NETTALI.COM - Du stress et du suspense jusqu’au bout, c’est ce qu’ont vécu, ces derniers jours, les candidats à la présidentielle, leurs partisans et leurs soutiens. Mais à la publication des résultats, sur les 262 candidats ayant retiré leurs fiches de parrainage et les 93 candidats finalement sur la ligne de départ, seuls 21 ont pu passer le premier filtre et 72 candidats se sont vus recalés à l’étape du contrôle des parrainages.
Il fallait en effet obtenir au minimum 44 231, dont 14000 parrains au total collectés dans 7 régions, à raison de 2000 minimum par région. Ce qui n’est pas, admettons-le, chose aisée, surtout que les candidats devaient aller à l’assaut des parrains dans quasiment les mêmes localités.
Beaucoup de difficultés et de transpiration en somme dans cette opération de l’incertitude, car réussir une telle entreprise requiert, qu’on le croit ou non, beaucoup de rigueur, de méthode, mais surtout de disposer d’une organisation, pour ne pas dire d’un appareil politique et de partir à point.
Qu’il y ait des candidats pour se plaindre de la non disponibilité du fichier électoral, la loi électorale prévoit qu’il soit remis aux parties prenantes (candidats et Cena) 15 jours avant la date du scrutin. On le leur aurait remis qu'ils auraient cherché à faire leurs parrainages à l'aide de ce fichier.
Une bizarrerie à toutefois relever, c’est ce communiqué de la Commission électorale nationale (Cena) signalant que le fichier sur son site, n’est pas à jour. Une information largement commentée dans les réseaux sociaux et les états-majors politiques. Difficile en effet de comprendre la logique qui a guidé ce procédé.
Il y a aussi l'histoire de candidat Thierno Cissé, recalé pour avoir produit une liste de 13 faux députés et emprisonné pour les les faits de fraude aux parrainages et d'émission de chèque sur un compte clôturé.
Que l'on se retrouve au finish avec des candidats pour crier sur tous les toits qu’on les recalés sans raison, au point de créer un collectif pour se plaindre, ce n’est guère surprenant, puisqu’on s’y attendait. Mais encore faudrait-il que ces accusateurs apportent la preuve de leurs allégations, mais pas simplement de la spéculation voire des supputations.
Des contestations de natures différentes
Bref ce sont les éternelles questions de fiabilité et de transparence du processus, comme on en note à chaque élection au Sénégal. Pour le mandataire de Bougane Guèye Dani, les choses sont simples. On a retenu les candidats de l’anti-système, et on a laissé les candidats insignifiants du système. Dans la foulée, le candidat lui-même est monté au créneau pour protester, jurant qu’il est plus que jamais déterminé à dégager ce système et tous les hommes qui l’incarnent.
Pour sa part, Aminata Touré elle, a estimé qu’elle paie son engagement dans la lutte contre la 3ème candidature du président de la République. Lequel combat avait fini par porter ses fruits et lui vaut aujourd’hui cet acharnement contre sa personne.
Au-delà des accusations à caractère politicien, d’autres s’appuient sur des raisons plus ou moins techniques, avec des arguments à la clef. C’est le cas par exemple de Bassirou Diomaye Faye dont les informaticiens, au premier tour, sont allés jusqu’à accuser le Conseil constitutionnel d’avoir ouvert leur dossier en l’absence de leur mandataire et d’avoir tripatouillé leurs données pour parvenir à l’invalidation de leur parrainage.
En dehors de cette équation, il y a eu aussi la problématique des parrains introuvables sur le fichier, les clés inexploitables, sans parler de la lancinante question des doublons externes brandis par ceux qui dénoncent cela. En ce qui concerne la question des clés défectueuses, Charles Ciss est largement revenu sur son cas. Il impute la responsabilité de l’inexploitabilité de sa clé aux informaticiens du Conseil. Pour lui, c’est en copiant les données sur sa clé pour lui créer un dossier que les numéros d’ordre ont sauté. Hélas, il aurait été écarté pour cette raison.
Beaucoup de certitudes ébranlées, des surprises et de la mauvaise foi
Dans cette opération dénommée parrainage, bon nombre de candidats avaient en réalité pensé que leurs parrainages allaient passer comme lettre à la poste. Et ce sont beaucoup de certitudes qui se sont du coup ébranlées et des poids politiques surfaits qui se retrouvent dévalués à l’épreuve des résultats.
Difficile de savoir par exemple comment Aminata Touré, celle-là qui est montée en première ligne dans ce collectif de « 28 spoliés », a pu se laisser avoir de la sorte, si tant est que ce qu’elle dit, est fondé ? Rappelons tout de même que Mimi Touré a été la responsable de la collecte des parrainages du candidat Macky Sall en 2019 et sa directrice de campagne en 2019. Et malgré l’injonction à l’époque de la Cour de la justice de la Cedeao, selon laquelle le parrainage ne répondait pas aux normes, le camp du pouvoir avait persisté et signé. 5 ans plus tard, l’on a du mal à comprendre qu’elle soit en première ligne pour fustiger l’opacité du parrainage.
Son statut d'ancienne Première ministre l'ont sans doute conduite, selon certains analystes, à surestimer ses forces au regard de sa notoriété, sans toutefois avoir l’appareil politique requis pour aller au bout de ses ambitions, estimant que la politique est une affaire tellement sérieuse qui nécessite une préparation longue et minutieuse qu’il aurait fallu s’y préparer dès 2019.
Nourrie dès son jeune âge au lait de la politique et adversaire acharnée de la 3ème candidature de Macky Sall, n’aurait-elle pas dû s’inscrire depuis 2019 dans la perspective de la présidentielle, dès lors qu’elle pensait que Macky Sall ne devait pas se présenter encore une nouvelle fois ? Que pouvait-elle espérer de plus ? Sinon de se faire berner en pensant que la voie allait lui être balisée. Elle a été le chef de file des législatives. Et à l’issue, même le perchoir qu’elle espérait lui a échappé.
Quant au cas des anciens Premiers ministres, ceux-là qui se sont rangés dans le camp de ceux qui se plaignent, n'oublions surtout pas qu’ils sont comptables des actes posés par Macky Sall, surtout de par leurs positions stratégiques dans le dispositif. Souvenons-nous que Mahammed Boun Abdallah Dionne était le Premier Ministre de Macky Sall lors de la présidentielle de 2019. Il avait d’ailleurs eu à déclarer, à l’issue du parrainage par le Conseil Constitutionnel, qu’il n’y aurait pas plus de 5 candidats à la présidentielle. Une polémique s’en était suivie, et au finish, il n’y avait eu que 5, en l’occurrence Macky Sall, Idrissa Seck, Madické Niang, Ousmane Sonko et Issa Sall du Pur. C’est à croire même qu’il était devin. Telle Selbé Ndom ! Que dire d’Aly Ngouille Ndiaye, sinon qu’il est le ministre de l’intérieur qui a eu à organiser la présidentielle de 2019.
Que de sueurs froides en tout cas pour Mahammed Boun Abdallah Dionne et Aly Ngouille Ndiaye. Sans oublier Mame Boye Diao ! Ils peuvent s’estimer heureux d’être passés de justesse au second tour, ces trois-la. Ils ont, à la vérité, perdu du temps dans ce processus de choix du candidat de Benno laissé à l’appréciation de Macky Sall en sachant d'avance qu'ils ne seraient pas d'accord si d'aventure ils ne venaient pas à être choisis. Ils devaient aussi se rendre à l’évidence que l’opération n'allait pas être simple, n’étant individuellement forts que dans leur fief où des rivaux bien armés par le pouvoir, ont été lancés à l’assaut de leurs bases. Ils avaient sans doute oublié qu’il fallait aussi conquérir le reste du Sénégal, surtout après un départ à la course aux parrainages aussi tardive.
Que ceux qui s’étonnent de la réussite d’Anta Babacar Ngom et de Serigne Mboup, les profils d’hommes d’affaires, se détrompent. Tel le tonitruant Dame Mbodji qui a qualifié la première de « vendeuse de poulets ». Sa subjectivité et sa volonté de la tourner en dérision, ne lui permettent sans doute pas d’ouvrir les yeux pour comprendre qu’elle a fait du terrain. Elle et Serigne Mboup ont non seulement déployé des moyens, mais encore, ils ont su créer à travers le Sénégal, de par leur position dans le secteur de la distribution, un réseau bien maillé qui leur a permis de faire un travail de terrain, à l’aide d’une organisation qui se met progressivement en place. De même que le Professeur Daouda Ndiaye qui s’est lancé très tôt dans le social, tout en faisant du terrain. Tout comme Rose Wardini qui œuvre dans le même domaine.
Le Sénégal est, eh bien, ce pays où beaucoup prennent leurs perceptions ou les spéculations pour des réalités.
Et face aux accusations d’opacité dans le processus, la question qui pourrait être raisonnablement posée, est de savoir si le pouvoir avait pris l’option délibéré d’éliminer certains candidats, n’aurait-il pas été plus logique qu’elle opérât dans le camp le plus redouté, celui de Yewwi Askan Wi ? Notamment contre ces candidats de la coalition soutenus par le Pastef, même s’ils se sont alignés individuellement (Bassirou Diomaye Faye, Cheikh Tidiane Dièye, Habib SY, Déthié Fall, Boubacar Camara) et Aliou Mamadou Dia du Pur ; voire au-delà, Khalifa Sall ; et en dehors de Yaw parmi ces ministres dissidents de Benno : Aly Ngouille Ndiaye, Mahammed Boun Abdallah Dionne, Mame Boye Diao. Que doivent penser ces accusateurs de l’élimination d’un Me El Hadji Diouf, avocat de l’Etat et proche de Benno ?
C’est en tout cas le sort de beaucoup de candidats qui se retrouvent, sauf recours, définitivement scellé. C’est le cas des candidats tels que Me El Hadj Moustapha Diouf, Serigne Guèye Diop (maire de Sandiara), les anciens Premiers ministres Abdoul Mbaye, Souleymane Ndéné Ndiaye et Mme Aminata Touré, Abdourahmane Diouf, Bougane Guèye Dany (leader de Gueum Sa Bopp), Amadou Ly qui ont été définitivement recalés. Ils n’ont pu avoir le nombre de parrains requis pour valider leurs dossiers.
Ces parrainages nous ont moins appris une chose, que ces anciens Premiers ministres, anciens DG et autres personnalités politiques qui se considèrent comme des ténors, ou sont considérés comme tel, certains n'avaient pas réussi à participer la présidentielle passée. Et il serait intéressant qu'on nous dise depuis lors les faits ou actes marquants qui peuvent leur valoir de passer au parrainage. ils n'ont pour beaucoup dû leur échec à une existence en réalité limitée aux médias, tout en ne disposant pas d'une machine électorale huilée. La jurisprudence Macky Sall, ce candidat d'alors qui avait plus d'une fois fait le tour du Sénégal, pénétrant le pays profond, dormant dans des cases et vivant la réalité des populations, dans une relation de proximité empreinte d'humilité, c'est cela la bonne recette. Le Sénégalais a cette caractéristique, celle d'apprécier ceux qui le respectent et le considèrent, tout en étant au contact de sa réalité au quotidien. C'est entre autres ce qui peut le pousser vers un candidat, surtout s'il a un discours qui l'accroche. Mais pas ces candidats-là bien propres sur eux, imbus de leur personne, arrogants et sans contact avec le pays réel et les gens et qui espèrent que les médias vont faire le travail à leur place.
Une présidentielle ouverte se dessine
Quoique provisoires, les résultats actuels des parrainages, laissent entrevoir une élection présidentielle très ouverte, donc bourrée d’incertitudes quant aux futures alliances qui pourraient se nouer en cas de second tour pour les principales forces telles que Benno, Yewwi Askan wi, le Pds et Taxawu Sénégal. Election si ouverte qu’elle peut représenter un danger pour Amadou Ba, le candidat de Benoo dont les candidatures d’Aly Ngouille Ndiaye, Mahammed Boun Abdallah Dionne et Mame Boye Diao ne vont certainement pas beaucoup arranger à cause de la dispersion des voix que cela pourrait créer. L’on n’est toutefois pas certain de leurs postures dans le temps, étant entendu qu'une alliance avec leur camp d'origine, est toujours possible. Amadou Ba devrait non seulement sceller l'unié dans l'Apr et au sein de Benno, mais aussi élargir son champ en bénéficiant du soutien d'autres candidats hors Benno.
Mais attention aux votes sanctions des candidats recalés tels que Mimi Touré, Bougane, Abdourahmane Diouf, etc Déjà qu’un front des candidats « exclus » est en train de se dessiner, entre ces trois, dans une logique de combattre le régime en place. Ce que Bougane a appelé le front "Dogali Benno".
Le même phénomène de l'émiettement des voix peut être également redouté dans les rangs de Yewwi askan wi. Dans une coalition où les candidats qui ont parasité la popularité d’Ousmane Sonko, comptent plus sur des consignes de vote que leur propre popularité, difficile de savoir à qui peuvent ces voix, en cas de consignes, peuvent profiter, surtout qu’il faut compter avec le fait que certains militants et sympathisants de Pastef ne voudront voter que pour Ousmane Sonko, avec la crainte pour certains le syndrome du scénario à la gambienne Adama Barro-Ousainou Darboe.
Une élection dans laquelle, il faudra aussi compter sur Khalifa Sall et Karim Wade si ce dernier maintient toujours sa décision de fouler le sol sénégalais.
Pour l'heure, les 21 candidats ont été retenus par le Conseil constitutionnel. Il ne reste plus que l'examen des recours pour connaître la liste définitive, avant que les choses sérieuses ne commencent. Ou plus exactement la campagne électorale.