NETTALI.COM - Qu’on ne s’y trompe point, le Sénégal n’est pas à ce niveau élevé de démocratie où certains veulent bien le placer. Le pays de Senghor n'est à l’heure actuelle qu’une démocratie électorale dans le sens où des alternances y ont lieu certes, mais avec toutefois des processus électoraux bourrés de pièges et d’embûches pour les partis d’opposition.C’est entre autres raisons pour lesquelles les opposants n'y ont pas la vie facile.
L'actuel président Sall a lui-même expérimenté la vie mouvementée d'opposant avec ce que cela comporte comme difficultés en termes de travail de terrain à mener, de stratégies à élaborer et d'écueils à éviter. Mais avant lui, ses prédécesseurs parmi lesquels, Me Wade, le redoutable opposant d'Abdou Diouf d'alors, est le seul parmi les opposants sénégalais à avoir expérimenté la plus longue traversée du désert de l'opposition. Il a dû en effet se battre 26 ans durant avant d’accéder au pouvoir en étant passé par plusieurs expériences : prison, guérilla urbaine, entrée dans un gouvernement, affrontements récurrents avec les forces de l'ordre, galères financières etc.
Le signe particulier de Me Wade, est d’avoir réussi à allier combats et négociations pour arriver à ses fins. Beaucoup de ceux qui s’activent aujourd’hui sur le terrain politique, étaient bien jeunes ou pas encore nés, quand alors leader tout puissant de l’opposition sénégalaise, il mobilisait les jeunes dans la rue pour instaurer des bras de fer continus et stressants au président Abdou Diouf. Ceux qui connaissent bien Me Wade diront que le plan développé à l’époque par le "Pape du Sopi", est celui qu’on appelle "Stratégie du bord du gouffre" qui consiste à entrainer son adversaire jusqu’au sommet de la falaise, pour lui faire entrevoir le danger de la chute (et donc de la mort certaine).
Mais Me Abdoulaye Wade, « gaindé » et « leuk » en même temps, savait aussi manier les bonnes vertus de la discussion. Il laissait toujours des brèches et une ouverture pour désamorcer la « bombe » avant qu’elle n’éclate, au prix souvent de sa crédibilité politique. C’est bien cette posture qu’il partageait avec des hommes à l’intégrité reconnue, tels Maguette Thiam, Dansokho, Bathily, etc., qui a rendu possibles les différents gouvernements d’union que le Sénégal a connus dans les années 90. C’est aussi cela la différence fondamentale entre le « Bleu en chef » de la période des braises et les nouveaux caïds de la pègre politique.
Entre un opposant qui a échappé à la justice et d'autres emprisonnés
Macky Sall, opposant de Me Wade, a aussi vécu sa part d’adversité politique. Il est aussi passé par la case tracasseries, sans toutefois avoir subi les mêmes misères que Me Wade.
Khalifa Sall n’a pas non plus connu les mêmes douceurs que Macky Sall, alors qu’il était sur une pente ascendante, tout maire de Dakar qu’il était. Son ascension sera brusquement stoppée par un emprisonnement pendant trois longues années pour une affaire de détournement de deniers publics. Karim Wade subira le même sort pour enrichissement illicite avant d'être exilé au Qatar où il est toujours retenu, même s'il commence à entrevoir le début du règlement de son cas.
Tout cela pour dire que la vie d’opposant est loin d’être un long fleuve tranquille sous nos cieux. Elle ne l’est d’ailleurs nulle part ailleurs, y compris dans les démocraties avancées, où les coups ne manquent pas dans des versions plus subtiles, même s’il est toutefois rare d'y arriver à certaines extrémités. La preuve par Strauss Kahn qui a été aussi en partie l’artisan de sa propre mort politique.
Sous nos cieux, dans le cas d’Ousmane Sonko - et ceux passés d’ailleurs de Khalifa Sall et de Karim Wade -, il est constant de noter que tous les trois, selon une certaine opinion, ont en commun d'avoir été victimes de poursuites judiciaires afin de les écarter de la conquête du pouvoir. Des actes qu'ils ont posés et qui ont été tout simplement été exploités. Un bien fondé de ces actes dont on peut évidemment discuter, comme dans le cas du procès pour viol d'Ousmane Sonko, où l’accusation a fini par s’effondrer comme un château de cartes pour se muer en un délit plus léger.
Ousmane Sonko : une forme d'opposition inédite
Avec Ousmane Sonko, l'on à la vérité, noté une nouvelle forme d'opposition bien plus radicale que celle de Me Wade. L'opposant qui avait décidé de ne pas subir le même sort que Khalifa Sall ou Karim Wade, comme il avait eu à le répéter dans certains de ses discours, a fini par subir les contrecoups les plus sévères de cette bravade en atterrissant en prison. Des erreurs de communication, il en a certainement commises ; le fouet pour se faire battre, il l’a aussi donné à certaines occasions, si l’on en croit certains observateurs de la scène politique, en faisant parfois des déclarations assez équivoques et assumées pour certaines. Et c'est ce que le procureur de la république a d'ailleurs exploité pour l'enfoncer dans le rouleau compresseur de la justice, en le chargeant lourdement. C'est à la vérité par une bravade contre les institutions qu'il s'est fait remarquer, même s'il a au fil du temps tenté de diluer ses discours, évitant de plus en plus les généralisations.
Cette attaque contre les institutions, c'est ce que l'analyste politique Ibou Fall retient particulièrement de lui, estimant qu'il s'est trompé de combat, là où d'autres observateurs voient plutôt la réaction d'un opposant qu'on a cherché par tous les moyens à écarter, en dressant devant lui, des procès injustifiés, notamment celui pour diffamation et un second procès pour viol face à une employée de salon de beauté, Adji Raby Sarr, procès d'ailleurs considéré comme un complot. Pour ceux-là, il faut plutôt interroger les causes de ces réactions pour ne pas dire la posture du pouvoir vis-à-vis de l'opposant.
L'attaque du bus Tata à Yarakh avec un bilan de 2 morts et 5 blessés, l'analyste Ibou Fall d'I-radio la met sur le compte d'actes irréfléchis. Celui-ci y voit ainsi une attaque contre les institutions, le combat de Pastef ayant à son avis quitté le terrain politique, depuis l'affaire Adji Sarr, pour atterrir sur le terrain des attaques contre les personnes, alors que les manifestants n'ont plus accès aux dignitaires du régime et à leurs domiciles. A la question de savoir pourquoi les manifestations, suite à l'emprisonnement d'Ousmane sont si tièdes, le journaliste pense d'une part à la non candidature de Macky Sall contre laquelle beaucoup de monde était braqué ; d'autre part que le parti Pastef a été décapité et que des militants, près de 600, ont été emprisonnés. Une manière pour lui d'affirmer que ce qui en reste, n'a pas le niveau d'organisation approprié pour poursuivre le combat. Pour lui, la posture actuelle de l'Etat, est celle d'une guerre, estimant que celui-ci ne va jamais négocier en situation de faiblesse. L'analyste est même d'avis qu'il faut que l'Etat rétablisse l'ordre et garantisse la sécurité puisqu'il en a les moyens, précisant que l'illusion serait de penser pouvoir destabiliser un état avec des mèches et des bouteilles.
Qui connaît la force de l’Etat et la puissance de sa machine lorsqu’il se met en branle, doit savoir que dans ce monde où les règles démocratiques ne sont pas les vertus les mieux partagées puisqu'elles se négocient dans certaines circonstances, - le dialogue national en est la preuve vivante-, il vaut mieux être souple, opportuniste et savoir se mouvoir au gré des circonstances. Difficile en tout cas de s'opposer physiquement à un état, tout téméraire et déterminé que l'on puisse être.
Une manière de dire que la politique, telle qu’elle se fait sous nos cieux, est loin du monde des bisounours et des anges. Que les Sénégalais qui se basent sur des principes moraux ou démocratiques pour s’émouvoir de ce qu'ils considèrent comme des injustices faites aux opposants, se rendent compte qu’ils se trompent d’arènes et de personnes. La politique version sénégalaise est faite de férocité, de ruses, d’exploitations de circonstances, de coups bas, d'opportunismes, de trahisons, de restrictions de libertés démocratiques. N’y survivront donc que ceux qui savent se faufiler et manœuvrer dans ce monde qui est loin de ceux des Imams, des prêtres et des émotifs.
Notre vitrine démocratique qui nous valait tant d’admiration en Afrique, où les régimes démocratiques sont une denrée rare, est sans aucun doute à reconstruire. Nous ne devons donc point avoir la prétention de prendre notre démocratie pour ce qu’elle n’est pas à l'heure actuelle.
Un virage démocratique raté
Nous avons eu l’occasion de faire un virage démocratique avec la réforme des institutions issues des Assises nationales. Un virage que nous avons hélas raté avec le président Sall qui n’a pas souhaité conduire les réformes. Et depuis, c'est la continuité de tout ce qui s’est toujours fait sous tous les régimes passés.
Une réforme qui s'insurge contre le siège du président de la république et du ministre de la justice au Conseil supérieur de la Magistrature et cette possibilité pour lui de nommer et de gérer la carrière des magistrats ; une réforme qui milite en faveur de l’indépendance de la magistrature avec tout ce que cela implique comme suppression de lois jugées liberticides qui lient les juges d’instruction ; une réforme qui atténue le rapport hiérarchique liant l’exécutif aux magistrats du parquet, sans oublier cette toute puissance du procureur de la république. Bref, une manière de dire que ce nous arrive dans le contexte actuel de tensions depuis quelques temps, est en partie lié à cette absence de réformes des institutions, qui si elles avaient été initiées, auraient pu contribuer à créer moins de suspicions à l’endroit de la justice et à pacifier davantage l’espace politique et hisser le Sénégal au rang de démocratie plus respectable.
Une justice indépendante, eh bien, c’est ce maillon sans lequel, aucune démocratie ne peut s’exercer et fonctionner correctement. Même si le contentieux politique est mineur par rapport à l'ensemble, il reste que les décisions de justice liées à la politique ont un poids hyper important pour la bonne marche du pays et son avenir, mais aussi pour la sécurité des affaires.
Une histoire jalonnée de troubles
Notre histoire aussi, ne l'oublions point, est jalonnée de périodes troubles. Le Sénégal en a vécus en 1962 et 1968, sans oublier les deux années blanches respectivement en 1988 et en 1993. Un juge constitutionnel, en l’occurrence Me Babacar Sèye, a été assassiné en 1993. Des policiers ont été battus à mort en 1994 près du palais présidentiel par des manifestants, sans oublier d’autres morts civils. De plus, à l’époque de Wade, existaient déjà des attaques de domiciles de dignitaires du régime et des actions coup de poings qui visaient à brûler des bus et à attaquer des sièges de partis. Des troubles que nous avons toujours su transcender.
Mais une des grandes régressions de notre époque, c'est cet ensauvagement de l'espace politique avec de nouvelles élites politiques moins formées ou pas formées du tout. Cela est même devenu la règle. La politique s’est à la vérité gravement dépréciée sous nos tropiques. Il y a aujourd’hui comme une sorte de « rachitisation » continue des us et codes. Le paradigme musculaire est aujourd'hui devenu le seul facteur pour réguler les rapports. Où peut-on aller avec cela ? Nulle part, sinon dans les abîmes.
Une vérité qui reste indéniable, est que tant que nous n’opérerons pas ce virage démocratique avec ces réformes issues des Assises nationales ou qui s'en apparentent (il ne s'agit pas de réinventer la roue), il nous sera hélas bien difficile de réguler le monde politique et d’y instaurer des rapports apaisés. Les opposants n'arrêteront jamais de se plaindre des régimes qui continueront à se succéder. A moins que le miracle ne se produise et qu'un leader volontariste pour mener ces réformes, tombent du ciel. Ce qui est, au delà de la politique à prendre en charge, ce sont surtout les jeunes et la question de l'emploi, en leur offrant à ceux-ci, davantage de perspectives.