NETTALI.COM - Beaucoup du côté du peuple des réseaux sociaux, qu’ils soient militants ou sympathisants de Pastef, membres de la coalition au pouvoir ou simplement des Sénégalais à l’affût du dossier politico-judiciaire Mame Mbaye-Ousmane Sonko, ont dû être bien surpris par le verdict du procès. Si certains ont poussé un ouf de soulagement, d’autres ont dû être simplement déçus de l'issue de ce procès aussi expéditif qu’inattendu ! Ousmane Sonko, éligible ou inéligible ? La question était sur toutes les lèvres.
Il faut dire que, même si beaucoup de Sénégalais sont souvent enclins à discuter de droit sans pour autant être des connaisseurs du sujet, il reste qu’une partie de ce grand public n’était toujours pas rassurée, malgré les précisions de journalistes et de juristes dans les médias, selon lesquelles le leader du Pastef restait pour le moment éligible.
Mais que de contrevérités, d’amalgames ont été distillés dans cette affaire ! Des confusions, il y ‘en a beaucoup eues. En effet sur les réseaux, des écrits largement partagés avaient circulé pour convoquer les dispositions de l’article 29 du code électoral (Loi n°2021‐35 du 23 juillet 2021) qui énumèrent les cas de non inscription sur la liste électorale. Dans ces textes qui avaient fini de semer le doute chez certains, il était dit qu’en analysant cet article en question, certains en sont arrivés à la conclusion qu’Ousmane Sonko tombe sous le coup de l’alinéa 4, lequel interdit aux individus qui sont en état de contumace de s’inscrire sur la liste électorale.
Et beaucoup en étaient arrivés à penser que la contumace signifie un refus de comparaître devant un tribunal. En d’autres termes, c’est le jugement d’un prévenu absent lors de son procès, soit parce qu'il n'a pu être arrêté, soit parce qu'il ne s'est pas volontairement présenté, ou encore parce qu'il s'est évadé en cours de procès.
Ce qui n’est pas tout à fait vrai, si l’on se base sur les dispositions du code de procédure pénale Sénégalais puisque sous nos cieux, la contumace n’est prononcée que dans le cas d’une absence au jugement pour une infraction qualifiée de crime.
Or dans le cas de l’affaire Ousmane Sonko lié à un délit, le prévenu qui ne se présente pas à la barre, est jugé et condamné par défaut (et non par contumace). Autrement dit, les dispositions de l’alinéa 4 de l’article 29 du Code électoral ne s’appliquent pas à Ousmane Sonko.
De la même façon, beaucoup ont aussi confondu l’amende et les dommages et intérêts. Si l’amende est une peine complémentaire à payer au trésor public et peut empêcher une personne de s’inscrire sur les listes électorales (Cf Code électoral), en revanche, les dommages et intérêts sont uniquement destinés à réparer le préjudice subi par le plaignant. Dans le cas d’espèce, les dommages et intérêts ont été alloués à Mame Mbaye Niang, victime de diffamation.
Il convient aussi de relever que bon nombre de Sénégalais, lors du procès d’Ousmane Sonko, se sont émus sur les réseaux sociaux et fustigé le fait qu’Ousmane Sonko ait été jugé en son absence, sans que le juge n’ait donné la parole à ses avocats de la défense.
Ceux-là ignorent sans doute qu’en matière pénale, l’avocat assiste, mais ne représente pas son client. Autrement dit, si Ousmane Sonko ne se présente pas à l’audience, ses avocats n’ont même pas droit à la parole, suivant les dispositions du Code de procédure pénale.
Il s’agit aussi de rappeler que les avocats du leader du Pastef avaient tenté par tous les moyens d’obtenir le renvoi de l’affaire. Dans un premier temps, ils ont souhaité que le juge leur permette de se concerter et d’organiser leur défense car deux de leurs confrères ne pouvaient pas participer à l’audience, Me Ousseynou Fall en l’occurrence était suspendu par l’ordre des avocats et le français Juan Branco, expulsé du Sénégal. En effet, lorsque le juge a refusé d’accéder à cette demande, les avocats ont brandi un certificat médical pour demander le renvoi de l’audience. Face au second refus du juge, ils ont «boudé» l’audience par pure stratégie (bataille d’opinion oblige). Ils savaient dans tous les cas qu’ils n’auraient pas pu prendre la parole, à cause de l’absence de leur client.
Tout ça pour ça, ont dû se dire beaucoup de Sénégalais au regard du procès expéditif, du vacarme et des désagréments qu’il a causés. Une condamnation à 2 mois assortis du sursis et 200 millions de dommages et intérêts !
Dans le chapitre des réactions, Pastef, fidèle à lui-même et à sa posture habituelle, à travers un communiqué de son bureau exécutif, a dénoncé ce qu'il considère comme un simulacre de procès, estimant que « jamais monsieur Mame Mbaye Niang n’a été entendu par un magistrat instructeur, bénéficiant ainsi du coude protecteur du président Macky Sall ». Selon Pastef, seul un jugement visant à élucider ce «carnage financier» aurait pu prétendre le blanchir, mais pas une parodie de justice qui laisse les voleurs et s’attaque à leurs dénonciateurs. Que Mame Mbaye Niang comprenne donc qu’aux yeux du peuple sénégalais, il restera éternellement voleur qui aura contribué à augmenter le chômage »
Même attitude va-t’en guerre chez Mame Mbaye Niang qui s’est fendu d’un commentaire selon lequel son accusateur Ousmane Sonko est un diffamateur et un menteur faisant comprendre que, jusqu'à l'extinction du soleil, il ne pourra fournir le début d'une preuve de sa culpabilité dans cette affaire. Celui-ci fait ainsi remarquer que dans le camp d’Ousmane Sonko, l’on se réjouit de la probable conservation de son éligibilité, en oubliant que la dignité humaine et son honneur doivent transcender tout le reste.
Sur les réseaux sociaux, c’est le déchainement des commentaires. Des images d’une supposée page Facebook du juge Keïta sont partagées. Une partie du peuple incontrôlé du monde virtuel, certainement les déçus du verdict, avaient déjà commencé à déballer contre le juge, ainsi présenté comme un sympathisant encagoulé de Sonko en lui prêtant des posts-facebook qui datent de 2018 et 2019. Dans l’un des posts en question, l’on pouvait lire : «chaque mot qui sort de sa (Sonko, Ndlr) bouche, est pour moi une solution à nos problèmes. Respect à ce Sonko.»
Dans les deux autres, c’est un live d’un rassemblement de l’opposition à la Place de la Nation. Même Mame Mbaye Niang qu’il a jugé, hier (NDLR jeudi 30 mars), n’a pas été épargné.
Le juge Mamadou Yakham Keïta, est-il le véritable propriétaire de ce profil ? En tout cas, ses détracteurs se sont cachés derrière leur clavier pour s’étonner qu’il ait accepté de juger cette affaire alors qu’il serait proche de Ousmane Sonko. D’ailleurs, le message posté par Me Khoureychi Bâ ne fait que conforter les détracteurs du magistrat dans leur position qui n’hésitent pas à le diffuser comme pour accréditer leurs accusations. «Et pourtant avec le dessaisissement du juge contesté et la nomination de M. Mamadou Yakham Keita au pied levé, la victoire de Sonko ne faisait plus l’ombre d’un doute», a écrit l’avocat de Sonko. Un message codé ?
Il semblerait bien qu’il y ait eu beaucoup de fantasmes et de manipulations dans cette affaire et à tous les niveaux. Le juge Mamadou Yakham Keïta a, semble-t-il, coupé la poire en deux. Il n’a voulu ni léser Ousmane Sonko en préservant son éligibilité, ni léser Mame Mbaye Niang qui s’est senti diffamé en lui allouant des intérêts civils assez confortables de 200 millions. Un montant d’ailleurs bien inhabituel dans ce genre d’affaires.
Un verdict que l’on pourrait ainsi considérer comme celui de l’apaisement puisqu’il a malgré la surenchère pastéfienne, apporté du calme et de la paix. Du moins en attendant le jugement en appel devant la Cour d’appel demandé par le procureur.
Un argument partagé par Moundiaye Cissé qui estime que le droit a été dit dans un souci d’équité et d’apaisement. « Cela montre qu’on peut aussi faire confiance à la Justice. Comme je l’ai dit, il aurait suffi qu’il prononce une amende même de 200 mille pour que Sonko perde son éligibilité. Il ne l’a pas fait, contrairement à ce que voulait le procureur », a commenté celui-ci, non sans suggérer de revoir les articles L28 et suivants sur l’éligibilité, conformément aux recommandations des différentes missions d’audit.
Le droit est une science, pas juste une question de français !
L’enseignement à tirer de ce contexte politique tendu, est que le peuple sénégalais est en train d’augmenter sa culture juridique au regard de tous les débats juridiques interminables qui ont lieu depuis l’introduction dans le débat public, des questions du 3ème mandat et ayant trait à la procédure pénale.
L’on aura tout vu et tout entendu sur le sujet. Sacrés sénégalais, ils croient parfois tout savoir. Sauf que le droit est une science enseignée dans les facultés de sciences juridiques et politiques. Une manière de dire qu’il n’est pas donné à n’importe qui de comprendre ses subtilités et ses textes qui se complètent, ses principes et ses exceptions. Bref, ces Sénégalais prétentieux devant l’éternel, doivent se rendre compte qu’il ne fonctionne pas selon leur propre logique, ni leur bon vouloir et encore moins leur entendement, mais bien sur la base de textes qui lient le juge. Voilà souvent ce qui peut induire beaucoup en erreur.
Les faits nous enseignent aussi que le droit est une matière bien spéciale, avec des spécialités diverses et variées. Beaucoup de constitutionnalistes parlent pourtant aujourd’hui de procédure pénale sans pour autant connaître cette matière en profondeur ; et vice-versa des pénalistes prétendent pouvoir parler de droit constitutionnel. Les choses ne sont pas aussi simples qu’on le pense au fond.
Être spécialiste d’un domaine nécessite quand même une pratique régulière et pendant des années et non pas seulement une connaissance des principes généraux d’une matière.
Le droit n'est pas non plus qu’une question de français. Cela nécessite aussi d’autres aptitudes que sont la connaissance de la jurisprudence et de la doctrine ou plus exactement les travaux relatifs aux opinions exprimées par des juristes, comme étant le résultat d'une réflexion portant sur une règle ou sur une situation ou sur une institution. Bref une bonne culture juridique en plus.