NETTALI.COM - Il vient s’ajouter à la longue liste des candidats déclarés à la Présidentielle de 2024. Leader du mouvement panafricain et citoyen-luy jot jotna (Mpcl), président de l’Institut Panafricain de Stratégies, Dr Cheikh Tidiane Gadio livre les raisons de sa candidature, les grands axes de son programme, analyse la situation politique actuelle, dans cet entretien accordé à l'Observateur.
Vous venez de déclarer votre candidature à la Présidentielle de 2024, qu’est-ce qui vous motive ?
Il y a un principe simple : on crée un parti pour conquérir le pouvoir. Nous avons en 2019, choisi volontairement. Parmi les cinq candidats qui ont été retenus par le Conseil constitutionnel, de nous allier avec le candidat Macky Sall. Mais, pour nous, ça n’avait aucun sens de le faire en 2019 et de revenir le faire en 2024. La logique, c’était de se présenter pour 2024. C’est ce que nous avons fait et nous avons annoncé publiquement notre candidature. Nous avons essayé d’innover en étant probablement un des rares candidats à avoir fait notre déclaration de candidature dans une sorte de profession de foi. Quand il y a eu les crises récentes que nous avons connues au Sénégal où notre pays a failli basculer, notre pays était au bord du gouffre, des amis sont venus me voir, des compatriotes que je ne connaissais pas m’ont interpellé dans la rue ou dans les aéroports, d’autres m’ont écrit pour me dire ‘’vous avez une expérience assez étoffée avec la médiation en Côte d’Ivoire, en Madagascar, en Mauritanie, les multiples médiations en Guinée-Bissau, entre autres, personne ne comprendrait que vous ne puissiez pas apporter votre expérience, votre maîtrise des questions des paix, de sécurité et de médiation au service du Sénégal. Il faut aller vers une réconciliation nationale. Les problèmes ne sont pas résolus, ils sont apaisés. Un grand leader historique disait : une contradiction mal résolue ressurgit toujours et fait plus de dégâts. Nous avons besoin de remettre les choses à l’endroit. On ne peut pas comprendre que le Sénégal présente un visage balafré. On était un modèle de démocratie, de dialogue politique, de consensus social. Il faut que les acteurs politiques se réveillent. La classe politique sénégalaise est en profonde crise, crise d’orientation, crise de vision, crise d’inspiration. Ils vont vers un naufrage. La situation du Sénégal est grave, elle est très sérieuse et demande des solutions véritables, des solutions de fond. C’est pour ça que j’ai décidé de présenter ma candidature.
Pourquoi n’avoir pas continué avec Benno Bokk Yakaar (Bby) ?
J’étais allié avec Macky Sall. J’étais plus dans la majorité présidentielle que dans des histoires de Benno historique. J’ai quitté Bby en 2016 parce qu’on a voté Non au référendum. Pour 2024, il y a eu cette affaire de carte blanche donnée au Président pour choisir le candidat de Bby, je n’étais pas d’accord et je l’ai fait savoir. Je ne vois pas parmi les lieutenants de Macky Sall quelqu’un qui ait le profil que j’ai et qui soit plus à même de diriger ce pays que moi.
Le choix de Amadou Ba vous a poussé à présenter votre candidature ?
Non. Ça n’a rien à voir avec lui. Cette candidature, c’est depuis longtemps. Si on avait choisi Samba Ba, Moussa Ba, ce serait la même chose. Notre parti avait déjà pris sa décision que son candidat serait Gadio.
La politique, c’est aussi les militants, une base solide, pensez-vous avoir réellement une bonne assise politique pour créer la surprise en 2024 ?
L’histoire le dira. Je peux l’affirmer, mais le mieux, c’est de travailler très dur, de descendre sur le terrain et de vous donner rendez-vous le 25 février au soir.
Vous avez évoqué un Sénégal avec un visage balafré, pensez-vous que les libertés ne sont pas respectées ?
Il s’est passé beaucoup de choses sur la question des libertés politiques, publiques et démocratiques en général. Il y a eu deux camps qui, par un fait historique évident, se sont affrontés et dans l’affrontement, il y a eu des excès de part et d’autre. Il y a eu des confrontations entre Senghor et ses adversaires, entre Diouf et Wade, mais on n’a jamais atteint le niveau qu’on a vécu où les Sénégalais ont eu peur. Ils ont souffert, ils ont été angoissés, pris en otages par l’affrontement entre deux camps et de véritables excès. Il y a eu des appels à l’insurrection, des déclarations incendiaires….
Il y a eu aussi des gens tués…
J’en arrive. Les gens sont dans l’antagonisme ; c’est un camp ou un autre. Je parle aux deux camps. La terreur, le chaos, c’est inacceptable. Mais, de l’autre côté, l’utilisation excessive de la force publique pour dompter des manifestants, ça crée des morts, ça crée une situation qui n’est pas non plus sénégalaise. Il ne s’agit pas d’inculper un camp ou un autre pour envenimer les choses. Il faut arrêter la violence intellectuelle, verbale et politique.
Quelles sont les grands axes de votre offre programmatique ?
Le Sénégal a besoin d’une réconciliation nationale. Il y a un naufrage collectif de la classe politique. Notre pays traverse des difficultés énormes parce que les fondamentaux du développement n’ont pas été pris en charge. Depuis 1960, le Sénégal n’a pas atteint l’autosuffisance alimentaire. Il n’y a pas un pays du monde qu’on dit développé et qui n’a pas réglé le plus fondamental qu’est de nourrir sa population correctement. Au Sénégal, ceux qui ont renoncé aux trois repas/jour sont majoritaires. Ce pays a un immense potentiel agricole (…). Nous ne sommes pas d’accord avec l’hyper-présidentialisme. Le Président du Sénégal est de facto dans la position d’un monarque, de roi. Il faut changer ça et j’en prend l’engagement. Nous voulons un Président qui a assez de pouvoir pour diriger, mais un Président qui n’a pas trop de pouvoir pour aller au-delà de sa mission et commencer à tout contrôler. Un Président qui contrôle la Justice, le Parlement, qui décide de qui doit être le président de l’Assemblée nationale, c’est du jamais vu. Notre Président concentre tous les pouvoirs. Plus grave, il a les corps de contrôle de l’Etat à sa disposition, mais c’est lui qui nomme tous les directeurs généraux des agences à contrôler. Il est le président du Haut conseil de la magistrature. Nous allons proposer que notre Constitution soit sacralisée et confiée à une Cour suprême au-dessus de toutes les institutions. Il faut régler la question de la jeunesse. Nos jeunes avec un master conduisent des ‘’thiak thiak’’ pour faire de la livraison et quand vous les voyez, vous voyez le visage de la colère. Une colère légitime qui leur fait penser à quitter le Sénégal, l’Afrique. Le leadership africain fait défaut. Ces jeunes sont paralysés par les régimes africains qui leur ont volé trois droits : le droit à l’espoir, le droit au rêve et le droit à l’avenir.
On nous a déjà vendu cette autosuffisance pour 2017, mais ça cale toujours…
En 2017, quand le Président projetait l’autosuffisance en riz au Sénégal, on avait encore le plus grand agronome Sénégalais et Africain, le professeur Moussa Seck qui avait des solutions, mais qui n’a jamais été consulté. C’est ça le drame dans notre pays. Les compétences nationales qui ont de solides expériences, qui sont sollicitées ailleurs ne sont pas respectées ni sollicitées dans leur pays. Et, on fait des confusions. Ce qu’on a appelé Domaine agricole communautaire (Dac), ça n’a rien à voir avec ce que le père des agropoles en Afrique, le Pr Seck, avait théorisé. Il y a eu des manquements au plan conceptuel, de la vision. Les jeunes n’ont pas compris cette invitation à faire de l’agriculture le moteur du développement du Sénégal. Les jeunes qui ont foncé dans l’agriculture n’ont pas été subventionnés correctement. Certains ont été victimes des financements politiques, c’est-à-dire s’ils ne sont pas partisans du régime, s’ils ne sont pas d’accord pour prendre la carte de parti, ils ne sont pas financés.
Le gouvernement de Amadou Ba a été présenté comme une équipe de combat pour lutter surtout contre la vie chère, a-t-il réussi ?
La vie est encore très chère au Sénégal. Le prix du carburant est scandaleux. Il y a trop de taxes, une pression fiscale énorme sur les populations et après on nous dit qu’on veut réduire la vie chère. Demandez aux Sénégalais s’ils se sentent mieux aujourd’hui qu’il y a deux ou trois ans ? Est-ce qu’il y a eu des progrès notoires ? Au moment où il y avait les révoltes dans ce pays, il y a eu plus de pirogues qui ont quitté le Sénégal. Qu’est-ce que ça veut dire comme message ? Ça veut dire qu’il y a une rupture fondamentale des jeunes avec notre système. Ils ne sont pas satisfaits.
Est-ce un échec ?
Je suis mesuré. On a échoué à certains endroits, on a fait des progrès dans d’autres. Mais, c’est la dynamique globale qui ne donne pas le résultat espéré qui fait que les gens diront que le pays va bien. Le bilan est mitigé. Il y a des réussites et des échecs, mais des échecs graves.
Vous évoquez toujours la paix, pensez-vous qu’on peut y arriver quand des gens se sentent persécutés et que l’un des principaux chefs de l’opposition est en prison avec plusieurs de ses militants, son parti dissous ?
Il faut absolument une décrispation, un apaisement. Il faut qu’on trouve une voie de salut pour le pays. Ça me gêne qu’on parle de 1000 prisonniers. Si j’étais dans la posture où je pouvais prendre des décisions, j’aurais trouvé des solutions autres que ces arrestations de masse qui ne sont pas bonnes pour l’image et la réputation du Sénégal.
Vous n’avez pas l’impression que la justice est parfois partisane ?
On le dit. Mais, je ne pense pas qu’il y ait une chasse aux sorcières systématique. Il faut trouver une solution avec un dialogue national franc sur certaines questions. Est-ce qu’au nom de l’opposition, on peut dire et faire certaines choses ? Est-ce qu’au nom du pouvoir, on peut agir d’une certaine façon ? Il faut trouver un équilibre entre les deux.
Et cette supposée volonté d’éliminer Ousmane Sonko de la course présidentielle…
Le candidat et ses amis ont répondu à cette question. Je ne sais pas si tout ce qui s’est passé s’est fait sans aucune raison, sans aucune base et n’a que la volonté d’éliminer une personne. C’est beaucoup plus complexe que cela. En tant que démocrate, aucun candidat ne me gêne.
Les régimes militaires du Mali, du Niger et du Burkina Faso ont signé samedi, un pacte de sécurité, une alliance des États du Sahel (Aes) prévoyant que les trois pays se portent mutuellement secours, en cas de rébellion ou d'agression extérieure, n’est pas une autre manière de défier la Cedeao ?
Il y a une tragédie globale qui a frappé la Cedeao qui a atteint ses limites historiques, elle ne peut pas faire plus que ce qu’elle est en train de faire. Les décisions prises par la Cedeao par rapport au Niger étaient malheureuses. Tous ces pays étaient membres du G5 Sahel qui est mort de sa belle mort à cause des divergences, de manque de financement. Aujourd’hui, ils ont lancé un groupe de 3, je leur aurais conseillé qu’on ait une solution Cedeao. Le fait de mener des querelles entre nous fait que les terroristes, les djihadistes, les acteurs de l’économie criminelle font de belles affaires. Les populations sont massacrées et tout le monde est perdant.