NETTALI.COM - Le Khalife général des Mourides, Serigne Mountakha Mbacké a décidé de la délocalisation des bureaux de vote hors du périmètre de Touba. Une décision aux conséquences politiques et techniques multiples.
Le ton avait déjà été donné avec l’interdiction de manifestations dans la ville de Touba. Serigne Mountakha, dans sa volonté de préserver la sacralité de la capitale du Mouridisme, a franchi un autre palier. Le Khalife général des Mourides a interdit définitivement toutes les activités politiques dans le titre foncier de Touba, et a également décidé de la délocalisation de tous les bureaux de vote hors du périmètre de la cité religieuse. Une décision qui intervient à quelques mois de la Présidentielle de 2024. Au-delà des difficultés liées à la faisabilité et des contraintes sur le déroulement du scrutin, cette décision n’est pas sans incidences politiques. Aux dernières élections municipales et départementales du 23 janvier, la commune de Touba Mosquée comptait 275 880 électeurs pour 45 lieux de vote, divisés en 602 bureaux.
Echec des acteurs politiques
Député et responsable politique à Touba, Serigne Abdou Bara Dolly Mbacké, candidat déclaré à la Présidentielle de 2024, pointe un doigt accusateur sur la classe politique. «Je mise beaucoup sur l’électorat de Touba. Personne n’ose contester une décision du Khalife parce que Touba est un titre foncier. Cela montre l’échec des acteurs politiques aussi bien de l’opposition que du pouvoir. Tout cela n’est que la résultante de la guéguerre Ousmane Sonko-Macky Sall avec les manifestations dans la ville sainte. Il y a eu des actes de sabotage dans la cité religieuse et la sacralité de la ville en a pris un sacré coup», regrette-il. Selon lui, délocaliser autant de bureaux de vote n’est pas une mince affaire. «Délocaliser 602 bureaux de vote, c’est ne pas aller à la Présidentielle de 2024. Comment faire pour changer la carte électorale ? Mbacké ne peut pas contenir 602 bureaux de vote. La première conséquence sera le report la Présidentielle parce que Touba ne pourra pas voter.» Son avis sur l’échec des politiques est partagé par la responsable de l’Alliance pour la république (Apr) à Touba, Sokhna Mame Say Mbacké. Elle dit : «C’est la faute de l’opposition avec les manifestations jusque dans la cité religieuse. Ce qui s’est passé est inédit. Cela relève d’une indiscipline notoire. Nous allons respecter toutes les recommandations du Khalife. Même s’il décide de délocaliser les bureaux jusqu’à Thiès, nous allons nous y rendre. Il faudra juste une bonne organisation. Il faut respecter la sacralité de la ville et ne pas accepter que la politique mette le désordre à Touba. C’est l’échec des politiques.» Du côté du Parti démocratique sénégalais (Pds), l’on se garde de commenter la décision du Khalife. Khadim Tall est le responsable du parti libéral dans la cité religieuse. «Touba est une cité religieuse, une ville spéciale au-delà de la politique, insiste-t-il. Avant d’être des politiciens, nous sommes d’abord des disciples de Serigne Touba, nous n’avons aucun commentaire à faire sur les décisions du Khalife. Nous allons nous conformer au ‘’Ndigel’’. Nous attendons la suite des événements pour savoir ce que nous allons faire et exprimer notre position.»
Ce sera très difficile, voire impossible
Techniquement, Babacar Fall, Secrétaire général du Groupe de recherches et d'appui à la démocratie participative et la bonne gouvernance (Gradec), y voit de grosses difficultés du point de vue de la faisabilité. «Une délocalisation des bureaux de vote de Touba posera de très gros problèmes et va impacter l'élection Présidentielle, à n'en point douter, dans la mesure où Touba est une grande agglomération, la plus importante de la circonscription électorale de Mbacké. On y compte environ 600 bureaux de vote qui sont constitués pour la plupart d'abris provisoires.» L’expert électoral assure que ce sera très difficile, voire impossible d'ici à la prochaine élection Présidentielle qui va se tenir dans 8 mois. «La commune de Mbacké la plus proche ne dispose pas d'infrastructures pouvant accueillir tous ces bureaux de vote. Au-delà des abris provisoires, il faudra faire une très grande campagne d'information des électeurs de Touba sur les emplacements des nouveaux bureaux de vote même s'il n'est pas nécessaire à mon avis de rééditer de nouvelles cartes d'électeurs.» Babacar Fall conseille aux acteurs de discuter davantage avec le Khalife. «Cela va poser de gros problèmes en termes d'organisation de l'élection dans ce département de Mbacké. Il faut d'ores et déjà discuter avec l'autorité religieuse de Touba pour trouver une solution à ce problème, car j'estime que peut être le Khalife n'a pas toutes les informations nécessaires sur les conséquences d'une telle mesure.» Et si le Khalife campe sur sa position ? Babacar Fall : «Ça, c'est autre chose. A l'impossible nul n'est tenu. Si l'élection ne peut pas se tenir à Touba, il faudra se résigner à trouver des espaces à Mbacké pour y loger les bureaux de vote, très certainement des abris provisoires. Cependant, cela risque de créer les conditions d'insécurité quand on connaît la densité électorale de ce département qui, du point de vue de son poids électoral, est aussi important que Dakar.» Un avis partagé par un autre expert électoral. Abdou Salam Bass explique : «Touba est un électorat très important. A part Dakar, c’est le deuxième bastion électoral. Si le vote est chamboulé là-bas, ça risque de créer des problèmes surtout pour les prétendants au pouvoir qui misent sur l’électorat de Touba. Personne ne peut prédire quoi que ce soit par rapport au scrutin. On ne peut pas transporter toutes ces personnes. Touba, déjà, c’est difficile surtout pour les quartiers périphériques. Les partis ou coalitions qui n’ont pas les moyens risquent de ne pas convoyer leurs électeurs.» Selon lui, cette décision du Khalife risque de tout chambouler. «Délocaliser 600 bureaux de vote, plus de 200 000 électeurs pour aller voter hors de Touba, ça risque de créer beaucoup de problèmes. Il faut s’attendre à ce que tout le monde ne puisse pas voter à temps opportun. Est-ce que les autres contrées ont des réceptifs qui pourront accueillir des bureaux de vote ? Dans un centre de vote, il peut y avoir 20 bureaux de vote et la plupart, c’est des abris provisoires. Il risque d’y avoir d’énormes difficultés. Il faut que les autorités supplient le Khalife de revoir sa position et d’appeler les gens à aller voter dans la paix et rentrer tranquillement chez eux.» Serigne Mountakha a toujours le dernier mot.