NETTALI.COM - C’est un coup dur pour la démocratie sénégalaise. Après le décret portant abrogation du décret n°2023-2283 portant convocation du corps électoral pour l’élection présidentielle du 25 février 2024, les députés ont entériné mardi, le report de la Présidentielle au 15 décembre 2024. Des actes aux conséquences graves qui risquent de plonger le pays dans une impasse politique.
Réputé vitrine de la démocratie en Afrique de l’ouest francophone, le modèle politique sénégalais traverse, est entré depuis quelques temps, dans une phase très délicate. En effet, suite au nouveau décret abrogeant le décret n°2023-2283 portant convocation du corps électoral pour l’élection présidentielle du 25 février 2024, la Représentation nationale a entériné mardi, le report de l’élection présidentielle au 15 décembre 2024. Un nouvel acte qui risque de conduire le pays dans une impasse politique sans précédent.
La proposition de loi qui a été définitivement adoptée par la majorité de députés, sera transmise au président de la République pour une promulgation selon les dispositions de l’article 72 de la Constitution, qui dispose que «Le président de la République promulgue les lois définitivement adoptées dans les huit (8) jours francs qui suivent l’expiration des délais de recours visés à l’article 74. Le délai de promulgation est réduit de moitié en cas d’urgence déclarée par l’Assemblée nationale». Une fois que le président de la République la promulgue, elle devient une loi de la République et automatiquement elle proroge le mandat du président de la République qui arrive à terme le 2 avril 2024.
«C’est une altération de la disposition de l'article 31 de la Constitution et non une dérogation»
Seulement pour l’enseignement-chercheur à la Faculté des sciences juridiques et politiques (Fsjp) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), Nfally Camara, même si du point de vue du fondement juridique de la proposition de loi, l’article 103 de la Constitution donne la possibilité aux députés de faire des propositions de loi pour la révision de la Constitution, ce report de la Présidentielle au 15 décembre 2024 est une violation de la Constitution. Pour le juriste, les députés parlent de dérogation dans leur proposition de loi, mais en réalité, c’est une «dénaturation» de l’article 31 de la Constitution et non d’une dérogation.
«On ne peut pas passer par l'article 31 de la Constitution pour prolonger le mandat du président de la République. Le mandat est encadré par l'article 27 qui pose la durée et le renouvellement et l'article 103 pour son caractère intangible. L'article 31 fixe le délai du scrutin avant l'expiration du mandat du président de la République. La proposition de loi parle de dérogation à l'article 31 pour prolonger le mandat. Il s'agit là d'une altération de la disposition de l'article 31 de la Constitution et non une dérogation. Cette démarche est une violation de la Constitution et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative au référendum de 2016», fait comprendre l’enseignant-chercheur à la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Ucad.
Pis, Nfally Camara souligne que même en cas de recours de l'opposition parlementaire devant les «7 sages», il n'y a aucune chance de succès parce que le Conseil constitutionnel a, à plusieurs reprises, considéré qu'il n'a pas la compétence de vérifier une loi constitutionnelle à la Constitution. En gros, le juriste précise que le Conseil constitutionnel ne contrôle pas une loi de révision constitutionnelle à la Constitution. «Aujourd’hui, si la loi entre en vigueur, on va l’exécuter, mais comme elle n’a pas fait l’objet de contrôle, on considère qu’elle est en violation flagrante de la Constitution. Le mandat du président de la République arrive à terme le 2 avril, à partir de cette date, le Président n’est plus dans la légalité pour continuer l’exercice de son mandat. Dans ce cas d’espèce, le président de la République, avant l’expiration de son mandat, a la possibilité de rendre sa démission et l’intérim est assuré par le président de l’Assemblée nationale pour un délai de 60 à 90 jours pour organiser de nouvelles élections. A partir de l'adoption de cette proposition de loi, la clause d'éternité ou intangibilité n'a plus sa raison d'être dans notre Constitution», explique Nfally Camara.
Dans la foulée, l’enseignant-chercheur en droit estime que le président de la République est en train de poser les germes d’une crise qui risque de plonger le pays dans une impasse politique. «Quand on lui (président de la République) transmet la loi qu’il la promulgue et que le Conseil constitutionnel ne la vérifie pas automatiquement, on tombe dans des situations inédites. C’est pourquoi il va exercer son mandat à son terme. Et même le décret qu’il avait pris pour abroger celui convoquant le corps électoral ne peut faire l’objet d’un contrôle par aucun juge. Et vu la dimension d’un acte qui ne peut faire l’objet de contrôle et la modification d’une loi constitutionnelle qui ne peut faire aussi aucun contrôle par le Conseil constitutionnel, finalement on pose des jalons juridiques qui ne vont pas aboutir à terme», avertit-il.
La non-conformité avec les lois en vigueur
Le spécialiste du droit parlementaire, Alioune Souaré, en ajoute une couche. Pour l’ancien parlementaire, sur le fond comme sur la forme, cette proposition de loi adoptée par les députés est un précédent dangereux pour le respect des lois du pays. Et c’est une situation qui peut conduire le Sénégal vers un avenir incertain. «Le texte de la proposition de loi est très mal écrit ! Comment peut-on y inscrire de manière précise la date du report retenue pour la tenue de l'élection présidentielle ? La Constitution a un caractère permanent, elle sera dévoyée si à chaque élection présidentielle, on doit y revenir pour ajuster les dates et modifier son article 31. II s'y ajoute d'autres dégâts, notamment les conséquences sur le prolongement du mandat présidentiel dont l'article 27 de la Constitution fixe déjà la limite à 5 ans. II y a également le Protocole de Cedeao A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance, ratifié et approuvé par le Sénégal. C'est l'article 98 de la Constitution sénégalaise qui dit que les traités et conventions internationales régulièrement ratifiés et approuvés ont, dès leurs publications, une autorité supérieure à celles de nos lois. Sous ce rapport et en vertu de l'art 60 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, la proposition de loi devait être déclarée irrecevable par le bureau de l'Assemblée nationale et pour non-conformité avec les lois en vigueur», explique Alioune Souaré.