NETTALI.COM - Le nom du juge Mamadou Yakham Keita est entré dans l’histoire judiciaire du Sénégal. Après avoir jugé Barthélémy Dias il y a quelques années, il a également été chargé de vider l’affaire qui oppose Mame Mbaye Niang à Ousmane Sonko. Qui est ce magistrat qui a une vie en dents de scie ?
Le juge Mamadou Yakham Keïta est désormais sorti de l’anonymat. Le magistrat qui a présidé l’ultra médiatique procès portant en «diffamation, diffusion de fausses nouvelles et recel de documents administratifs» opposant le ministre Mame Mbaye Niang à Ousmane Sonko, le leader du Pastef, est aujourd’hui devenu très célèbre. Depuis jeudi dernier, après qu’il a vidé le sensible dossier qui a pris en haleine le pays durant presque deux mois, son nom est presque sur toutes les lèvres. Sur les réseaux sociaux, une partie du peuple incontrôlé du monde virtuel, commence déjà à déballer contre lui. Il est présenté comme un sympathisant encagoulé de Sonko en lui prêtant des posts-facebook qui datent de 2018 et 2019. Dans l’un des posts en question, on peut lire : «Chaque mot qui sort de sa (Sonko, Ndlr) bouche, est pour moi une solution à nos problèmes. Respect à ce Sonko.»
Dans les deux autres, c’est un live d’un rassemblement de l’opposition à la Place de la Nation. Même Mame Mbaye Niang qu’il a jugé, hier (NDLR jeudi 30 mars), n’a pas été épargné. Le juge Mamadou Yakham Keïta est-il le véritable propriétaire de ce profil ? En tout cas, ses détracteurs se sont cachés derrière leur clavier pour s’étonner qu’il ait accepté de juger cette affaire alors qu’il serait proche de Ousmane Sonko. D’ailleurs, le message posté par Me Khoureychi Bâ ne fait que conforter les détracteurs du magistrat dans leur position. «Et pourtant avec le dessaisissement du juge contesté et la nomination de M. Mamadou Yakham Keita au pied levé, la victoire de Sonko ne faisait plus l’ombre d’un doute», a écrit l’avocat de Sonko. Un message codé ?
Face à cette tempête qui s’abat sur le juge, Amar Mbodj, Officier d’état civil à la Mairie de Dalifort, a pris sa défense. Dans un post via Facebook, l’informaticien à la retraite, apporte la contradiction aux détracteurs de son «neveu» : «Mamadou Yakham Keita est un juge sérieux, compétent et intègre. Je sais qu’il n’aime pas qu’on parle de lui, mais j’ai pris mes responsabilités pour le défendre sans même l’avertir. Il ne connaît pas la peur. Donc, ceux qui veulent l'intimider perdent leur temps. Il jugera selon sa conscience et ses convictions. Aussi, il n'est pas influençable et il connaît bien son métier pour avoir bourlingué dans beaucoup de régions du pays et après s’être confronté à beaucoup de situations qui l'ont forgé et complété sa formation. Celui qui voudra l'intimider ou le nuire en paiera le prix fort et ce n'est pas une bande de lâches derrière les claviers qui le dévieront de sa trajectoire.»
Ce témoignage d’Amar Mbodj, qui a connu le juge quand il était étudiant, lève un coin du voile sur le trait de caractère et la personnalité de ce dernier, avec qui il partageait le quartier Dalifort vers les années 2000 (sa maison et celle de l’oncle du juge étaient séparées par une ruelle). Il est crayonné par ses proches comme «un homme engagé, rigoureux, courageux et à cheval sur les principes. Ces vertus cardinales qui ont fait de lui un magistrat très respecté, lui ont été inculquées par son papa qui ne badinait pas avec l’éducation de ses enfants».
Il réussit au Baccalauréat 5 ans après avoir abandonné l’école
Son père, qui enseignait les Mathématiques (il était le professeur de l’ancien ministre Mary Teuw Niane), a finalement intégré l’administration territoriale, après qu’il a réussi au concours d’entrée à l’Ecole nationale de la magistrature (Enam). Très proche de ses enfants qu’il surveillait comme du lait sur le feu, l’administrateur civil, qui a servi dans plusieurs localités du pays, bougeait beaucoup avec sa progéniture. C’est ainsi que Mamadou Yakham Keita a terminé ses études primaires à Fissel Mbadane. Très brillant, le collégien a été, par la suite, orienté à Mbour. Quelques années plus tard, il dépose ses baluchons au Cem de Kaffrine où il obtient le Bfem. Le lycée Demba Diop de Mbour lui ouvre ses portes. Seulement, le lycéen a été contraint de se déplacer à nouveau pour suivre son papa affecté encore à Kaolack. Transféré au lycée Valdiodio Ndiaye, le jeune Keita a finalement abandonné les études. Il est rentré à Thiès au domicile familial de ses parents.
Le jeune Mamadou Yakham Keita, a finalement mis une croix sur ses études à la surprise générale de ses professeurs qui peinaient à comprendre les motivations de leur brillant élève. Après avoir faussé compagnie à ses camarades de classe, le jeune homme, excellent aux jeux de Dame, avait désormais les coudées franches pour mieux vivre sa passion. «Mo Keita (comme l’appellent ses proches) était sûr qu’il pouvait se faire un nom avec les Jeux de dame. Il était un champion dans ce jeu de l’esprit. Mais, quand il a commencé à prendre de l’âge, il a décidé de se présenter au Baccalauréat comme candidat libre, 5 ans après qu’il a abandonné l’école. Il finit par relever le défi à la proclamation du Baccalauréat. Il a réussi dès le premier tour, alors qu’il n’a pas terminé la classe de Première. Cette prouesse extraordinaire qu’il a réalisée prouve à suffisance qu’il a un mental de gagneur…», a témoigné un de ses proches.
Révélé par le procès Barthélémy Dias
Après avoir décroché le Baccalauréat, «Mo Keita» a été orienté à la Faculté des Sciences politiques et juridiques de l’Université Cheikh Anta Diop. Le jeune homme qui rechignait à apprendre ses leçons, quand il était au lycée, est curieusement devenu studieux. Il décroche sa maîtrise au bout de quatre ans, en 1998. L’année suivante, il réussit le concours d’entrée à l’Enam, option magistrature. En 2001, il prête serment et intègre la magistrature. Affecté au tribunal d’instance de Gossas dès sa sortie, il sera muté plus tard à Kaolack, avant d’être bombardé président du tribunal de Nioro. En 2015, il est retourné à Dakar. Très effacé et discret, il a vidé plusieurs dossiers, surtout au Tribunal commercial où il était affecté. Seulement, le procès opposant Barthélémy Dias, jugé pour outrage aux magistrats, l’a révélé au grand public.
Mamadou Yakham Keita qui alliait l’enseignement religieux et l’école française, maîtrise le Coran depuis le bas âge. Présenté comme «un musulman modèle», ce disciple mouride a été d’ailleurs désigné Imam de la mosquée de son quartier dakarois. Seulement, à cause de ses charges professionnelles, il a désigné un autre pour qu’il assume cette fonction. Il le supplée quand ce dernier est empêché.