NETTALI.COM - Comme tous les démembrements de l’Etat, institutions comme administrations, la justice connaît des problèmes. Des problèmes reconnus et relayés par ses acteurs à travers l’Union des magistrats du Sénégal et d’autres acteurs aujourd’hui à la retraite. Mais est-ce une raison suffisante pour s’en prendre à toute une corporation et jeter l’opprobre sur la profession ?
De récentes sorties sur les réseaux sociaux tendent vers cette direction. Et le prétexte saisi, est le récent chamboulement dans la magistrature, suite aux nominations issues de la dernière réunion du Conseil supérieur de la magistrature. Se plaindre des dérives contre cette institution qu’est la justice, ne doit toutefois pas empêcher de scruter les problèmes à la loupe et de tenter de les résoudre.
Les citoyens ont évidemment le droit de revendiquer une justice à leur service qui tranche les litiges de manière équitable, c’est sûr. Mais il serait dangereux, même en admettant cela, de chercher à discréditer une justice qui, de toute façon, continuera à assumer son rôle. L’on ne va quand même pas démanteler toute un corps parce que des citoyens ont décidé qu’elle fonctionne mal à leur goût. Une manière de dire qu’il serait bien plus sage et plus logique de chercher à améliorer l’institution judiciaire dans une logique de réforme positive, plutôt que le contraire.
Vouloir faire accréditer l’idée selon laquelle tous les acteurs de la justice sont mauvais parce qu’il y aurait des désaccords dans la manière dont une certaine justice est rendue, est une posture bien injuste. Cela relève même, à la vérité d’une sorte d’utopie qu’il serait dangereux de chercher à promouvoir. L’anarchie ne serait pas à vrai dire, une meilleure solution.
Ce dont il est à la vérité, question, c’est le contentieux qui concerne les politiques. Il est la source actuelle de beaucoup de tensions, du fait de nombreuses contestations dans des affaires touchant au politique et pendantes devant la justice. Une affaire de supposé viol et de diffamation qui peut conduire à l’inéligibilité d’un candidat très populaire qu’est Ousmane Sonko, en cas de condamnation définitive. Ce contentieux politique est certes bien minime au regard de l’ensemble, mais son impact est très important pour l’avenir de la nation. Ce qui en fait une raison bien valable pour réformer la justice dans un sens qui créera moins de suspicions dans l’administration de la justice qui touche les affaires politiques. Les jurisprudences Khalifa Sall et Karim Wade sont là pour surveiller cette justice qu’on ne devrait nullement laisser faire à sa guise, aux yeux d’une certaine opinion. Ce qui crée de fait des frictions.
Mais au-delà, tout cela ne veut point dire que le reste du contentieux bien plus important en termes de volume, ne souffre pas de problèmes : procédures trop longues, insuffisance du nombre de juges, problèmes de moyens, mandats de dépôt systématiques relevés par un ancien ministre de la justice, longues détentions, pouvoirs exorbitants du procureur, etc.
Téliko et l’obsession de l’indépendance de la justice
Ce qui plaide davantage en faveur de cette réforme de la justice, est que ce sont des magistrats qui, en son temps, avaient demandé à Souleymane Téliko, l’ancien Président de l’Union des Magistrats du Sénégal (UMS) de plaider leur cause. Celui-ci a par conséquent passé le temps de son mandat à plaider pour l’indépendance de la justice, déplorant un certain nombre de pratiques telles que la composition du Conseil supérieur de la magistrature, composé en majorité de membres de droit (14) bien supérieurs aux membres élus au nombre de 4. Sans compter en plus le président de la république et son vice-président qui est le ministre de la justice.
Le magistrat Téliko déplorait aussi le fait que les nominations des magistrats soient proposés par le ministre de la justice. Ce qui est un gros souci pour l’indépendance de la justice par le simple fait que les magistrats récalcitrants étaient écartés.
Une autre posture à laquelle, il s’était toujours montré défavorable, c’est le fait que le ministre de la justice puisse faire des réquisitions écrites aux membres du parquet.
L’insistance de Souleymane Téliko sur la question de l’indépendance de la justice, a été d’ailleurs telle qu’il a fini par laisser croire à une obsession. La suite est connue, c’est la première fois dans l’histoire qu’un ministre de la justice en l’occurrence Malick Sall, autorisait qu’un magistrat, poursuivi par un particulier, soit livré à la justice.
Alioune Ndao ou la liberté retrouvée
Il n y a pas que Souleymane Téliko qui a fait de ce sujet, son cheval de bataille. L’ex-procureur du parquet spécial de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), Alioune Ndao, aujourd’hui à la retraite, avait eu à commenter les décisions prises lors de la réunion du Conseil supérieur de la magistrature, un certain lundi de novembre 2021. Il dénonçait alors le mode de nomination des magistrats, l’affectation-sanction de l’ex président de l’Ums le juge Souleymane Teliko, non sans se prononcer sur l’indépendance de la justice qui selon lui, est loin d’être une réalité. Il dénonçait ainsi le signe d’un grand fossé entre la justice et le justiciable, ainsi qu’une crise de confiance entre la justice et les justiciables.
« Le principe d’indépendance de la Justice est consacré par la constitution », disait-il, mais, ce ne sont que des écrits, relativisait-il. Dans la réalité, relevait-celui-ci, la justice sénégalaise n’est pas indépendante, ajoutant que même s’il y a des magistrats qui veulent faire preuve d’indépendance dans leur travail, la justice elle-même, le système lui-même, n’est pas indépendant ». Il dénonçait le phénomène sur les ondes de la Rfm.
Ndao pour davantage préciser sa pensée, soulignait à cet effet que « le pouvoir exécutif tient le pouvoir judiciaire puisqu’il le nourrit et lui fournit les moyens de son fonctionnement. ». Il faisait ainsi remarquer au passage que « le pouvoir législatif a ses moyens propres. Qu’il ne dépend pas de l’exécutif, alors que le budget des magistrats des tribunaux, est inséré dans celui du ministère de la Justice ». Donc s’interrogeait celui-ci : « comment peut-on parler d’indépendance dans ce cas ? ».
Sur la question des affectations, celui-ci, pour en finir avec les règlements de comptes qui sous-tendent certaines, avait dévoilé les revendications des magistrats à ce propos, estimant que « c’est le ministre de la Justice qui propose la nomination de tous les magistrats. ». « Ce que les magistrats revendiquent, c’est que ce pouvoir de proposition conféré au ministre de la Justice, soit enlevé et remplacé par une commission collégiale qui va scruter les dossiers des magistrats candidats à un poste pour proposer au Conseil supérieur de la magistrature les plus méritants», proposait-il.
Il faut, selon Alioune Ndao, que la nomination du juge n’émane pas de la tutelle, le ministère de la Justice. « Tant qu’ils n’instaurent pas cela, le magistrat à son poste, n’osera pas faire certaines choses car il se dira qu’il sera démis. Je vous parle d’expérience. Tout magistrat qui voudra incarner une certaine indépendance, sera alors démis au prochain Conseil supérieur de la magistrature », avait insisté Alioune Ndao.
Sur un autre chapitre, dans un entretien qu’il avait accordé à la presse, un certain jeudi 25 mars 2021, en marge de l’atelier de l’Union des magistrats sénégalais (UMS), sur le thème « L’Etat de droit et indépendance de la Justice : Enjeux et perspectives de réformes », Alioune Ndao, est encore revenu sur son départ de la CREI, car, limogé en plein procès de Karim Wade. Une attitude de l’exécutif qui, selon lui, est révélatrice d’un certain mépris que le pouvoir exécutif a à l’endroit du pouvoir judiciaire. Comment peut-on relever un procureur en pleine audience parce que simplement le procureur était en train de faire son travail correctement ?
Délires de réseaux sociaux !
Une fois tous ces constats dressés sur la question de l’indépendance de la magistrature, doit-on pour autant jeter le discrédit sur tous les juges lorsqu’un jugement ne va pas dans le sens souhaité. Qu’il soit politique ou pas ?
Les réseaux sociaux qui sont désormais devenus ces lieux de règlements de comptes où l’on avance masqués, nous administrent suffisamment la preuve de contrevérités distillées sous l’angle de manipulations opérées pour discréditer le travail des juges. Récemment, des magistrats nommés à des postes jugés stratégiques, sont la cible d’attaques sans précédent, contexte de chamboulement dans la magistrature oblige. Et beaucoup ont parlé de ce corps sans même pouvoir faire la différence entre le parquet et le siège. Le constat qui est d’autant plus grave sur ces réseaux, c’est qu’il y a de vraies entreprises de dénigrement visant à entacher l’honorabilité d’honnêtes juges, sans se soucier de la vérité.
Hamady Diouf passe du parquet au siège, ou plus exactement du poste de procureur de la république à celui de président de la Cour d’appel, l’on nous fait comprendre qu’il est non seulement récompensé, mais pire, il est en mission commandée pour truquer la présidentielle à venir. Sacrée inspiration de détracteurs ! Ils parlent comme s’il suffisait d’être président de la commission de recensement des votes pour pouvoir falsifier des résultats dans le sens voulu. Loin de défendre la transparence d’un processus qui se déroule d’amont en aval de l’élection, ceux-là qui assènent « leurs vérités » sur ce sujet, ne se rendent pas compte que les résultats des élections sont remontés des bureaux de vote aux commissions départementales, puis au niveau de la Cour d’appel dans des assemblées où prennent part les membres de la Commission nationale de recensement des votes, les mandataires des partis, etc.
De même est agitée l’idée selon laquelle Amady Diouf, l’ancien procureur de la république, est promu pour éventuellement juger Ousmane Sonko au cas où il venait à faire appel dans le cadre d’une condamnation en première instance. Suprême fantasme ! Ceux qui se lancent dans ce complotisme insensé, ne se rendent certainement pas compte qu’Amady Diouf ne peut pas avoir fait le réquisitoire définitif dans le dossier Adji-Sarr-Ousmane Sonko en tant que procureur de la république et hériter de l’affaire en jugement d’appel dans un tribunal qui de toute façon, est collégial, c’est-à-dire où officie trois juges. Il y a dans ce cas-là ce qu’on peut appeler de l’incompatibilité ou un conflit d’intérêt.
Tout cela pour dire que les internautes et tous ceux qui se nourrissent des histoires du net et des réseaux sociaux, se doivent d’être prudents par rapport à tout ce qu’ils consomment comme flux d’informations souvent manipulées et inventées de toutes pièces.
Pour la petite histoire, le désormais ex-procureur, nommé en novembre 2021, a été un bien éphémère procureur de la république pour n’avoir passé que 15 mois au parquet de Dakar. Certaines informations font ainsi valoir qu'il était trop gradé pour le poste. Ce qui explique ce si court passage. Serigne Bassirou Guèye qui a occupé le poste pendant 9 ans, était en effet son cadet au centre de formation judiciaire et les camarades de promotion d'Amady Diouf étaient soit déjà dans les cours d'appel ou à la Cour suprême. Une situation qui vient d'être corrigée en 15 mois. Ce qui signifie qu'après le parquet, Diouf est devenu directement 1er président de la Cour d'appel sans passer par les postes intermédiaires.
Même procédé sur les réseaux sociaux au sujet du parquetier Ibrahima Bakhoum, devenu procureur général de la Cour d’appel. Il a été décrit à tort comme un juge corrompu qui avait été sanctionné et affecté pour cette raison. Lors de son installation supervisée par Cheikh Tidiane Lam, l’actuel patron de l’Inspection générale de la justice (IGAJ), ce dernier a tenu à faire une précision de taille, selon laquelle, même s’il est assujetti à l’obligation de réserve, il peut témoigner que toutes les informations distillées à l’encontre d’Ibrahima Bakhoum, ne sont pas conformes à la vérité. Celui-ci a en effet fait savoir qu’il était inspecteur à l’IGAJ au moment des faits reprochés à Ibrahima Bakhoum. Une manière de dire qu’il peut témoigner que l’Inspection générale de l’administration de la Justice ne l’a jamais épinglé pour des affaires liées à la Corruption ou à l’usure. Le rapport de l’IGAJ n’avait en effet retenu aucune faute disciplinaire le concernant. Mieux, au moment où cette affaire éclatait, Bakhoum n’était plus en fonction au parquet de Dakar
Le magistrat Lam a d’ailleurs expliqué ne pas pouvoir s’épancher sur la question, estimant que «les acteurs sont là » et « ont la liberté de vous dire les tenants et les aboutissants de cette affaire », Avant d’ajouter ; « retenez que rien n’avait été trouvé qui puisse faire douter de la probité morale de Bakhoum».
En vérité, la descente aux enfers d’Ibrahima Bakhoum a vraiment commencé avec l’affaire Abdoul Aziz Tall. En 2005, après 11 mois de détention provisoire, Abdoul Aziz Tall, ancien Directeur général de la Loterie nationale sénégalaise (Lonase), est traduit devant le tribunal correctionnel de Dakar. L’ancien dignitaire socialiste était poursuivi pour abus de biens sociaux. Ibrahima Bakhoum, alors premier substitut du procureur de la République de Dakar, démonte l’accusation. Il expliquera devant le tribunal, présidé à l’époque par Mahawa Sémou Diouf, qu’Abdou Aziz Tall ne peut être poursuivi pour abus de biens sociaux. A la limite, on aurait dû l’incriminer pour détournement de deniers publics.
Et même cette dernière infraction n’est pas constituée. Si faute il y a, avait-il souligné, ce n’est qu’une faute de gestion passible de la chambre de discipline financière. Il avait, par conséquent, requis la relaxe pure et simple. Le tribunal l’avait suivi dans ses réquisitions. Ibrahima Bakhoum venait de dire le Droit. Ce que le régime de Wade ne lui a jamais pardonné. Il récoltera une demande d’explication de sa hiérarchie. Une mesure illégale suivant ce que l’adage dit, à savoir que «la plume est serve et la parole est libre». Autrement dit, un magistrat du Parquet a toute sa liberté de penser quand il prend ses réquisitions orales. Pis, son ministre de tutelle de l’époque était entré en conflit ouvert avec lui en le faisant affecter à la Cour d’appel de Ziguinchor qui n’était pas encore mise en place.
Plus tard, son nom est cité dans la célèbre affaire de corruption dans la magistrature, et dans une autre histoire d’usure. Malgré le fait que l’Inspection générale de l’administration de la Justice (Igaj), après une investigation poussée, l’avait complètement blanchi, Ibrahima Bakhoum est contre toute attente, sanctionné et mis au frigo. Mais, comme il était quitte avec sa conscience, il est resté droit dans ses bottes. A l’époque, la loi ne permettait pas à un magistrat de former un recours suite à une sanction disciplinaire.
Toutefois, pour laver son honneur, il avait, via son pool d’avocats coordonné par l’un des conseils actuels d’Ousmane Sonko, Ciré Clédor Ly, saisi la Commission de lutte pour la transparence, contre la corruption et la concussion (Cnlcc). Dans la lettre adressée à cette entité créée par Me Abdoulaye Wade et remplacé plus tard par l'Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac), il dénonçait les sanctions qui lui ont été infligées injustement.
Après investigation, la Cnlcc n’avait retenu aucun fait de corruption le concernant et avait recommandé à la justice de permettre aux magistrats sanctionnés d’avoir un droit de recours pour éviter qu’on ne les lèse.
Ce n’est que bien plus tard qu’Ibrahima Bakhoum reviendra dans les bonnes grâces de sa hiérarchie en rejoignant le ministère de la Justice où il occupera les fonctions de Directeur des affaires criminelles et des grâces et Conseiller technique en charge des affaires pénales et de la coopération pénale internationale.
En 2013, il regagne le parquet comme Substitut général au Parquet général de Dakar avant être promu Avocat général près la Cour d’Appel de Dakar. Depuis hier, il est officiellement Procureur général de la Cour d’appel de Dakar.
Ces remarques faites sur ces fantasmes autour des récentes nominations dans la justice, ne doivent toutefois pas conduire à penser que la justice ne connaît pas de problèmes ? Mais il s’agit surtout de noter qu’il n y a pas un grand intérêt à affaiblir la justice, car au finish tout le monde risque d’y perdre. Les Assises nationales étaient hélas la bonne occasion pour réformer bon nombre d’aspects dans le fonctionnement et l’organisation de la justice. Une étape importante ratée, surtout que Macky Sall avait déclaré qu’il prendrait ce qui lui plairait dans ce rapport issu des Assises nationales. Mais à l’arrivée, rien n’a été fait. Ce qui fait de la réforme des institutions, une demande sociale toujours d’actualité qu’il ne faudra certainement jamais cesser de réclamer. Gare à la tentation de faire feu de tout bois en poursuivant le jeu qui vise à discréditer tous les juges et toute la justice. Que feraient et diraient les détracteurs de la justice si demain celles-ci venaient à rendre une décision à eux favorable ?