NETTALI.COM - L’étape de la vérification des parrainages passée, le Conseil constitutionnel va maintenant devoir vérifier les 8 pièces restantes des dossiers de candidature avant la publication de la liste définitive des candidats retenus pour la présidentielle 2024. Soit au plus tard le 20 janvier. Une autre étape difficile pour les candidats, surtout en ce qui concerne les casiers judiciaires et l’attestation prouvant qu’ils sont en règle avec la législation fiscale du Sénégal.
Un saut de joie pour avoir passé l’étape du filtre du parrainage ! On pourrait même penser qu’elle est la plus difficile. Mais, il faudrait avant d’avoir l’honneur d’être déclaré candidat officiel, réussir d’autres sauts pour le moins périlleux, après celui de la vérification des dossiers de parrainage.
Il y a en effet toute une panoplie de documents que le Conseil Constitutionnel devra fouiller pour tous les 21 candidats qui ont résisté au filtre du parrainage.
Les sept sages vont donc se pencher sur les autres pièces à fournir à l’appui du dossier de candidature.
Pour chaque candidat, il faut un certificat de nationalité, une photocopie légalisée de la carte d’identité nationale faisant office de carte d’électeur, un extrait de naissance datant de moins de six (6) mois, un bulletin n°3 du casier judiciaire datant de moins de 3 mois, une attestation par laquelle un parti politique légalement constitué, ou une coalition de partis politiques légalement constitués ou une entité regroupant des personnes indépendantes, déclare avoir investi l’intéressé en qualité de candidat, la liste des électeurs ayant parrainé le candidat, présentée en fichier électronique et en support papier, conformément au modèle prévu à l’article L.57 du Code électoral, une déclaration sur l’honneur par laquelle le candidat atteste que sa candidature est conforme aux dispositions des articles 4 et 28 de la constitution, qu’il a exclusivement la nationalité sénégalaise et qu’il sait écrire, lire et parler couramment la langue officielle, une déclaration sur l’honneur par laquelle le candidat atteste être en règle avec la législation fiscale du Sénégal, une quittance confirmée par une attestation signée par le Directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (Cdc) attestant du dépôt du cautionnement prévu à l’article L.117 du Code électoral et dont le montant est fixé à 30 000 000 F Cfa.
Après le parrainage, donc, les candidats qui sont éliminés, le sont souvent pour défaut de casier judiciaire vierge, défaut d’un quitus attestant qu’ils sont en règle avec la législation fiscale du Sénégal, après avoir fait une déclaration sur l’honneur. Pour cette élection, des condamnations planent comme une épée de Damoclès sur la tête de certains candidats qui ont eu maille à partir avec la justice. La question est : est-ce que cela peut faire invalider leur candidature ?
Bulletin n°3 du casier judiciaire datant de moins de 3 mois : Dans le lot, le candidat de la coalition «Déthié 2024». Pour troubles à l’ordre public, participation à une manifestation interdite, Déthié Fall a écopé d’une peine de six mois assortis du sursis. Depuis la validation de sa candidature, le débat sur l’impact de cette condamnation sur sa candidature, est agité. Déthié Fall pourrait-il tomber pour défaut de casier judiciaire vierge. Me Baba Diop, juriste : «Il faut déjà voir si la peine est définitive. Est-ce que cette condamnation est inscrite dans son casier judiciaire ? C’est la raison pour laquelle on demande la production du bulletin N°3 du casier judiciaire parce qu’il faut savoir que dans ce bulletin, il y a des condamnations qui sont susceptibles d’y figurer et qui peuvent être privatives de certaines libertés, notamment une inéligibilité par rapport à certaines élections. Si la décision est définitive, on vérifie les peines qui sont prévues par les dispositions L29 et L30 du Code électoral, est ce que ces condamnations en font partie ?»
L’article L29 dispose : «Ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale, les individus condamnés pour crime ; ceux condamnés à une peine d’emprisonnement sans sursis ou à une peine d’emprisonnement avec sursis d’une durée supérieure à un mois, assortie ou non d’une amende, pour l’un des délits suivants : vol, escroquerie, abus de confiance, trafic de stupéfiants, détournement et soustraction commis par les agents publics, corruption et trafic d’influence, contrefaçon et en général pour l’un des délits, passibles d’une peine supérieure à cinq ans d’emprisonnement, ceux condamnés à plus de trois mois d’emprisonnement sans sursis ou à une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à six mois avec sursis, pour un délit autre que ceux énumérés au deuxièmement ci-dessus sous réserve des dispositions de l’article L.28, ceux qui sont en état de contumace ; les faillis non réhabilités dont la faillite a été déclarée soit par les tribunaux sénégalais, soit par un jugement rendu à l’étranger et exécutoire au Sénégal ; ceux contre qui l’Interdiction du droit de voter a été prononcée par une juridiction pénale de droit commun, les incapables majeurs.» L’article L30, quant à lui, dispose : «Ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale pendant un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive, les condamnés, soit pour un délit visé à l’article L.29, troisième tiret, à une peine d’emprisonnement sans sursis égale ou supérieure à un mois et inférieure ou égale à trois mois ou à une peine d’emprisonnement avec sursis égale ou supérieure à trois mois et inférieure ou égale à six mois, soit pour un délit quelconque à une amende sans sursis supérieure à 200.000 FCfa, sous réserve des dispositions de l’article L.28. Toutefois, les tribunaux, en prononçant les condamnations visées au précédent alinéa, peuvent relever les condamnés de cette privation temporaire du droit de vote et d’élection.»
Sur la base de ces deux articles, Me Baba Diop affirme : «Pour une peine de six mois assortis de sursis, pour toute infraction, vous êtes inéligible, vous perdez votre qualité d’électeur. Si cette peine est définitive, ça devrait se trouver dans son casier judiciaire. Mais, j’imagine que la peine n’y est pas, sinon Déthié n’aurait pas déposé son casier judiciaire. Il a certainement déposé un casier judiciaire vide. Malheureusement, au Sénégal, il n’y a pas de tenue de casier judiciaire. Même les gens qui ont des peines définitives peuvent toujours produire des casiers vierges parce qu’il n’y a pas de tenue, pas de vérification. Si d’aventure, cette peine est définitive et que le ministère de la justice est au courant, il pourrait transmettre cela au ministère de l’Intérieur qui ferait une observation au Conseil constitutionnel dans ce sens. En tout état de cause, si cette peine est définitive, manifestement, elle le priverait de sa qualité d’électeur.» C’est aussi sur ces deux articles du Code électoral que se base Me Boubacar Dramé pour dire que pour le cas Déthié Fall, les infractions pour lesquelles il a été condamné n’ont pas été citées nommément, ça rentre dans les autres catégories, mais avec L30, il se retrouve dans la même situation que Ousmane Sonko parce qu’il a été condamné pour un autre délit avec la même peine. «Si Ousmane Sonko est inéligible, Déthié Fall l’est aussi. Il rentre dans cette rubrique des autres infractions qui n’ont pas été expressément nommées par les dispositions de l’article L29.»
Il y a aussi le cas Habib Sy, condamné pour une affaire d’escroquerie et d’abus de confiance. Le concerné dégage tout impact de cette condamnation sur sa candidature. «Ce ne sont que des histoires. Vous pensez que si j’étais sous le coup d’une condamnation qui entraîne mon inéligibilité, Ousmane Sonko ou moi-même allions proposer ma candidature ? Ce n’est rien, ce n’est que de la foutaise. C’est une affaire purement civile qui est terminée depuis longtemps, on avait un différend sur le prix, mais il n’y a pas eu de condamnation pénale. Je ne lui dois plus rien. Ça n’a rien à voir avec ma candidature.» Mais pour Me Dramé, dès lors qu’on parle d’escroquerie, ce n’est plus une affaire civile, mais pénale. «On peut le poursuivre pour escroquerie et au finish le juge décide de le relaxer parce qu’il trouve qu’il n’y a pas de délit, il y a une faute civile et on le condamne à payer les dommages et intérêts. Cela ne peut pas impacter sur une candidature.» Tout comme celle de Bassirou Diomaye Faye ne saurait être invalidée pour un quelconque problème de casier judiciaire. Me Baba Diop : «Bassirou Diomaye Faye est présumé innocent, il n’a pas encore de casier judiciaire et il n’est pas encore jugé. Il jouit de ses droits civiques et politiques. Il n’a aucune condamnation définitive qui pourrait le priver de quelque éligibilité que ce soit.» Me Dramé : «Bassirou n’a pas encore fait l’objet de jugement, il n’a pas été condamné donc, il n’y a pas de peine. On ne peut pas lui opposer le fait d’être en prison. Ce n’est pas prévu par la loi. En principe, il doit déposer un casier judiciaire vierge.»
Karim Wade et l’amende de 138 milliards FCfa : Après avoir validé son parrainage, Karim Wade pourrait faire face à un autre obstacle. Condamné à six ans de prison ferme et 138 milliards FCfa d'amende pour enrichissement illicite, Karim Wade a été réhabilité par réforme du Code électoral adoptée qui permet à une personne condamnée et ayant bénéficié ensuite d'une amnistie ou d'une grâce - ce qui est son cas - de figurer sur les listes électorales, mais qu’en sera-t-il de l’amende ? Karim Wade devra-t-il d’abord payer pour espérer figurer sur la liste définitive des candidats à la Présidentielle de 2024 ? Me Baba Diop : «Par rapport au paiement de ces 138 milliards FCfa, on peut se tourner du côté des impôts pour voir si les impôts ne vont pas redresser sur ce montant et lui réclamer un montant au titre des impôts, le cas échéant, s’il ne paie pas, il ne pourrait pas avoir le quitus fiscal. C’est à ce niveau qu’il faut avoir des inquiétudes pour Karim Wade. Il faut faire la différence entre la créance qu’il doit à l’Etat et les impôts.» Pour Me Dramé, cela pourrait ne pas poser de problème au candidat du Parti démocratique sénégalais (Pds). Il dit : «Karim Wade, il y a la réhabilitation, c’est une mesure qui tend à faire oublier l’infraction. Il doit de l’argent, mais cela ne devrait pas être un obstacle à sa candidature. Pour les impôts, c’est autre chose, il doit de l’argent au Trésor public, donc, c’est l’Etat qui doit engager les poursuites pour recouvrer le montant dû.»
Une déclaration sur l’honneur par laquelle le candidat atteste être en règle avec la législation fiscale du Sénégal : Tout candidat à la Présidentielle devra aussi montrer son quitus en bonne et due forme par une déclaration sur l’honneur par laquelle le candidat atteste être en règle avec la législation fiscale du Sénégal. Ce point pourrait faire invalider beaucoup de candidatures.
Selon le fiscaliste Birahim Fall, «si vous n’êtes pas connu du service du fisc, vous ne pouvez pas avoir un quitus fiscal. Si vous avez une dette fiscale sans conclure un moratoire, vous ne pouvez pas avoir un quitus fiscal.»
Suivant ses explications, on retient que le quitus fiscal est un document émis par le service des impôts et le trésor. «Les services des impôts étant le service d’assiette, c’est-à-dire le service qui envoie des impositions, le trésor étant l’endroit où on paye. Encore que dans certaines catégories d’impôts le paiement se fait également aux impôts. Ce sont ces deux administrations qui émettent chacune avec sa signature dessus pour dire que le client a qui le quitus est adressé est connu des services fiscaux, est recherché en paiement des services fiscaux et en principe, il s’est acquitté de cet impôt, parce qu’il peut bien ne pas s’acquitter de ses impôts et bénéficier d’un quitus fiscal, s’il signe un moratoire avec les services de recouvrement, là également on lui donne.»
Mais, précise-t-il : «Il peut y avoir des candidats qui n’ont pas d’activités, ils ne sont pas connus du Fisc. Ces candidats ne pourront pas avoir de quitus fiscal. Vous êtes connus de l’administration et vous êtes quitte avec l’administration.»
C’est pourquoi, l’on parle certainement de déclaration sur l’honneur et après, le Conseil constitutionnel va faire un contrôle de fond pour prouver la véracité de la déclaration. M. Fall : «Le Conseil a la qualité de saisir la direction des Impôts et des Domaines pour demander si le candidat X est connu de l’administration et est-il quitte avec l’administration fiscale. Tous les biens taxables doivent être déclarés, biens immobiliers, comptes bancaires, parts dans les sociétés, tous les biens qui génèrent des revenus doivent être déclarés. Même si c’est une maison d’habitation qui ne génère pas d’avis doit être déclarée parce qu’il y a des impôts qu’elle doit supporter.
Candidature indépendante, le piège ? Chaque candidat doit aussi produire une attestation par laquelle un parti politique légalement constitué, une coalition de partis politiques légalement constitués ou une entité regroupant des personnes indépendantes déclare avoir investi l’intéressé en qualité de candidat. Mais attention, certains ne peuvent pas se présenter comme des candidats indépendants. L’ancien député Alioune Souaré, très au fait des dispositions du Code électoral apporte des précisions : «Est candidat indépendant, celui qui n’a jamais milité dans un parti politique ou qui a cessé de militer dans un parti politique depuis au moins un an.» En clair, les dissidents de Benno Bok Yakaar (Bby), Aly Ngouille Ndiaye, Mame Boye Diao, Mahammad Boun Abdallah Dionne ne peuvent pas présenter une candidature indépendante, au risque de voir celle-ci, être tout bonnement rejetée. «S’ils ne peuvent pas prouver qu’ils ne militaient plus dans le parti depuis un an, ils ne peuvent pas être des candidats indépendants, il faut qu’ils soient forcément portés par un parti ou une coalition, sinon la candidature n’est pas valide.» Aliou Souaré précise aussi que l’article 127 du Code électoral dispose qu’après la publication des listes, le droit de réclamation sur la liste des candidats est ouvert à tous les candidats et les réclamations doivent parvenir au Conseil constitutionnel avant l’expiration des 48 heures qui suivent l’affichage des listes de candidats retenus.