NETTALI.COM - Le projet de loi autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale et de la convention d’extradition entre le Sénégal et la France a été adopté par l’Assemblée nationale française. Au Sénégal, le ministre des Affaires Etrangères, Aïssata Tall Sall a présenté le projet de loi au Conseil des ministres, jeudi dernier, mais le chef de l’Etat, Macky Sall a suspendu la procédure à l’approbation du Sénat français.
Le 7 septembre 2021, le Sénégal et la France ont conclu une convention d’entraide judiciaire en matière pénale et d’extradition entre les deux pays. Approuvé le 24 août par le Président Macron en Conseil des ministres, le projet de loi a reçu l’approbation de l’Assemblée nationale française le 1er février dernier. Sur 123 votants, 118 suffrages se sont valablement exprimés, 94 députés ont voté pour son adoption, 24 députés ont voté contre. Au Sénégal, le Président Macky Sall ne veut pas aller plus vite que la musique.
Lors du Conseil des ministres territorialisé du jeudi dernier tenu à la gouvernance de Thiès, au titre des textes législatifs et réglementaires, le projet de loi autorisant le président de la République à ratifier la convention d’extradition entre le gouvernement de la République du Sénégal et le gouvernement de la République française, a été présenté par le ministre des Affaires étrangères du Sénégal, Aïssata Tall Sall. Mais, le projet de loi n’a été ni examiné, ni approuvé, séance tenante. Après renseignements, le chef de l’Etat a demandé à son gouvernement d’attendre que le projet de loi soit approuvé par le Sénat français, à la suite de l’Assemblée nationale française. Le Président pourrait bientôt y apposer sa signature, puisque le projet de loi adopté par l’Assemblée après engagement de la procédure accélérée, a été transmis le même jour au Sénat par le Premier ministre Élisabeth Borne. Le projet de loi a été reçu par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.
Par ce projet de convention d’entraide judiciaire, les autorités sénégalaises veulent moderniser le cadre conventionnel de la coopération judiciaire en matière pénale initialement défini par la convention de coopération en matière judiciaire du 29 mars 1974, qui est toujours en vigueur. Le Sénégal compte essentiellement adapter le cadre juridique aux techniques modernes d’investigation et de communication, faciliter le recouvrement des avoirs criminels et favoriser la fluidité des échanges. La France a répondu favorablement à ce souhait fort et réitéré. Toujours dans l’exposé fait devant l’Assemblée nationale française, il est dit qu’en matière d’entraide judiciaire pénale, la France a adressé 109 demandes au Sénégal depuis le 13 janvier 2013 et 17 dénonciations officielles – notez qu’aucune demande d’entraide en cours ne porte sur des faits de terrorisme.
La première convention prévoit la transmission directe des demandes entre les autorités centrales, c’est-à-dire entre le ministère de la Justice de la République française et le ministère de la Justice de la République du Sénégal. Elle règle également les modalités de coopération aux fins d’obtenir l’identification, le gel et la confiscation d’avoirs criminels. La seconde convention, quant à elle, énonce l’engagement de principe des parties de se livrer réciproquement les personnes qui, se trouvant sur le territoire de l’une d’elles, sont poursuivies par une infraction pénale ou sont recherchées aux fins d’exécuter une peine privative de liberté, prononcée par les autorités judiciaires de l’autre partie. D’une part, la convention d’entraide prévoit que l’entraide peut être refusée, en particulier si la demande se rapporte à des infractions politiques ou connexes à des infractions politiques, ou si l’exécution de la demande est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l’ordre public ou à d’autres intérêts essentiels de la partie requise.
D’autre part, la convention d’extradition prévoit plusieurs motifs de refus, notamment lorsque la partie requise considère que la personne recherchée est réclamée pour une infraction politique, ou lorsqu’elle a des raisons sérieuses de croire que l’extradition a été demandée aux fins de poursuivre ou de punir une personne pour des considérations de race, de genre, de religion, de nationalité ou d’opinion politique. Enfin, une demande d’extradition est rejetée si la personne réclamée doit être jugée dans la partie requérante par un tribunal d’exception n’assurant pas les garanties fondamentales de procédure ou doit exécuter une peine infligée par cette même juridiction.
Les craintes des députés français
Lors de la discussion générale qui a suivi l’exposé du projet de loi, des députés ont soulevé leurs craintes quant à une politisation des conventions. Arnaud Le Gall de la France insoumise est d’avis qu’il n’existe pas de texte juridique sans portée politique, a fortiori en droit international. «Y a-t-il urgence à adopter, à l’initiative du gouvernement sénégalais, la nouvelle version d’une convention déjà en vigueur depuis 1974, alors même que cette dernière a déjà été complétée par plusieurs mécanismes juridiques multilatéraux ? Non, car on ne peut ignorer le contexte politique sénégalais marqué par la dérive d’un Président qui réprime et criminalise son opposition. Cette même opposition sénégalaise nous parle ; sachons l’entendre. En l’état, nous dit-elle, cette convention pourrait être détournée au service des objectifs politiques du Président Macky Sall», soutient-il.
Selon lui, l’élection présidentielle est prévue dans un an, donc le moment est mal choisi «pour donner au Président sénégalais, avec la ratification de ces conventions, une forme de brevet en État de droit.» «La France insoumise soutient, évidemment, le principe de coopération en matière judiciaire. Mais, eu égard aux faits énumérés ci-dessus et dans la mesure où il existe déjà une convention entre la France et le Sénégal dont la modernisation ne présente aucun caractère d’urgence, notre groupe s’opposera à ce texte. Il y va du respect des droits du peuple sénégalais et donc de l’amitié entre les peuples français et sénégalais.» Dans la même veine, la député Ersilia Soudais (Lfi-Nupes) a rebondi sur les événements politiques majeurs qui ont marqué le Sénégal ces derniers mois.
«En mars 2021, Amnesty International dénonçait une vague d’arrestations arbitraires d’opposants et d’activistes pour des motifs fallacieux, et pointait du doigt le recours excessif de la force à l’encontre de manifestants. Que dire encore de la récente arrestation du journaliste Pape Alé Niang ? Les charges pesant sur lui étaient fantaisistes et politiques. Dans ce contexte, comment garantir que les oppositions politiques ne seront pas davantage muselées sous l’effet d’une convention dont nous devons autoriser l’approbation ? Pouvons-nous affirmer que nous n’assisterons pas à une recrudescence des emprisonnements politiques sous couvert de lutte antiterroriste, destinée à laisser le champ libre au maintien d’un système autocratique ? Voter en faveur de cette convention ne contribuera-t-il pas, finalement, à nourrir le sentiment antifrançais, qui renvoie au rejet d’un système perçu comme oppresseur ? Chers collègues, nous ne pouvons pas en être les complices ; c’est pourquoi nous vous enjoignons de voter contre ce texte.» Des députés comme Amélia Lakrafi favorables à la ratification des deux conventions pensent que ce sera l’occasion pour le Sénégal et la France, d’approfondir leur relation sur des bases saines et avec des objectifs clairs visant à améliorer le fonctionnement de la justice entre les deux pays ainsi qu’à lutter contre le terrorisme et le crime organisé.
Kévin Pfeffer a quant à lui estimé que le renforcement de la politique d’entraide entre les deux nations pour la lutte contre la criminalité et le développement des relations franco-africaines va dans le bon sens. Il serait d’ailleurs souhaitable, selon lui, que le gouvernement français travaille à des accords similaires avec d’autres pays africains.