NETTALI.COM
“Là où il n’y a pas de puissance commune, il n’y a pas de loi ; là où il n’y a pas de loi, il n’y a pas d’injustice. La force et la ruse sont, en guerre, les deux vertus cardinales.” Thomas Hobbes, Léviathan.
19 mai 2011 – 22 mai 2023, deux dates si lointaines mais si proches du point des faits dont elles sont témoins. La seconde est celle qui nous concerne hic et nunc. C’est en effet demain que le procès tant attendu entre Ousmane Sonko et Adji Sarr, dans l’affaire du viol présumé à Sweet Beauty devrait se tenir. Le premier temps est celui de Dominique Strauss Kahn, brillant économiste, tout puissant ex-Directeur général du Fonds monétaire international (FMI). DSK est inculpé un certain 19 mai 2011 par un grand jury pour le viol d’une femme de chambre du célèbre hôtel Sofitel de New-York, Nafissatou Diallo, et transféré de la prison de Rikers Island pour y être placé en résidence surveillée. Cinq jours avant, le samedi 14 mai 2011, l’homme qui a aujourd’hui muté au point d’être l’un des plus influents consultants au monde, se faisait arrêter et débarquer du vol Air France qui devait le mener en Europe, en pleine tempête financière (liée à la crise grecque).
La Police du Port Authority of New York & New Jersey a eu la main ferme. Elle monte vers 17 heures (TU) à bord de l’avion, quelques minutes avant son décollage, pour interpeller Dominique Strauss-Kahn. Il est ensuite mis à la disposition des enquêteurs de la police new-yorkaise dépendant du commissariat de Midtown South, dont le secteur englobe le Sofitel. Il apparaît menotté devant les caméras du monde. La suite de l’histoire est connue et toute la lumière n’est sans doute pas encore faite sur cette affaire qui a mis fin aux ambitions de cet économiste, pressenti pour être le candidat du Parti socialiste et de l’essentiel de la Gauche française, à l’élection française de 2012 que Nicolas Sarkozy remportera.
DSK sera blanchi au pénal du fait de sérieux doutes sur la crédibilité de la plaignante. Beaucoup ne le savent pas, mais Nafissatou Diallo, qui avait du reste gagné le procès au civil et empoché, grâce à des tractations dont seule la justice américaine a le secret, la rondelette somme 1,5 million de dollars, passe des jours bien tranquilles à Dakar, avec une santé certes fragile, mais sans avoir jamais été inquiétée, sous l’angle de son intégrité physique ou morale. Mais le destin politique du prédécesseur de Christine Lagarde à la tête du FMI est scellé. Affaire close pour DSK ! Si nous convoquons dans ces colonnes ce dossier politico-judiciaire, ce n’est assurément pas par simple coquetterie stylistique. Il ressemble fort à celui qui a installé la tempête au Sénégal. Rappelons qu’à l’époque, les pays acteurs sont de taille. Il s’agit de la première démocratie au monde, les Etats-Unis d’Amérique, dont on connaît l’histoire globale des Institutions, malgré la parenthèse ( ?) Donald Trump.
Il est aussi question de la France, la terre de Marianne qui, malgré son caractère bruyant et ses difficultés à bien phagocyter les différences culturelles de ses citoyens, est une démocratie debout. Or, le débat ne s’est jamais posé ni aux Etats-Unis, ni en France de “pendre” l’accusatrice Nafissatou Diallo, comme on le fait dans notre pays avec Adji Sarr. Très peu de leaders d’opinion, sur ces terres de liberté, à l’image d’un Bernard Henry Levy, avaient publiquement défendu l’homme public français. C’est dire. Notre job n’étant pas de plaire, posons donc la question qui fâche : si le puissant DSK n’a eu d’autre choix que de faire face à la justice américaine, pourquoi Diable Ousmane Sonko se soustrairait-il dans son pays, d’un procès, deux ans, trois mois déjà que dure cette affaire ? A supposer même, comme défendent certains, que l’accusatrice soit de “mœurs légères” (il est soit dit en passant curieux que cette qualification discriminatoire ne s’applique qu’aux femmes alors que les hommes sont bien souvent plus volcaniques) cette affaire doit malgré tout être tirée au clair. Simplement parce que la loi est impersonnelle et ne discrimine pas les citoyens sous l’angle d’un “délit de sale gueule” ou d’une présomption de vertus présumées intrinsèques.
Sous le régime du Droit, la prostituée, l’imam ou le prêtre, gardent la même casquette de citoyen. La bataille devrait donc se situer non pas au niveau de la soustraction d’un citoyen à la loi, fût-il Ousmane Sonko, mais d’une administration correcte de la Justice et de l’exemplarité de la décision qui sera rendue. Que les droits aussi bien de l’accusatrice que de l’accusé soient respectés.
Et qu’au sortir de cette affaire, les citoyens se sentent fiers de leur justice. Comment plaider une autre cause que celle-là ?
Lors de son interview du vendredi 19 mai accordée à Walf TV, Ousmane Sonko nous a appris que le dossier est vide. Raison de plus, pour s'empresser à aller affronter Adji Sarr qui, quoi qu'elle fasse, devra apporter la preuve de ses allégations.
Que l'on se comprenne bien, tous ceux qui ont jugé l’affaire avant l’heure, doivent à la vérité comprendre qu’un tel dossier judiciaire s’apprécie dans son entièreté et non par rapport à des bribes prises par ci par là, voir des éléments audio ou vidéo isolés qui devront de toute façon être authentifiés.
Nous sommes en effet devant une juridiction de jugement où, suivant les dispositions du code de procédure pénale, le juge ne peut fonder sa conviction que sur les preuves rapportées et discutées devant lui. Ce qui a pu être dit ou discuté dans la rue ou dans les médias, ne saurait nullement l’intéresser. S’il y a, ne serait-ce qu’une once de doute quant à la culpabilité de l’accusé, en l’occurrence Ousmane Sonko, celui-ci devrait lui profiter. C’est ce que dit la loi.
De plus pour un procès public et aussi surveillé au niveau national qu’international, il sera bien difficile de produire des preuves ou des arguments fallacieux pour espérer gagner le procès. L’opinion du peuple, au nom duquel la justice est rendue, compte. Et il semble bien que l’intérêt de l’Etat est que ce procès, qui pollue l’atmosphère depuis un peu plus de 2 ans, soit juste et équitable.
La puérilité de certains acteurs qui prétendent défendre la justice tout en niant les fondements même de la Démocratie qui la soutiennent, réside dans ces postures parfois empreintes d’hypocrisie. Si l’on suit bien cet argumentaire jusqu’à ses extrêmes, on cautionnerait le fait que des citoyens refusent de répondre de leurs actes et on installerait alors des îlots de pouvoir, anarchiques, où chaque groupe organisé est la source de son propre droit. Les conséquences seraient le délitement de l’Etat. La contradiction est donc principielle. On veut bénéficier de tous les avantages de la démocratie tout en niant ce qui la tient. La comparaison n’est pas excessive, c’est comme si on voulait construire un R+20 en se passant des piliers en béton qui soutiennent l’édifice. C’est une grande irresponsabilité de vouloir scier la branche sur laquelle tout le monde est assis.
D’autres arguments sont avancés, liés à la crédibilité de notre système judiciaire, arrimé dit-on de façon quasi-ombilical à l’Exécutif qui l’instrumentaliserait à souhait pour liquider des adversaires politiques. S’il est vrai que la Justice a des problèmes qu’il serait puéril de nier, cette assertion ne vaut pas vérité absolue puisque le régime socialiste est tombé de son piédestal en 2000 alors que le système judiciaire à l’époque n’était pas plus vertueux que celui d’aujourd’hui. Loin s’en faut ! Et en 2012, Me Abdoulaye Wade qui avait des pouvoirs plus expansifs, visibles dans sa façon de piloter le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) n’avait pas pu empêcher au marron-beige d’accéder au Palais. La zone d’influence de l’Exécutif sur le Judiciaire pour réelle qu’elle soit, n’est donc pas totale. Et même alors, est-ce une raison de brûler le Temple de Thémis, étant entendu que nous n’avons aucun substitut institutionnel à même de remplacer le système ?
C’est ce qu’on appelle jeter le bébé avec l’eau du bain ou encore faire le choix de brûler le corps entier ou lieu de circonscrire le mal et le traiter. Et à pousser cette logique jusqu’au bout, ce ne sera sans doute pas seulement la Justice qu’il faudrait brûler, mais d’autres pans entiers de la société, y compris la Presse. Le Sénégal fonctionne ainsi depuis assez longtemps qu’il est sans doute temps de siffler la fin de la récréation. On s’autorise tous les moyens pour acquérir le pouvoir mais une fois intronisé, on reprend les mêmes et on recommence. L’opposition enfourche alors la même trompette, demande de brûler les magistrats, jusqu'au jour où elle change d’avis ; qui correspond toujours à son accession au pouvoir. Le supplice de Sisyphe. Et qui mieux que le peuple pour toujours trinquer ?