NETTALI.COM – Alors que la justice sénégalaise est de manière permanente suspectée d’être aux ordres de l’exécutif, la question que l’on est en droit de se poser, est de savoir l'enseignement à tirer des dernières décisions rendues dans les deux dossiers judiciaires d’Ousmane Sonko.
Dans la décision du juge Maham Keita, relative à l’affaire de diffamation opposant Ousmane Sonko au ministre Mame Mbaye Niang, l’on a senti une volonté du juge de couper la poire en deux, en octroyant d’une part, des intérêts civils de 200 millions de francs au ministre diffamé, et d’autre part, en n’ôtant pas à Ousmane Sonko son éligibilité. 200 millions, un niveau de montant alloué bien rare en la matière et une décision pas très appréciée du côté de Benno, où le juge a été accusé d’être proche de Pastef, de par les publications favorables à ce parti, notées par eux sur sa page facebook.
De même, dans l’affaire de la radiation d’Ousmane Sonko des listes électorales et le refus de remettre des fiches de parrainage à son mandataire Ayib Daffé, le juge Sabassy Faye du tribunal d’instance de Ziguinchor a demandé la réintégration d’Ousmane Sonko dans le fichier électoral. Une décision qui a été finalement cassée par la Cour suprême pour des questions de motivation de la décision du juge de Ziguinchor. Dans cette affaire aussi, l’agent judiciaire de l’Etat a cherché à récuser le juge, alors même qu’ont été évoqués des liens de proximité partisane entre le frère du juge en question et le leader de Pastef.
Lorsque l’affaire est à nouveau jugée par le tribunal d’instance de Dakar, le juge Ousmane Racine Thione a abondé dans le même sens que le juge de Ziguinchor, alors que beaucoup de messages dans les réseaux sociaux allaient dans le sens de fantasmer sur un choix pas fortuit du tribunal de Dakar, suspectant une volonté de l’Etat de manipuler l’affaire.
Que de fantasmes et de suspicions finalement dans les affaires juridico-politiques ! Et pourtant, beaucoup de ceux qui voient des bizarreries dans le jugement de ces affaires, oublient que le droit est une science et que sa pratique ne se fonde ni sur le bon sens, ni sur leurs vœux propres, mais bien sur des textes que seuls une longue pratique du droit, peut permettre d’apprivoiser. Un grand public d'ailleurs de plus en plus manipulé par les avocats qui ne se privent pas de faire des commentaires qui vont dans le sens qui arrange leurs clients. Du côté de l’Etat, comme de l’opposition.
Des affaires et des décisions qui laissent finalement penser que les suspicions vis à vis de la justice, sont certainement à relativiser. Car, il ne peut exister que de mauvais juges ou de bons juges en fonction des décisions et des circonstances. Une remarque valable, quel que soit par ailleurs le bord que l’on prend.
Les hommes politiques doivent à la vérité savoir raison garder et prendre garde à ne pas tenter de saper l’autorité de la justice, voire de la discréditer. Une posture qui peut se révéler dangereuse, car en soi, la justice est un rempart de notre démocratie qu’il faut davantage protéger, mais aussi chercher à améliorer, tant dans son organisation, son fonctionnement et l’indépendance de ceux qui rendent la justice.
Tout le déroulement de ces affaires et les décisions de justice rendues dans le temps sur le contentieux politique, nous livrent en réalité un enseignement. L’indépendance est d’abord une question individuelle du juge, avant d’être une question de corporation, même si cette indépendance peut comporter des limites liées à un système judiciaire plus fort que ses acteurs avec des juges qui cherchent pourtant à faire leur travail en toute impartialité.
Mais toutes ces décisions rendues récemment, ne doivent pas occulter le fait que notre système judiciaire n’a pas beaucoup évolué dans le temps, en particulier en ce qui concerne le droit pénal et la procédure pénale, depuis 1965. L’on a beau épiloguer sur la question et chercher des fautifs, mais aucun des présidents de la république, de Senghor à Macky, en passant par Diouf et Wade, n’a cherché à la faire évoluer dans un sens qui accorde moins de pouvoir à l’exécutif, mais dans une logique d’équilibre des pouvoirs. Comme par exemple ces articles liberticides du Code pénal (56 à 100 et 255) ainsi que 139 du Code de procédure pénale, qui lient le juge d’instruction dès lors qu’elles sont brandies.
De même, sont pointés du doigt les pouvoirs importants du procureur de la république qui envoie des personnes en prison, tout en étant juge et partie lors procès dans les dossiers de flagrant délit, alors qu'il aurait fallu que ce soit un autre juge tampon entre qui joue ce rôle.
Si les procureurs étaient moins liés par le ministère de la justice, cela aurait pu davantage éviter que l’on suspecte l’exécutif d’être aux manettes dans les affaires politico-judiciaires. Que fait-on par exemple des réquisitions écrites du ministre de la justice au procureur de la république ? Elles le soumettent tout simplement dans sa logique de poursuite, et celui-ci n’a d’autres possibilités pour exercer sa liberté, qu’une fois en jugement et au moment des réquisitoires oraux. Une situation résumée par ce fameux précepte : « la plume est serve, la parole est libre ». C’est cette liberté qu’ont voulu respectivement exercer les procureurs généraux à la Cour suprême Marième Diop Guèye et Ousmane Diagne, dans cette affaire Ousmane Sonko : la première en en demandant à la Cour suprême de rétablir le leader de Pastef dans ses droits, en ordonnant à la Direction générale des élections de remettre à son mandataire, des fiches de parrainage ; le second de requérir de la haute juridiction, l’annulation de la radiation d’Ousmane Sonko des listes électorales.
Il y a, en effet, toute une littérature sur le sujet qui montre combien l’exécutif a une prééminence sur les autres pouvoirs. Comme lorsque le président de la république et son ministre de la justice siègent au conseil supérieur de la magistrature pour gérer la carrière des magistrats. Pire certaines nominations sont faites sous le sceau des consultations à domicile, là où d’autres magistrats peuvent être affectés pour des raisons de nécessité de service, lorsqu’une juridiction donnée, n’a pas suffisamment de magistrats pour rendre la justice. Et pourtant, le principe de l’inamovibilité des magistrats du siège, c’est-à-dire ceux qui tranchent les litiges lors des procès, protège le magistrat d’une affectation sans son consentement, est bien clair dans son principe.
Cette prééminence de l’exécutif par rapport au judiciaire se manifeste d’autant plus dans la matière électorale. Comment par exemple comprendre alors ce communiqué pondu récemment par les avocats de l’Etat pour rejeter la réintégration d’Ousmane Sonko dans les listes par la Direction générale des Elections décidée par le tribunal d’instance de Dakar, alors que le pourvoi devant la Cour suprême n’est pas suspensif ? Ils attendraient que les voies de recours, notamment la décision du pourvoi en cassation déjà annoncée pour enfin agir.
Quel est le moyen dont on dispose pour contraindre l’Etat à exécuter la décision, alors que la voie judiciaire est la seule acceptable en démocratie ? Piller, brûler et fragiliser l’espace public, ne peuvent aucunement être des solutions car, de tels actes ne font les affaires de personne. Pas même les opportunistes politiques qui pensent souvent pouvoir récupérer d’hypothétiques dividendes en jetant de l’huile sur le feu. Comme en effet le dit si bien le Sage Bambara, « lorsque le feu prend la savane, il ne fait pas la différence entre hautes et basses herbes ». Il ne discrimine en effet pas entre le sage, le pacifiste et le pyromane. Le feu ne connaît pas de frontières si ce ne sont celles que lui imposent d’autres forces. Le feu peut aussi densifier sa puissance destructrice en s’alliant avec d’autres forces qui l’attisent. Ces forces, à l’image du vent, sont bien invisibles.
Il nous faudra sans aucun doute, un homme politique qui aime son pays, armé d’une volonté inébranlable, honnête et pas préoccupé par de nouveaux mandats et capable de faire un don de soi pour arriver à réformer ces institutions qui ne changent guère avec le temps, si ce ne sont des mesurettes ou des changements de dénomination qui n’impactent nullement le système.
Davantage d’indépendance de la Magistrature, n’est-ce pas le combat qu’a toujours mené Souleymane Téliko durant sa présidence de l’Union des Magistrats du Sénégal ? Un combat qui a fini même par ressembler à de l’obsession, ce jusqu’à la fin de son mandat.
Le temps passe et les changements ne sont guère opérés. Et pourtant les Assises nationales et ses conclusions, toujours d’actualité, avaient fini de nous faire croire en la possibilité de réformer nos institutions et de faire des différents pouvoirs, des pouvoirs indépendants, mais collaborant entre eux.
Mais au-delà du contentieux politique bien moins important en termes de volume, la justice souffre également de problèmes aigus : procédures trop longues, insuffisance du nombre de juges, problèmes de moyens, mandats de dépôt systématiques relevés par un ancien ministre de la justice, longues détentions, etc.
A juste deux mois de la présidentielle, il est bien à la mode pour nos hommes politiques, de nous promettre monts et merveilles dont, entre autres, des réformes des institutions et particulièrement de la justice. Pour s’en assurer, il suffit juste de noter les esquisses des programmes jalousement gardés pour le moment. Mais la vérité est que nos politiques avancent presque tous masqués et dans des jeux de masques si corsés, que les populations n’y voient que du feu. Leurs postures sont si souvent différentes en dehors du pouvoir et ils ne révèlent leur vraie nature que lorsqu’ils l’exercent. Et c’est le peuple qui finit toujours par trinquer. Vivement en tout cas des réformes de la justice.