NETTALI.COM - Le grand Magal de Touba commémorant le 18ème jour du mois lunaire de Safar draine des foules immenses venues des quatre coins du monde. Au-delà de la portée spirituelle de cet événement devenu mondial, une véritable économie s’y développe, de la préparation jusqu’à l’achèvement des cérémonies organisées dans les coins du pays et au-delà. Interrogé par le quotidien EnQuête, L’économiste Meïssa Babou jette un regard sur ce modèle économique.
Touba est considérée comme un véritable modèle économique, du fait du système qui s’est organisé autour de la ville, mais aussi par les mourides du monde entier. Les économistes y trouvent un véritable hub économique. Selon Meïssa Babou, à Touba, l'essentiel des activités économiques tourne autour du commerce et du transport. "Mais ces activités sont extrêmement diversifiées. Si le commerce est plus visible dans le textile, les articles domestiques et l'alimentation, des niches se retrouvent dans les produits agricoles", précise l’économiste dans les colonnes du journal EnQuête. En effet, explique-t-il, "sans être de grands agriculteurs, ils sont les meilleurs stockeurs de graines, donc en amont du processus de la culture du mil et de l'arachide. Cette activité de spéculation qui inonde les magasins fermés sur plusieurs mois, est la preuve d'une forte liquidité en mal de placement, car beaucoup n'ont pas confiance au système bancaire. Pour d’autres, c'est plutôt le fait de pouvoir sauter sur n'importe quelle opportunité qui explique cette exigence de disposer en tout temps de trésorerie".
Dans la même veine, l’économiste indique que la dynamique économique Perceptible à travers tous les conteneurs débarqués au port de Dakar à destination de Touba, donne une idée de la vivacité de cette économie locale. "D'ailleurs, d'aucuns réclament un port sec à Mbacké où seront stockés tous les conteneurs de la région. La présence de tous les types de services financiers est aussi une preuve de cette vitalité économique. Le transport est, par l'énormité de cette bourgade, une activité économique qui tourne en plein régime. Les taxis-clando” se disputent toutes les voies avec plus de 10000 charrettes sous la bénédiction de Serigne Saliou, alors khalife général des mourides. Leur succès est lié aux centaines de villages lointains qui entourent la ville sainte (les Santhianes)", soutient Meïssa Babou. Dès lors, il est convaincu que les mourides sont de grands entrepreneurs reconnus au plan national. "Sortis fraîchement des Daaras et formés à la vie difficile à travers un Tarbiya (talibé dans la rue) dont les valeurs sont la patience et l'endurance, ils côtoient très jeunes leurs aînés dans l'informel. À l'image de Serigne Mboup, ils arpentent allègrement les échelles qui mènent vers le succès à partir de marchands ambulants et tabliers pour se forger une expérience très solide dans les activités économiques. Communauté la plus importante au Sénégal et à l'étranger, ces talibés exceptionnels sont dans tous les domaines de la vie économique", a-t-il démontré. Du commerce à l’industrie, mais aussi dans l'agriculture et l'élevage, l’économiste lit chez les mourides une capacité de s'offrir toutes les opportunités, car, selon eux, il n'y a pas de sot métier. Ainsi, poursuit-il, ils tiennent l'essentiel de l'économie informelle qui représente 97 % de la structure économique du Sénégal. "Importateurs de tout à travers le monde, ils se distinguent par leur détermination à essayer n'importe quelle activité pour concurrencer des modèles de réussite comme Auchan. À défaut de statistiques fiables, on peut noter leur mainmise sur l'économie sénégalaise par tout sur le territoire national et dans tous les domaines. Cette prééminence leur offre le sobriquet de ‘Baol-Baol’ même s'ils ne sont pas tous de cette zone. Fervents talibés et même fanatiques, ils ont par-devers eux les ‘Khassaides’ et le Coran en bandoulière. L'un de leurs secrets dans cette réussite est certainement les petits prix qu'ils pratiquent pour une rotation rapide des stocks. Boubous et photos du cheikh sont aussi une marque de reconnaissance", a remarqué M. Babou.
À en croire l’économiste, ce système a réussi à faire de Touba la deuxième vile Économie du Sénégal, après Dakar. Pour lui, "ce positionnement économique est la conséquence d’une délocalisation extrêmement rapide d'activités économiques frauduleuses vers les 80-90 et d'une migration. En effet, les terrains étaient jusqu'à une date récente offerts gratuitement par la commune. Beaucoup de banlieusards ont préféré céder leur maison à des millions pour aller s'installer dans la ville sainte et y mener une activité avec leur trésorerie. Beaucoup de villages au Sénégal se vident avec l'opportunité de faire un transport de charrettes très rentable. Finalement, la ville se remplit dans un espace agrandi par le Président Wade à travers un décret". "C'est pourquoi, estime-t-il, aujourd’hui, l 'obligation de doter Touba d’infrastructures est une exigence. La multiplication des banques et des assurances, la construction d'hôpitaux et aujourd'hui d'une université islamique sont, en plus de l'autoroute à péage, des dispositifs d'une nécessité absolue. Les nombreux forages et l'assainissement engagés récemment continuent à améliorer le cadre de vie de cette bourgade".
Cependant, prévient l’enseignant- chercheur, "parler de business mouride n'a pas de sens, à mon avis, et peut être très dangereux, car il peut nous mener à un sectarisme aux conséquences sociales désastreuses. Si nous devons cultiver une fierté, elle doit être sénégalaise à l'image des Chinois et des Américains. Des banques mourides ou des magasins mourides peuvent être des freins au développement économique de ces entrepreneurs. Toute division sociale ou sociétale ne peut être que catastrophique. Il faut donc cultiver le sens de l'unité nationale au détriment d'un quelconque sectarisme". Il rappelle à ce niveau que les Sénégalais n'ont jamais prêté attention au nom des grands érudits qu'on donne aux entreprises. Ils se sont toujours comportés en consommateurs rationnels. Il ne faut pas, par conséquent, éveiller cet esprit communautariste source de tension sociale. "C'est vrai que les logos sont suffisamment explicatifs de la propriété ou de l'origine des promoteurs, mais pour autant, ils ne doivent pas nous mener à la dérive", prévient Meïssa Babou.