NETTALI.COM - L’annonce a été faite par Juan Branco, le célèbre avocat français. La robe noire a écrit sur l’application X (ex-tweeter) que son client, Ousmane Sonko, lui a demandé de mener des démarches pour une résolution politique et diplomatique de la crise politique au Sénégal. Des spécialistes en communication politique diagnostiquent cette nouvelle ligne pacifique de l’opposant radical et ses chances de prospérer.
La démarche ne colle pas au principe que le patron de de Pastef/Les Patriotes dissous, Ousmane Sonko, a toujours défendu : le refus de toute compromission avec le pouvoir en place. «Nous avons entamé toutes les démarches nécessaires pour une résolution politique et diplomatique de la crise politique au Sénégal, sur instruction de M. Sonko (…). Toutes les portes sont closes à ce stade», a posté Juan Branco sur son l’application X. Cette révélation de taille du célèbre avocat français a surpris plus d’un. Car Ousmane Sonko à qui l’on prête d’avoir béni ces négociations, n’a jamais voulu s’asseoir autour d’une table avec les autorités étatiques. Pis, il a déclaré urbi et orbi qu’il n’acceptera pas de compromissions, encore moins de concessions. Le leader de Pastef, opposant radical, a toujours assumé cette ligne dure qu’il a adoptée. Mais, qu’est-ce qui aurait pu changer entre-temps pour que Ousmane Sonko, qui observe une grève de faim depuis plus d’un mois, puisse changer sa stratégie de combat en décidant de s’inscrire dans la dynamique d’une résolution politique et diplomatique de la crise politique actuelle au Sénégal.
Dr Alassane Ndao, enseignant en Sciences politiques à l’Université Gaston Berger (Ugb) de Saint-Louis, qui se veut très prudent, a tenu d’emblée à préciser : «D’abord, je vais observer une certaine prudence, car Ousmane Sonko ne s’est pas prononcé publiquement depuis longtemps. Je ne peux donc lui attribuer les propos de son avocat. Je vais analyser ce discours sous l’angle de la démarche de Juan Branco (ce n’est pas le pool d’avocats qui a parlé). Donc, c’est une initiative personnelle de Juan Branco qui s’est fait connaître en France et à travers le monde par sa rhétorique antisystème et populiste. Il a une posture provocatrice contre les gouvernements sénégalais et français. Il a même eu des démêlés avec la Justice sénégalaise.» Dr Ndao poursuit : «Que cette personne puisse changer pour incarner une posture diplomatique, cela peut surprendre, mais il ne faut pas oublier qu’en tant avocat, sa mission principale est de tout faire pour défendre son client, en restant dans les limites de la légalité.» La voie balisée avec précaution, l’enseignant en Sciences politique souligne que, «dans un premier temps, Juan Branco a développé une posture qu’on peut qualifier de radicale, mais c’est quelqu’un aussi d’intelligent qui a bien compris que la radicalité permanente n’est toujours pas quelque chose qui réussit». Donc, à un moment donné, il va falloir aussi que lui, en tant qu’avocat, utilise son carnet d’adresses et son réseau international pour essayer de préconiser le «Soft power» (pouvoir d’influence). «Ils ne sont plus dans une logique de résistance ou de dénonciation, mais il va essayer de mobiliser ses ressources dans les organisations internationales pour exercer un pouvoir d’influence sur le pouvoir sénégalais avec pour finalité, l’élargissement de prison de son client Ousmane Sonko», analyse Dr Ndao.
«Des signes de négociation…»
Journaliste et analyste politique, Pathé Mbodj a lui aussi décrypté le message de l’avocat français. Pour lui, les possibilités de négociation qui étaient offertes à Ousmane Sonko ont été exploitées. Il était resté en liberté chez lui, alors qu’il a été condamné à une peine ferme (dans l’affaire l’opposant à l’ex masseuse Adji Raby Sarr). C’était un signe de paix. «A partir du moment où les conclusions du Dialogue national portaient sur une sorte de réconciliation avec la révision du statut de Karim Wade et de Khalifa Sall, donc laisser Sonko en liberté chez lui était un signe de détente. Le blocus chez lui a duré, mais il a été finalement levé le 24 juillet. Au demeurant, son discours du 27 juin a été conciliant et a laissé penser que la détente avait des chances d’aboutir, mais malheureusement, il y a eu l’incident du 28 juillet à partir duquel la Gendarmerie est intervenue. C’est la mort dans l’âme que le pouvoir l’a mis en prison. Depuis que Aïda Mbodji avait versé des larmes en déclarant que Sonko est presque mort, on n’entend plus les gens parler de la grève de la faim et de la maladie de l’opposant. C’est le silence qui devrait renseigner sur les possibilités de négociation. Peut-être que Juan Branco a été maladroit en disant qu’ils ont essayé d’ouvrir toutes les portes pour négocier, mais qu’elles étaient toutes fermées», constate Pathé Mbodj. Pour lui, le pouvoir cherche, dans la situation actuelle, à montrer une certaine intransigeance et fermeté pour amener Sonko à de meilleurs sentiments.
«Je ne pense pas que le pouvoir soit dans les dispositions de remettre Sonko dans le jeu politique, mais…»
Dr Alassane Ndao pense que la démarche entreprise par Juan Branco, avocat de Sonko, peut bien aboutir. Mais Dr Ndao croit plus aux mécanismes internes, notamment les pouvoirs sociaux, c'est-à-dire les autorités religieuses, les médiateurs du système politique qui permettent d’équilibrer et de stabiliser les tensions politiques. Ce sont ces pouvoirs, dit-il, qui peuvent participer à la sortie de prison de Ousmane Sonko. Pour l’enseignant en Sciences politiques, «c’est bien de tenter le dialogue qui n’est pas forcément de la compromission». A son avis, le pouvoir d’influence des médiateurs religieux et sociaux au Sénégal semble être plus efficace que les «soft power» que peuvent mobiliser Juan Branco au profit de son client. «On va voir ce que cela va donner. De toute façon, en Afrique, les opposants très représentatifs ne durent pas en prison, surtout au Sénégal (…)», a dit l’enseignant. Mais, indique Dr Alassane Ndao, la réussite de ces négociations dépend de leur objet. Il explique : «S’il s’agit de remettre Sonko dans le jeu politique, je ne pense pas que le pouvoir soit dans les bonnes dispositions pour le faire, parce qu’il a tout fait pour que leader de Pastef soit hors du jeu. C’est une question de survie politique et depuis le début, c’est l’objectif qui était recherché. Donc le pouvoir ne va pas attendre ce moment pour le faire. En revanche, si les négociations peuvent avoir comme finalité de le faire sortir de prison et de le faire bénéficier de mesures d’assouplissement sur le plan judiciaire, là c’est bien possible. À mon avis, c’est l’intention de Juan Branco qui veut que son client sorte de prison.»
Pathé Mbodj d’indiquer que la situation qu’il y a aujourd’hui est de trouver une solution qui sauvegarde l’honneur, la dignité et la sécurité de Sonko, mais qui, en même temps, restaure l’autorité et la légitimé de l’Etat. «Nous sommes sur un fil du rasoir, mais il est très possible d’arriver à cette situation où Ousmane Sonko peut faire amende honorable sans perdre la face, en conservant sa dignité, et l’Etat montrera qu’il reste ce monstre froid sans ami ni amitié», souligne le journaliste et analyste politique.