NETTALI.COM - Beaucoup de ceux qui s’activent aujourd’hui sur le terrain politique étaient bien jeunes ou pas encore nés, quand Me Abdoulaye Wade, alors leader tout puissant de l’opposition sénégalaise, mobilisait les jeunes dans la rue pour instaurer des bras de fer continus et stressants au président Abdou Diouf. Ceux qui connaissent bien Me Wade diront que le plan développé à l’époque par le « Pape du Sopi » est celui qu’on appelle « Stratégie du bord du gouffre », qui consiste à entrainer son adversaire jusqu’au sommet de la falaise, pour lui faire entrevoir le danger de la chute (et donc de la mort certaine).
Mais Me Abdoulaye Wade, « gaindé » et « leuk » en même temps, savait aussi manier les bonnes vertus de la discussion. Il laissait toujours des brèches et une ouverture pour désamorcer la « bombe » avant qu’elle n’éclate, au prix souvent de sa crédibilité politique. C’est bien cette posture qu’il partageait avec des hommes à l’intégrité reconnue, tels Maguette Thiam, Dansokho, Bathily, etc., qui a rendu possible les différents gouvernements d’union que le Sénégal a connus dans les années 90. C’est aussi cela la différence fondamentale entre le « Bleu en chef » de la période des braises et les nouveaux caïds de la pègre politique.
Mais aujourd’hui ce à quoi l’on assiste, c’est une guerre sans merci, dans une sorte de jeu de la mort entre le pouvoir en place et Ousmane Sonko, l'opposant le plus populaire et le plus frontal. Les appels au calme des chefs religieux ne sont plus écoutés et encore moins entendus. La société civile est elle, en grande partie devenue bien trop politisée et affaiblie pour assumer convenablement son rôle.
On assiste à un vrai ensauvagement de l'espace politique. Et disons clairement la politique s’est gravement dépréciée sous nos Tropiques. Il y a aujourd’hui comme une sorte de « rachitisation » continue des us et codes. Et c'est le paradigme musculaire est aujourd'hui devenu le seul facteur pour réguler les rapports.
Un autre fait qu'il sera difficile d'occulter, c'est la manière dont la justice est rendue. Il y a en effet une perception d’un sentiment de « deux poids, deux mesures » chez une partie de l’opinion sénégalaise dans le traitement de certaines affaires, politiques notamment au plan judiciaire. Une perception selon laquelle la justice penche d’un côté et qu’elle se montre particulièrement sévère à l’endroit des militants du parti Pastef.
La situation est tellement trouble qu’il y a un vent de menace sur la paix qui souffle. Avouons que pour un pays jadis connue pour sa stabilité et ses vertus du dialogue, cela est de plus en plus inquiétant.
Mais qu’est-ce que ce sentiment d’injustice exacerbe les tensions, surtout avec cette lutte pour le pouvoir en direction de 2024 et la question du 3ème mandat ! Elle est même devenue l’objet de toutes les frictions et de tous les affrontements.
Le pays légué par Senghor, Diouf et Wade, est aujourd’hui divisé, connaît des clivages sans précédent ; et l’intolérance règne désormais en maîtresse, à un point tel qu’il devient impossible d’avoir des débats sereins, aussi bien sur les plateaux télés, entre amis, qu’au sein d’une même famille.
Que des Sénégalais dénoncent des vagues d’arrestations dans le camp des Pastéfiens à travers les médias, les réseaux sociaux et même dans des discussions, doit nous inciter à nous arrêter et à reprendre nos esprits. Ce qui renforce d’autant plus ce sentiment d’injustice, est que selon les tenants de ces thèses, les victimes d’arrestation ne se trouvent que dans un seul camp, celui de l’opposition.
Des dérives existent pourtant dans le camp du pouvoir
Et pourtant à y regarder de plus près, l’on réalise sans avoir besoin de chercher longtemps ou de remonter très loin dans le temps, que des membres du camp du pouvoir, voire des proches du président de la république, se sont faits distinguer par des dérives verbales qui devraient tomber sous le coup de la loi, sans qu’elles ne soient pourtant suivies de conséquences.
Récemment, Tall Ngol Ngol, cet animateur de la 2 STV très favorable au régime en place, s’est distingué par une sortie matinale des plus violentes sur la chaîne. Il a asséné dans une de ses prises de ses tribunes, avec assurance déconcertante et sans remords aucun d’ailleurs, des propos si peu amènes contre Ousmane Sonko. Il y a de quoi s’indigner du silence des autorités.
« Celui qui veut brûler le pays, c’est lui qu’on doit brûler. Nous on ne veut pas être brûlés. Passer son temps à dire que le pays ne marche pas et vouloir détruire tout ce qui se fait construire dans ce pays… Il y a des personnes qu’il vaut mieux tuer plutôt que de les laisser vivre. Un seul Sénégalais qui meurt pour que les autres aient la paix, ça ne fait rien. Celui qui veut brûler le pays, c’est lui qu’on doit brûler », a déclaré l’animateur qui a pourtant donné à son émission, une vocation éducative et morale.
Des propos choquants d’une rare violence qui ont entraîné une avalanche de réactions d’indignation, mais qui montrent en même temps que certains peuvent dire tout et n’importe quoi au cœur de la république, en toute impunité. Mais que fait Babacar Diagne du Cnra ? Lui qui s’en était récemment pris à Walfadjri en faisant couper le signal de la chaîne ! Bougane et sa chaîne de télé ont aussi fait les frais des interventions du Cnra !
Qu’en ont-t-il été des propos tout aussi choquants d’Aliou Dembourou Sow, de Penda Ba ou encore de Gaston Mbengue qui En temps normal, lorsque ces articles sont visés par le procureur de la République, ils conduisent automatiquement l’inculpé en prison. Seydi Gassama s’en était pris à Barthélémy Dias ? Des réactions qui font jurisprudence pour parler comme les juristes.
De même en se remémorant les propos incendiaires d’Ahmed Suzanne Camara, ces fameux appels au meurtre dirigés contre le leader de Pastef, peut-on continuer à être indifférents ? Ne doit-on pas se poser des questions sur le silence de la justice ? A côté, un El Hadji Malick Ndiaye, secrétaire à la communication de Pastef ou encore un Fadilou Keita, membre également du Pastef, emprisonné depuis décembre pour des post sur facebook, peuvent être considérés comme des anges.
El Malick Ndiaye a été bien plus chanceux que le second puisqu’il a échappé à la prison, après plusieurs jours de garde à vue et de retours de parquet grâce au bracelet électronique, cette innovation introduite dans le code pénal et le code de procédure pénale depuis 2020. Il a toutefois été inculpé pour «diffusion de fausses nouvelles de nature à jeter le discrédit sur les institutions nouvelles (article 255 du code pénal) et manœuvres et actes de nature à compromettre la sécurité publique ou à occasionner des troubles politiques graves ( article 80).
Avant lui, Waly Diouf Bodian, membre du protocole de Sonko, arrêté le 16 mars en marge des événements qui ont eu lieu au niveau de Stèle Mermoz avant d’être placé en garde à vue depuis ce jour au Commissariat central de Dakar, avait été libéré et placé sous contrôle judiciaire avec un bracelet électronique.
Inutile de dire que personne ne devrait cautionner quelque propos ou écrit que ce soit, d’où qu’ils viennent, malveillants ou à l’encontre de la loi, mais le fait est que les tenants de la justice doivent veiller à ce que les justiciables n’aient pas ce sentiment de rupture d’égalité suivant le camp auquel ils appartiennent.
Les manifestations devraient être autorisées, mais…
Devrait-on en arriver à interdire les manifestations ? C’est en tout cas un vrai bras de fer qui s’est engagé sur ce terrain depuis quelques temps entre Ousmane Sonko et le pouvoir en place sur la question des autorisations. Le Préfet de Dakar a interdit les marches que la coalition «Yewi Askan Wi» projetait d’organiser les 29 et 30 mars prochain à la veille du procès en diffamation opposant Mame Mbaye Niang à Ousmane Sonko, pour des risques de trouble à l’ordre public. Mais ce dernier n’en a cure. Désormais, lui et ses partisans marcheront avec ou sans autorisation, estimant que L’État n’a pas les capacités de retenir le peuple.
Un droit de manifester pourtant inscrit dans la constitution. La règle, dans le cas d’espèce, ne devrait pas être l’interdiction mais juste la déclaration préalable.
Des manifestations ont été souvent, dans le temps et sous tous les régimes, interdites pour les mêmes raisons en général précitées. Et pourtant, l’on note quotidiennement et de plus en plus que des artères et des routes à grande circulation sont barrées pour des raisons liées à des cérémonies familiales ou religieuses qui ne concernent en général que très peu de Sénégalais ? Qui les autorise ? Elles causent pourtant des désagréments importants.
Ce serait en tout cas une grande illusion d’attendre d’un état qu’il ne cherche pas à réguler la circulation sur la voie publique, de manière à ce que tous les citoyens puissent vaquer à leurs besoins et en toute quiétude. Ce serait même irresponsable de ne pas le faire. Mais encore faudrait-il que l’interdiction soit vraiment motivée pour des raisons évidentes de manque de service de maintien de l’ordre et de risques manifestes de troubles de l’ordre public encourus.
Les manifestations peuvent être encadrées. Une mission qui ne devrait dans tous les cas être assumée qu’avec intelligence et professionnalisme, en utilisant les vertus du dialogue et en dernier recours la force proportionnée en cas de débordements.
La meilleure manière de banaliser une manifestation, n’est-ce pas d’ailleurs de l’autoriser ? En procédant ainsi, l’on amoindrit l’impact, si tant est que c’est ce que l’autorité cherche. D’ailleurs les expériences récentes ont montré que les manifestations autorisées, ne comportent en général guère de heurts et encore moins de grabuges.
Les forces de l’ordre doivent donc faire preuve de plus de sérénité et de professionnalisme en se gardant de commettre certains actes, tels que briser des vitres ou gazer des opposants. Cela ne contribue en réalité qu’à attiser le feu et donner l’impression d’un arbitraire ou de la violence exercée sur des opposants.
Est-il vraiment nécessaire d’interdire à un citoyen de sortir de chez lui en limitant sa liberté d’aller et de venir que lui confère la constitution ? Assurément non. Seule la justice devrait en effet pouvoir le faire et pour de bonnes raisons. Ce qui reste plus raisonnable, dans les contrôles érigés autour du domicile d’Ousmane Sonko, c’est plutôt de minimiser au maximum les attroupements de manière à ne pas troubler la quiétude des voisins. De même l'on devrait conduire de force Ousmane Sonko à son procès sans mandat d'amener.
Manifester est une chose, mais piller et casser sont tout autre chose. Et il est bien inadmissible et honteux, de voir lors des manifestations, ces spectacles désolants de casseurs et pilleurs dévastant des commerces, cassant des véhicules, renversant des kiosques et pillant à tout va. Brûler des bus de « Dakar Dem Dikk », déjà en nombre limité, ne revient-il juste pas à priver les Gorgorlous d’un des rares moyens de transport à leur portée ? Et même en prétendant s’attaquer à des intérêts étrangers, ce sont des emplois qui sont ruinés et des investissements anéantis.
Rien, en effet, ne peut en effet justifier ces actes de pillage et de vandalisme, quel que soit le niveau de colère par ailleurs. Qu’ils soient des commerces étrangers ou nationaux, la dénonciation doit être le même. Et quelquefois, ce dont ces casseurs ne se rendent pas compte, c’est qu’ils ont affaire à des Sénégalais titulaires de licences ou gérants des franchises qui font les frais de ces pillages. Que l’on sache raison garder, notre tissu économique est déjà si faible qu’il faille préserver le peu qui en reste.
Qu’on en soit réduit à constater une ville morte, en baissant les rideaux des commerces, de banques et d’anticiper les vacances, voire de limiter les cours à des matinées, ou encore à garer des bus, est une situation tout à fait inacceptable.
Traduire en justice des manifestants pour des huées ou des actes banals, n’amène rien de plus que remplir les commissariats, brigades de gendarmerie et les prisons. Il faut par contre être sévère contre les pilleurs. Et ça, ce sera à juste raison !
La justice est quant à elle, un gage indispensable de la préservation de la paix dans toute société. En ce sens, elle un facteur d’équilibre et de sécurité pour les affaires et l’économie. Ce qui veut dire en d’autres termes dire qu’elle doit être rendue dans une logique d’égalité des citoyens ainsi que le dictent la constitution et la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Ce n’est d’ailleurs guère un hasard si elle est symbolisée par une balance, signe de l’équité qui fait référence à l’idée d’équilibre et de mesure.
On en revient finalement et toujours à l’éternelle réforme des institutions avec une place centrale à accorder à la réforme de la justice.