NETTALI.COM - Droit dans ses bottes, le Président-directeur général du groupe Walfadjri ne se laisse pas ébranler par le retrait définitif de la licence de diffusion des programmes de sa télévision par le ministre de la Communication, des télécommunications et du numérique. Il compte tenir tête au régime de Macky Sall jusqu’au bout. Ce pouvoir qu’il qualifie de «monstre» sans limite. Dans cet entretien, Cheikh Niasse se projette sur les conséquences économiques et sociales de la fermeture de la télévision Walf Tv.
Le ministre de la Communication, Moussa Bocar Thiam, a publié une ordonnance actant le retrait de la licence de diffusion de Walfadjri. Que pensez-vous de cette décision de la tutelle ?
C’est un tremblement de terre qui s’abat sur le groupe de presse Walfadjri, mais également sur la démocratie sénégalaise. Macky Sall est en train de poser des actes que Léopard Sédar Senghor et Abdoulaye Wade n’ont jamais fait. On se rend compte que le Président Macky Sall ose tout. Il a osé annuler, à 24H de l’ouverture de la campagne électorale, l’élection présidentielle. Il a osé retirer définitivement la licence de Walfadjri. Il ne faut pas qu’on se trompe. Ce n’est pas le ministre qui a retiré la licence de Walfadjri. L’ordre vient du président de la République. Nous n’émettons plus sur les différents supports que sont : la TNT et Canal+. Ils ont réussi à fermer Walfadjri.
La mesure concerne tout le groupe ?
Elle concerne la télévision. Mais nous ne serons pas étonnés si le monstre venait à éliminer toute l’œuvre de Sidy Lamine Niasse. Cette entreprise dépasse ma personne. Sidy Lamine Niasse l’a créé en 1984 avec un idéal de justice, d’éthique, de professionnalisme. Nous avons fêté, il y a quelque semaines, les 40 ans de Walfadjri. L’entreprise dépasse même la famille de Sidy Lamine Niasse. C’est devenu, pour bon nombre de Sénégalais, un patrimoine national. C’est triste ce qui se passe actuellement.
Quelles peuvent être les conséquences économiques et sociales ?
Les conséquences sont très lourdes parce que la télévision est le principal gagne-pain d’un groupe de presse. Forcément, nous serons contraints de mettre une bonne partie du personnel en chômage technique. Il faut savoir que nous n’avons pas le choix. Ce n’est pas de gaité de cœur que nous allons nous séparer d’eux. Maintenant que c’est acté, que le retrait de la licence n’est pas momentané mais définitif, nous sommes obligés de nous débarrasser d’une bonne partie du personnel et, peut-être même, de fermer certains départements pour nous consacrer au digital ou encore à la radio. Ce sont des conséquences très lourdes que nous ne pouvons mesurer pour l’instant. Il est évident que c’est le personnel du groupe qui va en pâtir en premier, mais également nos partenaires. Les engagements que nous avions pris çà et là seront difficilement tenables.
Combien de travailleurs seront envoyés en chômage technique à cause de cette fermeture de la télévision ?
Il est difficile de le quantifier avec précision, pour le moment. Mais il faut compter une cinquantaine d’employés. Si la mesure dure, nous serons obligés d’augmenter sensiblement ce nombre. Tout va dépendre des rentrées d’argent que nous pourrions avoir au-delà de la télé. C’est ce qui va déterminer le nombre de travailleurs que nous pourrons assumer. Dans l’immédiat, une cinquantaine d’agents seront envoyés au chômage et une centaine à court ou moyen terme.
Le groupe Walf compte combien d’employés ?
Le groupe compte un peu plus de 200 personnes.
Quel combat comptez-vous mener avec les organisations de presse ?
La Coordination des associations de presse (Cap) nous soutient. Néanmoins, nous mènerons notre combat personnel. Nous allons saisir la Justice. C’est une évidence. Nous allons également faire des sit-in. Nous avons déposé à la Préfecture, aujourd’hui, une déclaration pour organiser trois jours de sit-in. Nous allons tenir le Vsd (Vendredi-samedi-dimanche) de contestations. Nous comptons user de toutes les voies et moyens pour le rétablissement rapide de notre signal et que nous puissions travailler et préserver les emplois.
Le ministre a parlé de retrait de la licence de «manière définitive». Pensez-vous que le groupe a encore une chance d’être rétabli dans ses droits ?
Ça, c’est un combat de monstres. L’année dernière, ils ont dissout le Pastef. On parle de l’ex Pastef. Aujourd’hui, c’est l’ex Walfadjri. Si nous ne nous battons pas, bientôt nous aurions l’ex Sénégal. C’est un combat qu’il faut mener. Si nous ne le menons pas, il ne faudrait pas nous étonner que la prochaine étape soit beaucoup plus conséquente. Nous sommes conscients que les Sénégalais ont Walfadjri dans le cœur. Quarante ans, ce n’est pas quarante semaines ni quarante jours. Sidy Lamine Niasse a marqué son époque. Il a fait de Walfadjri un bien commun. C’est la raison pour laquelle nous sommes optimistes. Mais le monstre est capable de tout. Lorsqu’ils ont coupé le signal, nous ne pensions pas que cela allait durer un mois. Malheureusement, ils sont allés jusqu’au bout de leur sanction. Nous sommes dans une époque du digital. Nous allons essayer de nous réinventer, même si le combat sera mené jusqu’au bout.
Qu’est-ce que cela vous fait de voir l’héritage de votre père s’écrouler entre vos mains ?
L’héritage ne s’écroule pas. Ce sont juste des moments difficiles. Sidy Lamine Niasse en a connu de plus difficiles. C’est plus de 30 ans de combat. C’est plus de 30 ans durant lesquels les régimes qui se sont succédé ont essayé de mettre un terme à son œuvre. Il a su, à chaque fois, résister. Nous ne pouvons pas parler d’écroulement ou de défaite. La vie est faite de combats. Nous sommes conscients que c’est une étape difficile, mais elle sera traversée de manière sereine. Nous en sortirons plus forts. Le combat n’est pas perdu d’avance. Actuellement, le Président est extrêmement impopulaire. Tout le Sénégal est en colère. Personne ne comprend les décisions qu’il a prises ces derniers jours. La bataille n’est pas perdue, car c’est lui qui est perturbé, affolé. Nous allons la remporter et Walfadjriri reviendra avec force.
Il se dit que vous aviez l’ambition de mettre en vente le groupe. Est-ce vrai ?
Pour l’instant, le plus important, c’est de sauver le soldat Walfadjri. La licence nous est retirée. Même si nous devions vendre Walfadjri, sa valeur marchande tombe à l’eau. Ils ont osé nous retirer la licence, ce qui ne se fait pas, même dans les dictatures les plus poussées. Ce qu’il a fait, c’est de l’extrême méchanceté. Notre combat actuel, c’est que nous puissions reprendre nos programmes.
Quelle incidence ce retrait de licence peut avoir sur cette décision ?
La vente de Walfadjri et les autres mesures que nous avions prises les jours précédents étaient une manière pour nous de dire aux Sénégalais que nous ne devions pas abdiquer. Il fallait interpeler l’opinion publique. Mais nous allons continuer notre mission qui est de retrouver Walfadjri et de l’amener à des stations bien plus élevées que celles que nous avons pu connaître sous Sidy Lamine Niasse.