et de convoquer le devoir de réserve qui sied aux magistrats. Un dossier qui est en tout partout et qui concerne beaucoup d'acteurs. Ce qui a d’ailleurs poussé le journal « Enquête » à évoquer à sa une du jeudi 26 janvier, une justice « dans la rue ! ». Une manière de dénoncer une affaire privée, judiciaire, devenue finalement une affaire d’état et dans laquelle, il décrit « un chaos presque généralisé, une sorte de sauve-qui-peut où chacun cherche à sauver sa peau : magistrats, avocats, officiers, marabouts, politiciens, charlatans, tous traduits devant le tribunal populaire. »
De mémoire de Sénégalais, en effet, un tel spectacle aussi désolant n’a jamais eu lieu sous nos cieux. Un ex-procureur qui évoque un dossier en public, alors que le procès est en voie d’être entamé. Serigne Bassirou Guèye a par exemple relevé certaines contradictions sur le PV et fourni des explications sur les rapports et des photos, même s'il a été muet sur le certificat médical. Il met, sans s’en rendre compte, de l’eau dans le moulin des avocats de Sonko.
Mais c'était prévisible, Serigne Bassirou Guèye en faisant cette sortie, devait s’attendre à un effet boomerang. Aussi, c’est une réponse du berger à la bergère que lui ont servie les cadres de Pastef, le jeudi 26 janvier. Ceux-ci l’ont, en effet, dépeint comme quelqu’un qui « n’a pas la conscience tranquille » et qui « a fait preuve d’excès de zèle dans le dossier Adji Sarr”. Sa tentative même de « décrédibiliser certains, dont l’ex-capitaine Touré et tous ceux qui ont dit des choses contre lui dans une enquête commanditée par la gendarmerie », a été fortement relevée.
Une posture de l’ex-procureur toutefois incompréhensible et inadmissible. Comment a-t-il pu aller jusqu’à évoquer la santé mentale de l’ex-capitaine de gendarmerie ? Une attitude tout à fait déplorable ; un pas qu’il n’aurait jamais dû franchir. Il y a des choses que la décence interdit quand bien même cela aurait été vrai !
Le capitaine Seydina Oumar Touré n'a d’ailleurs pas tardé à réagir le même jour après la sortie de l'ex-procureur de la République, Serigne Bassirou Guèye, précisant à l’opinion publique nationale que ces déclarations d’une extrême gravité le concernant, sont manifestement inexactes. « Ayant été l’auteur de l’enquête dans ce dossier, l’obligation de réserve qui pèse sur moi me contraint de ne pas en entretenir un débat public sur cette affaire en cours. Toutefois, je reste, au besoin, à la disposition de la commission d’enquête indépendante annoncée par le ministre des Forces armées depuis le 08 avril 2021 que j’attends depuis lors, pour apporter tous les éléments de nature à démontrer le caractère fantaisiste des propos et faits qui me sont imputés".
Vendredi 27 janvier, ce sont les députés de Yaw qui ont à leur tour face à la presse, réaffirmant leur soutien à Ousmane Sonko, tout en s’engageant à se battre à ses côtés jusqu’au bout. Et lors de cette sortie aussi, l'ancien procureur en a bien pris pour son grade. Ceux-ci ont, en effet, soutenu qu’ils sont plus que déterminés à défendre Ousmane Sonko, quitte à y laisser leur vie. Tout au plus, ce dernier considère-t-il l'ancien procureur comme « une déception de l’administration ». Il l’ont même accusé d’être « un acteur du procès » en tant que procureur et d’avoir « chargé Ousmane Sonko » relevant au passage « sa haine contre Ousmane Sonko qui ne s’explique nullement ». « La haine n’a jamais été un bon conseil. ». Ces députés sont même persuadés que « Macky Sall est en train de l’insulter (ndlr) parce qu’il a passé son temps à dévoiler l’exactitude du complot », ont-ils déclaré.
Mais au-delà de la posture de Serigne Bassirou Guèye, ce qui est sidérant à noter, c’est la RTS qui est à l’œuvre dans ce dossier en prenant le soin de relayer toute la conférence de l’ex-procureur de la République ; et Le Soleil qui est tout aussi étonnant puisqu’il a barré à sa une du vendredi 27 janvier : « Serigne Bassirou Guèye clarifie et avertit… ». Une posture des organes publics bien trouble qui peut laisser croire que c’est l’Etat qui communique, alors qu’on aurait pu comprendre que c’est Serigne Bassirou qui tentait de se débarrasser d’accusations contre sa personne.
Un dossier qui a en tout cas fini de créer une psychose de la violence au point de générer des appels au calme et à la retenue, de partout. Certains en sont même arrivés à fustiger les propos d'Alioune Tine qui a évoqué les choses en termes de guerre civile. Des propos fortement condamnés mais sauf que, même si ses propos semblent exagérés, Tine est dans son rôle d'alerte, comme il y a été si souvent d'ailleurs.
Toujours est-il que l’ex-procureur a en tout cas raté l’occasion de se taire. Et il aura bien réussi à relancer le débat en rendant l’affaire encore plus floue. Comme quoi, quand on n’a rien de mieux que le silence….