NETTALI.COM - En prison depuis le 31 juillet 2023, Ousmane Sonko se bat pour sortir du tourbillon judiciaire au cœur duquel il est entrainé depuis des années. Les procédures s’enchainent à un rythme soutenu au point de dérouter ceux qui suivent ses affaires.

Depuis trois ans, le nom de Ousmane Sonko colle avec la justice. Depuis l’éclatement de l’affaire Sweet Beauté, il ne passe pas une semaine sans que les avocats du leader de l’ex-parti Pastef ne posent un acte pour se défendre ou pour attaquer et/ou pour contre-attaquer. Ce qui place l’ancien inspecteur des Impôts et Domaines au cœur d’un terrible tourbillon judiciaire. Ses conseils ne baissent jamais les bras et contestent toute décision contraire à leur volonté. La venue de l’avocat franco-espagnol, Me Juan Branco, dans le pool de défense du maire de Ziguinchor n’a fait qu’agrémenter les choses. D’ailleurs, Me Branco a posé avant-hier mardi un acte fort en informant que la plainte qu’il a déposée contre le Président Macky Sall pour crime contre l'humanité commence à prendre effet.  Me Juan Branco a annoncé que le pôle crimes contre l'humanité du parquet national anti-terroriste français vient de prendre ses premières réquisitions dans le cadre de la procédure lancée contre M. Macky Sall et son entourage pour crimes contre l'humanité. Un autre front judiciaire ouvert à l’étranger.

Pendant ce temps, deux procédures attentent leur dénouement. Ce vendredi 17 novembre, le leader de Pastef attend deux verdicts déterminants, surtout pour son avenir politique. A la Cour suprême, Ousmane Sonko espère que la décision rendue par le juge Sabassy Faye, le réintégrant dans les listes électorales, soit confirmée. Même si elle peut être infirmée. Le même jour, la Cour de justice de la Cedeao rendra sa décision suite à la saisine des avocats de Sonko, sur la réintégration de Ousmane Sonko dans les listes électorales après sa radiation…

Appel à l’insurrection

Partie d’un simple vol de téléphone appartenant à une gendarme, l’affaire vire aux crimes. Dans son réquisitoire introductif, le procureur de la République, Abdou Karim Diop, avait visé les chefs d’appel à l’insurrection, d’association de malfaiteurs, d’atteinte à la sûreté de l’État, de complot contre l’autorité de l’État, d’actes et manœuvres à compromettre la sécurité publique et à créer des troubles politiques graves, d’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste et de vol à l’arraché. En fait, le chef de parquet avait saisi cette occasion pour faire payer au maire de Ziguinchor tous ses péchés passés… Il a ainsi requis le mandat de dépôt avant de confier le dossier au Doyen des juges d’instruction, Omar Maham Diallo. Au-delà des crimes visés, le ministère public avait motivé son réquisitoire, évoquant les dispositions de l’article 139 du Code de Procédure Pénale. De ce fait, le juge était tenu de décerner un mandat de dépôt contre Ousmane Sonko. Cela a pris forme le 31 juillet 2023. Ousmane Sonko a été écroué à la Maison d’Arrêt et de Correction de Sébikotane.

A la fin de l’enquête, si le juge d’instruction instruit à charge contre Ousmane Sonko, il va être jugé devant la chambre criminelle. Pour le seul crime d’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, il peut écoper d’une peine allant de 10 ans à la réclusion criminelle à perpétuité. Encore, selon les dispositions de l'article 85 du Code pénal qui réprime le mouvement insurrectionnel, l’infraction est punissable « d'une peine de 10 à 20 ans contre toute personne qui aura provoqué ou facilité un rassemblement insurrectionnel ».

La dissolution de Pastef

A la suite de l’incarcération d’Ousmane Sonko, son parti a été dissous. Via un communiqué, le ministre de l’Intérieur et de la sécurité publique avait annoncé la dissolution par décret présidentiel N° 2023-1407, signé ce 31 juillet 2023, du parti Pastef/Les Patriotes. Ce, «suite à ces événements qui constituent un sérieux et permanent manquement aux obligations des partis politiques et conformément aux dispositions de l'article 4 de la Constitution et de l'article 4 de la loi n° 81-17 du 06 mai 1981 relative aux partis politiques, modifiée par la loi n° 89-36 du 12 octobre 1989», avait établi le premier flic à l’époque, Antoine Félix Abdoulaye Diome. Par conséquent, tout acte posé par le parti Pastef est nul. Ses biens devaient être liquidés. Les avocats de Pastef avaient introduit un recours à la Cour suprême pour attaquer le décret. D’ailleurs, ce dossier a même été attaqué par les conseils de Sonko devant la Cour de justice de la Cedeao qui, après examen, rendra son verdict vendredi prochain, 17 novembre 2023.

Bataille sur l’état de contumax

 Le 1er juin 2023, Ousmane Sonko a été condamné par la Chambre criminelle de Dakar à 2 ans ferme avec une amende de 6 000 000 de Fcfa, pour corruption de la jeunesse dans l’affaire Sweet Beauty où il était accusé de viol et de menace de mort par la masseuse Adji Raby Sarr. Le juge l’a acquitté du crime de viol. Dans cette affaire, Ousmane Sonko a été jugé par contumace. L’état de contumax a alimenté les débats. Le ministre de la Justice, à l’époque, Ismaila Madior Fall, avait fait une note sur la condamnation. «L’accomplissement des formalités est un préalable à l’exécution de la décision. La signification de la décision de condamnation à la partie, qui n’est pas présente ou représentée à l’audience, est une mesure nécessaire pour le décompte des délais d’appel. Le contumax, qui n’est pas admis à interjeter appel (article 313 CPP), n’est pas concerné par cette formalité liée à la signification de la décision, mais plutôt par la publicité ci-dessus évoquée, ce, d’autant qu’il peut être arrêté, en exécution de la décision. Laquelle a lieu à la requête du Procureur de la République, dès qu’elle est devenue définitive. L’arrestation du condamné contumax peut intervenir aussitôt la décision disponible. Elle peut être réalisée par un soit-transmis de la décision de condamnation, qui vaut titre de détention, ou par une réquisition aux fins d’incarcération (comme en matière de contrainte par corps), adressée à la force publique… », avait affirmé le garde des sceaux. Me Abdoulaye Tall de Pastef avait porté une réplique. « Ousmane Sonko a été jugé par contumace. Mais, les dispositions du Code de procédure pénale sont très claires : dès que le contumax est arrêté, le jugement le concernant est anéanti. Cela veut dire que Ousmane Sonko n’a plus besoin de se constituer prisonnier, parce qu’il est déjà prisonnier.»

Mieux, à la suite de son emprisonnement, l’opposant a adressé une lettre d’acquiescement au greffe du tribunal de grande instance de Dakar, demandant à être rejugé. La Greffe du Tribunal de Grande Instance avait accusé réception de la lettre de Ousmane Sonko. Laquelle lettre a été déchirée par Ismaïla Madior Fall, alors ministre de la Justice. Estimant que Ousmane Sonko a été arrêté, détenu et poursuivi pour des causes différentes de sa condamnation par la Chambre criminelle, il avait assuré que ça n’avait rien à voir et qu’il fallait déconnecter les deux. «Autrement dit, s’il (Ousmane Sonko) se constitue prisonnier de son propre chef ou s’il est arrêté en exécution du jugement de la Chambre criminelle, oui la contumace tombe», a fait savoir Ismaïla Madior Fall. C’est dire, dans la logique du pouvoir, que la situation de contumax de Sonko n’a pas changé.

La radiation des listes électorales

Le 3 août 2023, le sous-préfet des Almadies a informé Ousmane Sonko de sa radiation des listes électorales. Pour contester la radiation, l’opposant s’est battu sur deux fronts. Ses avocats avaient déposé un recours devant la Cour suprême, plaidé à la chambre administrative le référé liberté, dénonçant le refus de la Direction générale des élections (Dge) de délivrer au mandataire de O. Sonko les fiches de parrainage pour la présidentielle.

Le 6 octobre 2023, la Cour suprême a déclaré recevable le dossier en la forme avant de le rejeter au fond. Le second recours était devant le tribunal de Ziguinchor, portant sur sa radiation des listes électorales, raison invoquée par la Dge pour refuser de lui remettre des formulaires de parrainage. En rendant sa décision, le 12 octobre 2023, le juge Sabassy Faye annonce l’annulation de la radiation de Ousmane Sonko, ordonnant aux services compétents de l’Etat de le réintégrer. Seulement, l’Agent Judiciaire de l’Etat a saisi la Cour suprême pour casser le verdict. L’audience est prévue le vendredi 17 novembre

La commission électorale nationale autonome (Cena) avait adressé une lettre à la Direction générale des élections (Dge), lui ordonnant la délivrance des fiches de parrainage à Ousmane Sonko. Dans sa réponse, la Dge dit qu'elle «n'a pas compétence pour mener une quelconque action sur le fichier électoral».

Diffamation

Ousmane Sonko avait aussi un dossier contre Mame Mbaye Niang, le ministre du Tourisme et des Loisirs. Dans ce dossier dit Prodac, la Cour d’appel de Dakar a condamné Sonko à 6 mois assortis du sursis pour injure publique et diffamation avec 200 millions FCFA de dommages et intérêts. Lors du premier jugement devant le tribunal correctionnelle, le prévenu avait écopé de 2 mois avec sursis. Les avocats d’Ousmane Sonko ont saisi la Cour suprême, concernant cette procédure. Selon un de ses conseils qui a requis l’anonymat, le dossier est en phase de mise en état. Les échanges de mémoire des parties sont en cours. Après, le rapporteur fera son mémoire. Ensuite, une date d’audience sera retenue. Selon un des avocats de Ousmane Sonko, tout peut arriver devant la Cour Suprême. «Il n’est pas exclu que la Cour (Suprême) renvoie le dossier devant une cour d’appel, autrement composée, pour rejuger cette affaire de diffamation», estime-t-il.

Napel à l’affût

Le 6 février 2023, l’élément des Renseignement Généraux (Rg), officiant à la Présidence de la République, Frédéric Napel, avait porté plainte contre Ousmane Sonko devant le procureur de la République. Le plaignant lui reproche des faits de « mise en danger de la vie d'autrui, atteinte à intégrité, appel au meurtre, fausses accusation et diffamation». Seulement, l’enquête semble être au point mort.  Mais les faits dénoncés n'étant pas encore prescrits, l'affaire peut être dépoussiérée à tout moment.