NETTALI.COM - Un peu plus de 7 000 voix ont séparé le chef de l’Etat sortant et l’ancien vice-président d’Ellen Johnson Sirleaf lors du premier tour. Le second tour est prévu le 7 novembre.
Le «coup K.-O.» n’a donc pas eu lieu. George Weah l’avait promis aux Libériens, mais le président sortant n’a pas réussi son pari de remporter 50,1 % des voix nécessaires pour être élu au premier tour. Il aura face à lui le 7 novembre, Joseph Boakai, 78 ans, quatre décennies dans les arcanes du pou- voir et ancien vice-président d’Ellen Johnson Sirleaf. Un duel serré, 7 361 voix séparent les deux hommes, 43,84 % pour Weah, 43,44 % pour Boakai d’après les résultats quasi définitifs, et qui sonne comme un match retour de la présidentielle de 2017. George Weah avait alors été élu avec 61,54 % des voix.
Ce deuxième tour est un coup dur pour le camp du président qui n’avait pas préparé financièrement cette hypothèse. «Nous gagnerons dès le premier tour car un deuxième round nous coûterait trop cher», assurait le 10 octobre, jour du vote, Emmanuel Mulbah Johnson, le président de la ligue des jeunes du Congrès pour le changement démocratique (CDC), le parti de George Weah. L’organisation de ces élections générales a été un défi financier pour le Liberia qui a souhaité prendre en charge la majeure partie du scrutin.
Sur les 53 millions de dollars nécessaires pour offrir un vote dans de bonnes conditions, seuls 49 mil- lions avaient été décaissés par le ministère des finances début octobre. Lors d’une comparution devant le Sénat le 29 août, Davidetta Browne Lansanah, présidente de la Commission électorale, avait estimé qu’un second tour des élections ne pourrait avoir lieu que si le ministère des finances déboursait les fonds manquants. Vendredi, elle a calmé les inquiétudes en annonçant le déblocage des crédits grâce à un appui de l’Union européenne et du Programme des Nations unies pour le développement.
Corruption impunie
George Weah n’a sans doute pas mesuré le mécontentement populaire qu’il suscite désormais, bien loin de l’euphorie qu’avait suscitée son élection en 2017. Candidat des couches les plus défavorisées du pays qui se sont identifiées à l’ancien enfant prodige d’un quartier pauvre de Monrovia, l’ancien footballeur paie aujourd’hui son maigre bilan. Malgré les 400 kilomètres de route construits par son administration ou la gratuité des frais d’inscription à l’université qu’il a imposée, «Mister George» n’a pas réussi à convaincre la majorité des électeurs le 10 octobre.
En six ans, son image a été écornée. Même s’il apparaît pour ses partisans comme celui qui a consolidé la paix dans le pays – la guerre civile, qui a fait 250 000 morts selon la Commssion vérité et réconciliation libérienne, s’est achevée il y a vingt ans –, la présidence Weah est désormais aussi associée à une corruption impunie.
«Certains de ses collaborateurs se sont enrichis illicitement et ont été sanctionnés par les Etats-Unis pour détournement de fonds publics sans que Weah n’agisse. D’autres affichent des signes extérieurs de richesse que leurs salaires de fonctionnaires ne peuvent justifier. Dans un pays où la pauvreté est endémique, voir ses collaborateurs acquérir en quelques mois des villas luxueuses choque», explique la docteure en sciences politiques Lucia Maria Ursa, auteure de Le Processus électoral au Liberia, de sa création à aujourd’hui (éd. L’Harmattan, 2018).
Ces scandales ont indubitablement bénéficié à Joseph Boakai. «Il a séduit en promettant de restaurer l’intégrité du gouvernement, lutter contre la corruption et garantir la sécurité alimentaire. Cela a du sens dans un pays doté d’importantes ressources agricoles mais qui peine à se nourrir», explique Ibrahim Al-Bakri Nyei, directeur du Ducor Institute à Monrovia. Pour autant, l’opposition ne part pas gagnante pour le second tour en raison de sa désunion. Avant le scrutin, une tentative de coalition avait tourné court du fait d’intérêts divergents.
«Incompétence flagrante»
Pour MM. Weah et Boakai, une course contre la montre est désormais engagée pour récupérer les voix des candidats éliminés au premier tour même s’ils ne dépassent pas les 2 % des voix. «L’heure est à la négociation de postes de ministres ou de dirigeants de grandes administrations. A ce jeu, Weah part favori car il est au pouvoir. D’autant qu’au Liberia, l’influence des personnalités politiques prime sur les programmes ou l’idéologie du parti», explique Lucia Maria Ursa.
«Boakai n’est pas assuré de s’attirer les faveurs des opposants car certains fustigent son âge [78 ans] et ses alliances, notamment avec Prince John- son, l’ancien seigneur de guerre réélu sénateur qui a imposé le président de son parti comme colistier à la présidentielle. Par ailleurs, Prince Johnson est contre la création d’un tribunal pour juger les crimes de guerre et économiques alors que certains candidats ont fait campagne sur ce sujet. Les négociations du second tour s’annoncent donc très ouvertes», poursuit-elle.
Lors d’une conférence de presse jeudi 19 octobre, M. Boakai a appelé l’opposition à le soutenir afin de «sauver» le Liberia de «l’incompétence flagrante, de la corruption, de l’insécurité et du manque de leadership» du CDC. L’équation pour George Weah sera de séduire les électeurs hors de son fief du sud-est où il a réalisé près de 85 % des voix, alors que Joseph Boakai s’est imposé dans les comtés les plus peuplés.
Si le premier tour de cette élection a été salué par les observateurs internationaux pour sa crédibilité, le second inspire plus de craintes. Même si les candidats se sont engagés en avril à régler tous les litiges par la médiation ou par les institutions adéquates, certaines voix de l’op- position crient déjà à la fraude. Se pose dès lors la question de la reconnaissance du résultat par le perdant au lendemain du 7 novembre.
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