NETTALI.COM - Présenté comme le principal investisseur dans des projets de « villes intelligentes » au Sénégal ou au Kenya, le Kényan Julius Mwale multiplie les annonces mirobolantes. Il laisse pourtant derrière lui depuis vingt ans des factures impayées et des investisseurs mécontents.
L’histoire que Julius Mwale déroule, tout sourire et sans contradiction, c’est celle d’une Afrique qui gagne. « Quand on parle de ceux qui ont fait fortune, parfois ça peut être des personnes pauvres, sans domicile fixe, réfugiées, immigrées… Vous, vous êtes tout ça à la fois », s’enthousiasme Randall Lane, l’un des rédacteurs en chef de Forbes, devant un parterre réuni le 25 avril 2023 pour le Sommet africain pour les moins de 30 ans, organisé par le magazine américain à Gaborone, au Botswana. Julius Mwale y est présenté comme l’un des plus importants entrepreneurs kényans.
Né sur les rives du lac Victoria, au Kenya, au milieu des années 1970, Mwale a d’abord rejoint l’armée de l’air kényane avant d’immigrer aux États-Unis. C’est à New York qu’il aurait fait fortune, au lendemain du 11 septembre 2001, en inventant une nouvelle « technologie biométrique pour sécuriser les transactions en ligne » qui aurait été adoptée par des banques, non seulement aux États-Unis, mais un peu partout à travers le monde.
Sa première entreprise, SBA Technologies Inc., créée dans l’État de New York en 2003, serait même devenue, explique-t-il encore au rédacteur en chef de Forbes, « l’une des plus grandes entreprises biométriques du monde », pesant « plusieurs milliards de dollars ».
Mais si Julius Mwale est ce jour-là invité, c’est pour parler de son projet de smart city, ou ville intelligente, dans l’ouest du Kenya. La ville futuriste, baptisée Mwale Medical and Technology City (MMTC), serait construite autour d’un complexe médical high-tech censé « éviter aux Africains d’avoir à se rendre chaque année en Inde pour se soigner ». « J’ai grandi au Kenya, je voulais y retourner et donner quelque chose en retour à la communauté », assure Julius Mwale devant Randall Lane.
L’enquête de Mediapart révèle que non seulement Julius Mwale n’a pas fait fortune comme il le prétend, mais aussi que ses projets n’ont jamais véritablement abouti. Depuis quinze ans, ce milliardaire kényan auto-proclamé est régulièrement accusé de laisser derrière lui des factures impayées. Malgré tout, il multiplie les effets d’annonce, peut toujours s’associer à d’anciens militaires américains et rencontrer des chef·fes d’État et célébrités pour promouvoir son modèle de smart city à travers le monde.
Pour l’avocat de Julius Mwale, Me Javier Munzala, ces allégations sont « délirantes », « diffamatoires et teintées de forts relents racistes qui semblent discréditer les personnes noires comme des escrocs ». Et pour tenter de balayer ces accusations, il propose un entretien avec son client et une visite de son projet de smart city « entre mars et juillet 2024 ».
Brevets rejetés et loyers impayés
Dans ses interviews, Julius Mwale raconte souvent que, lorsqu’il est arrivé à New York, il vivait dans un centre pour sans-abri, mais qu’il a malgré tout pu être diplômé de l’université Columbia. Son service de communication confirme avoir accueilli en 2004 un étudiant appelé Julius Mwale, mais « il n’est pas diplômé ».
Si sa société, SBA Technologies Inc., est devenue une multinationale de plusieurs milliards de dollars comme il le prétend, elle n’a jamais été cotée en bourse. Elle a même été dissoute en 2010 avant d’être ressuscitée deux ans plus tard.
Julius Mwale a déposé au milieu des années 2000 une demande internationale de brevet ainsi que des demandes dans plusieurs pays, comme les États-Unis, le Canada et l’Inde. Aucune n’a abouti, et pour cause : dans une opinion écrite datée du 9 juillet 2007, l’Office américain des brevets et des marques (Uspto), chargé d’évaluer la pertinence de la demande, déplore l’absence d’une « activité inventive » dans l’invention de Julius Mwale. En clair, son système d’authentification biométrique n’est pas suffisamment innovant et se contente d’apporter des modifications « évidentes » à des technologies existantes.
Plus troublant encore, en 2009, Jacob’s First LLC, le propriétaire du siège social de sa société, situé dans un immeuble de la très chic Cinquième Avenue à New York, porte plainte. Il réclame, ainsi qu’à SBA, près de 145 000 dollars. Julius Mwale est condamné à rembourser les arriérés en 2011, mais quatre ans plus tard, le propriétaire dépose un nouveau recours car la facture n’est toujours pas payée.
À cette époque, deux investisseuses, Dianne Schwartz et Marilyn White, portent elles aussi plainte à New York. Elles estiment avoir été « frauduleusement amenées à verser des fonds à SBA Technologies sur la base de fausses indications ». Julius Mwale leur avait promis de multiplier par plus de 30 leur investissement de 266 000 dollars dans sa société. Elles devaient toucher 8,8 millions de dollars après son entrée en Bourse. En 2012, Julius Mwale est condamné à leur rembourser l’intégralité de la somme investie augmentée de 58 000 dollars d’intérêts.
Un avocat new-yorkais, Stanley S. Zinner, avait prêté plus de 150 000 dollars à Julius Mwale. Il en est lui aussi pour ses frais. En 2009, l’homme d’affaires kényan est condamné à le rembourser, mais quand il ne le fait pas, Zinner se retourne contre une psychiatre américaine, Fiona Graham, qui les a présentés. Elle avait déjà servi d’intermédiaire avec Dianne Schwartz et Marilyn White et codirige une fondation créée par Mwale et sa femme, l’Institut américain pour le développement africain (AIAD). Contactée, Fiona Graham n’a pas répondu aux questions de Mediapart.
L’AIAD, une fondation fantôme
En septembre 2007, Julius Mwale, Kaila Mwale et le docteur Fiona Graham ont créé une société à but non lucratif, nommée American Institute for African Development (AIAD). Sur son site, elle se présente comme « une fondation privée d’exploitation et d’octroi de subventions [qui] vise à façonner les politiques publiques ». Selon l’Internal Revenue Service (IRS), l’agence fédérale américaine chargée de collecter les taxes et les impôts, AIAD n’a jamais été exemptée d’impôts, contrairement à la plupart des sociétés à but non lucratif aux États-Unis, qui peuvent demander ce statut. L’exonération fiscale exige en contrepartie de répondre à certaines exigences de transparence, comme la publication de rapports financiers annuels.
Un flyer de SBA Technologies, la société de Julius Mwale, daté d’août 2014, et relayé par le blogueur et cyberactiviste kényan Robert Alai, montre des photos de Julius Mwale et de sa femme Kaila Mwale, présentée comme la directrice d’AIAD, participant à un dîner organisé par le Corporate Council on Africa (CCA), une organisation à but non lucratif dont l’objectif est de promouvoir les investissements entre les États-Unis et les pays africains. La soirée, sponsorisée par SBA Technologies, comptait parmi ses invités le président congolais Denis Sassou-Nguesso, l’ancien président mozambicain Armando Guebuza, l’ancien président kényan Uhuru Kenyatta et l’ancien président ghanéen John Dramani Mahama.
Des bâtiments sortent de terre
Après ses déboires judiciaires aux États-Unis, Julius Mwale se relance au Kenya en 2015 avec une nouvelle société, Tumaz and Tumaz Enterprises Limited, qui va porter à Kakamega, dans sa région natale, à plus de 400 kilomètres de la capitale, son projet de ville intelligente. Deux ans plus tard, au milieu de nulle part, les premiers bâtiments sortent de terre et l’homme d’affaires fait le tour des médias kényans pour vanter le caractère pharaonique de son projet, qu’il compare volontiers à la Silicon Valley.
Il faut dire que Julius Mwale a une ambition démesurée pour sa ville qu’il décrit déjà comme une « métropole » : il évoque tous azimuts la construction d’un aéroport, de lignes de téléphérique, d’hôtels, de complexes résidentiels, d’un parc technologique doté d’un centre de transformation des déchets en biogaz, le tout éclairé par des lampadaires à énergie solaire. Face au rédacteur en chef de Forbes, Mwale assure que 2 milliards de dollars ont été investis dans ce projet et que ses 35 000 habitant·es sont devenu·es « la nouvelle classe moyenne africaine ».
En y regardant de plus près, Mwale Medical and Technology City se limite à quelques bâtiments situés sur un espace d’un peu plus d’un kilomètre carré. Sur les images satellitaires comme sur les photos promotionnelles, on voit une petite supérette, un golf, un minuscule café, quelques maisons et un hôpital de verre et de béton, qui devait avoir une capacité de 5 000 lits, soit le plus grand d’Afrique et le deuxième du monde.
Quand on appelle la réception, on apprend que le centre de traitement du cancer n’est pas opérationnel et que l’hôpital traite à peine chaque jour, en ambulatoire, une centaine de patient·es, principalement contre le paludisme. Un ancien cadre de l’Association kényane de lutte contre le cancer confirme de son côté qu’à sa connaissance, « aucun patient atteint de cancer n’a jamais été soigné dans cet hôpital ».
Les références américaines sont omniprésentes : la supérette s’appelle Mwalmart, en référence au géant américain de la distribution, tandis que l’hôpital, le golf et les résidences se déclinent en Hamptons Hospital, Hamptons Golf Resort and Residences, un clin d’œil au célèbre lieu de villégiature de l’élite new-yorkaise.
Il y a aussi un petit hôtel appelé Major Mwale Resort and Spa, qui ne prend aucune réservation en ligne et a pour principal contributeur sur les réseaux sociaux Tindi Mwale, le frère de Julius, devenu l’an dernier député de la circonscription.
C’est un escroc, un fraudeur, je ne comprends pas comment il fait pour être encore dans le coup.
Marlon Stoltzman, agent de deux mannequins qui se disent flouées
On ne trouve finalement que peu de photos et de vidéos autres que promotionnelles de MMTC, et les figurant·es sont souvent les mêmes, tour à tour déguisé·es en médecin, en client·e, en résident·e. On y reconnaît plusieurs influenceuses, dont la star de téléréalité Elisa de Panicis, ancienne petite amie du footballeur Cristiano Ronaldo, ou les célèbres mannequins sud-africaines Genevieve Morton et Candice Swanepoel.
Cette dernière signe en mai 2019 un contrat de 960 000 dollars. Mais six mois plus tard, elle menace Julius Mwale d’un procès car elle n’a toujours pas été payée. L’homme d’affaires se défend en accusant à son tour la top model d’avoir violé la clause de règlement de conflits qui oblige les deux parties à avoir recours à un arbitrage. La Cour suprême de l’État de New York rejette la plainte et invite les deux parties à régler leur différend elles-mêmes. Contactée, l’avocate de Candice Swanepoel n’a pas fait de commentaire. Celui de Julius Mwale affirme de son côté que son client ne doit rien à la top model.
Quatre ans plus tard, Marlon Stoltzman, l’agent de Genevieve Morton et de Candice Swanepoel, n’en revient toujours pas : « C’est un escroc, un fraudeur, je ne comprends pas comment il fait pour être encore dans le coup. C’est comme s’il avait réussi à nettoyer l’Internet parce que lorsque nous avons commencé avec lui, il n’y avait rien sur lui, tout avait l’air en règle, raconte-t-il. Il a même promis une maison à Genevieve ! Mais finalement, elle a travaillé pour lui pendant un an sans jamais être payée. J’ai moi-même dû avancer des frais pour des shootings : 45 000 dollars pour les billets d’avion, la location du matériel, les hôtels… J’ai pu récupérer 20 000 dollars après des mois d’appels téléphoniques, il me demandait de refaire sans cesse les factures. Il trouvait toujours une nouvelle excuse pour ne pas payer. »
Candice Swanepoel et Genevieve Morton ne sont pas seules : plusieurs fournisseurs et fournisseuses, entrepreneurs et entrepreneuses kényan·es qui ont participé à l’aménagement et à la construction de Mwale Medical and Technology City disent aussi n’avoir jamais été payées.
Une ardoise de 2,5 millions de dollars
Certains ont porté plainte, malgré des menaces dont ils disent faire l’objet, comme Robert Okumu, l’un des directeurs de Sifatronix, une entreprise qui a loué des camions et fourni du gravier et des pierres pour les routes : « Julius Mwale avait dit qu’il paierait dans les 45 jours, il me devait plus de 30 millions de shillings (233 000 euros). Il m’a donné des chèques sans provision. Six ans plus tard, je n’ai toujours pas été payé », a-t-il expliqué à Mediapart en juillet.
L’affaire doit être entendue en novembre prochain. Au total, selon ces plaintes publiques, entre New York et Nairobi, Julius Mwale et ses différentes sociétés sont accusés d’avoir laissé ces quinze dernières années au moins 2,5 millions de dollars de factures impayées. Mediapart a également échangé avec une dizaine d’autres entrepreneurs et fournisseurs kényans, ainsi qu’un ancien employé de l’hôpital, qui disent n’avoir jamais été payés mais avoir renoncé à saisir la justice, essentiellement par peur de représailles.
De nouveaux projets du Portugal à Brazzaville
En août 2023, Julius Mwale était cité dans plusieurs médias portugais comme l’un des investisseurs derrière le projet de rachat du Club Sport Marítimo, le principal club de football de l’île de Madère, pour 43 millions d’euros, par l’ancien international de football canadien Alex Bunbury. La proposition a été rejetée fin septembre par la direction du club. Ni le club ni Alex Bunbury n’ont répondu à nos sollicitations.
En juillet 2023, Julius Mwale a été reçu au Congo-Brazzaville par Lydie Pongault, la ministre de l’industrie culturelle, touristique, artistique et des loisirs, pour présenter deux projets d’investissement de plusieurs centaines de milliers d’euros : la construction d’une cité médicale à Brazzaville et de loges dans la réserve des gorilles de Lésio-Louna. Fin août, Julius Mwale a même rencontré le président Denis Sassou-Nguesso pour promouvoir ses projets. Contactée par Mediapart, la ministre Pongault n’a pas souhaité faire de commentaire.
Sur les réseaux sociaux, entre 2018 et 2021, Mwale Medical and Technology City ne cesse pourtant d’annoncer de nouveaux partenariats avec des investisseurs du monde entier. Mais vérifications faites auprès des plus connus, comme les groupes français Duval et Atos ou encore la ville de Fort Lauderdale en Floride, aucun ne reconnaît avoir investi. Même les membres de KUDS Sacco, l’une des principales associations d’hommes d’affaires kényans aux États-Unis, qui avaient échangé avec Mwale en 2018, disent n’avoir plus jamais eu de nouvelles de lui, selon son président.
Au Sénégal, le soutien du rappeur Akon
Devant le rédacteur en chef de Forbes, Julius Mwale ne cite pas le nom de la « grosse entreprise américaine » qui l’assiste dans ses projets. Quatre mois après la création de Tumaz and Tumaz, en novembre 2015, KE International voit le jour dans l’État du Delaware, sans doute le plus opaque des États-Unis. On ne sait donc pas qui sont les bénéficiaires de cette société. Mais même si son avocat le dément, elle semble liée à Julius Mwale. C’est elle qui représente MMTC aux États-Unis, comme dans le contrat avec Candice Swanepoel. Et inversement, quand KE International veut poursuivre des opérateurs au Kenya, c’est Tumaz and Tumaz, la société de Mwale, qui agit en son nom.
Sur son site internet, créé en 2020, KE International revendique « un portefeuille de plus de 8 milliards de dollars ». Seuls deux projets sont cités : MMTC au Kenya et Akon City au Sénégal. Ce dernier est lancé en grande pompe la même année par le rappeur américain d’origine sénégalaise Akon. Son design futuriste digne de Wakanda, l’empire technologique africain imaginé par Marvel, suscite de nombreux articles dans la presse sénégalaise et internationale. KE International est présentée comme le maître d’œuvre du projet, Mwale est parfois cité comme l’un des premiers investisseurs.
Selon un ancien proche de la famille Knox, les initiales « KE » de KE International sont celles de la belle-famille américaine de Julius Mwale. Knox Entreprises aurait été créé par Derek Knox, l’un des frères de Kaila Mwale, l’épouse de Julius. Derek Knox est un ancien employé de Boeing et membre de la Garde nationale des États-Unis, une force de réserve de l’armée. « Les deux familles vivaient ensemble dans la même maison en Floride, explique cet ancien proche. Mais ils gardent tout très compartimentalisé, je pense a posteriori qu’ils le font exprès. »
Quand Derek Knox signe des contrats, il les signe sous le nom de Derek William. C’est aussi sous ce patronyme qu’il est présenté sur le site de KE International. Rien n’indique qu’il y joue un rôle prédominant. Côté kényan et MMTC, c’est un autre beau-frère de Julius Mwale qui gère. Daniel Knox n’apparaît nulle part sur le site de KE International et les réseaux sociaux de MMTC, mais c’est lui qui était visé aux côtés de Mwale dans la plainte déposée par Candice Swanepoel et son agent.
Le basketteur Jared Harrington ne répond plus
En février 2023, le joueur international de basket américain Jared Harrington avait annoncé la construction d’un stade polyvalent de 20 000 places à MMTC. Contacté en avril par Mediapart, il s’était réjoui de son partenariat avec Julius Mwale et avait confié réfléchir à d’autres projets d’investissement avec le faux milliardaire kényan. La construction du stade n’a pas débuté et il n’y a eu aucune autre annonce officielle depuis. Recontacté en août, Jared Harrington n’a pas répondu à nos nouvelles sollicitations.
Le rappeur Akon avait annoncé en août 2021 avoir conclu avec succès un test de sa cryptomonnaie Akoin à MMTC et même diffusé un clip pour la promouvoir avec des images de la « smart city » de Julius Mwale. Akon a été accusé en mars 2023 par la Securities and Exchange Commission (SEC), l’organisme fédéral américain de contrôle des marchés financiers, comme sept autres célébrités, d’avoir « illégalement fait la promotion » d’actifs numériques sans révéler qu’il a été rémunéré pour le faire.
En septembre 2021, Akon aurait discrètement pris ses distances avec la société. Selon l’un des nouveaux représentants officiels d’Akon City, ni KE International ni Julius Mwale n’ont été en mesure de mobiliser des fonds : « Pour un projet comme ça qui va durer quinze ou vingt ans, il faut avoir des acteurs internationaux à même de rassurer les investisseurs, des boîtes qui sont cotées en Bourse et qui valent des milliards de dollars », explique-t-il.
Cela n’a pas empêché la star américaine de s’afficher avec le faux milliardaire kényan en août dernier sur les réseaux sociaux de MMTC. KE International y est cette fois présenté comme consultant sur le projet. Le représentant d’Akon City minimise et assure que ses contacts se limitent à des discussions autour de la construction d’un hôpital. La ville rêvée par Akon n’est en tout cas toujours pas sortie de terre.
Une ribambelle de militaires américains
Toute cette affaire devient plus obscure encore quand on s’intéresse au profil des personnes associées à KE International et à Derek Knox. Jusqu’en septembre 2021, un certain Paul Martin s’exprime dans la presse en tant que porte-parole du projet Akon City. À l’époque, cet ancien de l’US Air Force est encore officier dans la Garde nationale aérienne en Floride, et se présente même à partir d’août 2021 sur son profil LinkedIn comme commandant à plein temps d’une unité. Contacté, le service de communication de la Garde nationale minimise et assure qu’il n’y travaille qu’à mi-temps et n’a pas à signaler ses autres activités.
Les autres directeurs apparaissant sur le site de KE International sont tous américains et ont des profils similaires à ceux de Derek Knox et Paul Martin. Ils viennent pour la plupart de la Garde nationale des États-Unis ou de Boeing et seraient de simples investisseurs, explique un ancien proche de la famille Knox. « Ils demandent à vous mettre sur le site, mais beaucoup n’ont aucune responsabilité, ni même accès à des documents internes, explique-t-il encore. Ils promettent un taux élevé de retour sur investissement après un ou deux ans et plutôt que de rembourser, ils promettent toujours plus. »
Parmi les cautions de la société, membres du conseil consultatif, on retrouve une ribambelle d’anciens hauts gradés de l’armée américaine comme Joe Ballard, l’ancien patron des ingénieurs de l’armée américaine sous Bill Clinton, qui a remporté ces dernières années, avec sa société Ravens Group, des millions de dollars de contrats avec l’administration américaine. À partir de décembre 2018, il apparaît régulièrement sur des photos au Kenya où il est présenté comme un investisseur de MMTC.
Plusieurs autres officiers à la retraite, des généraux, vice et contre-amiraux ont aussi rejoint, au moins pour un temps, KE International, ce qui ne semble pas inquiéter l’armée américaine. « Ces individus à la retraite sont désormais des personnes privées », explique l’un de ses porte-parole.
Ces anciens officiers américains ne sont pas les seuls à accepter de s’associer à différents degrés avec l’homme d’affaires kényan. On le retrouve en photo sur les réseaux sociaux avec toutes sortes d’hommes politiques américains et africains, dont plusieurs présidents : Donald Trump en août 2021, le Ghanéen Nana Akufo-Addo en septembre 2022, le Sierra-Léonais Julius Maada Bio en octobre 2022 et à plusieurs reprises le Kényan William Ruto, qu’il a même accompagné lors de sa visite officielle au Congo-Brazzaville début juillet. En juin, le vice-président du Botswana, Slumber Tsogwane, a même visité MMTC avec une forte délégation. Mwale continue de promettre tout et partout.
Clément Bonnerot et Sonia Rolley (Médiapart)