“La démocratie, plus que l’absolutisme, consolide la domination. Avoir le droit d’élire les maîtres, ne supprime ni les maîtres ni les esclaves” – Herbert Marcuse, “L’homme unidimensionnel”
NETTALI.COM - Voilà, enfin, venu le temps du choix. Dans une semaine, lundi prochain donc, on devrait connaître les visages du bienheureux couple admis au second tour ou - hypothèse improbable – le nom de notre futur président victorieux dès le premier tour. Les bureaux de vote auront, en effet, révélé leurs premières vérités que la presse, comme à l’accoutumée, rendra publiques. C’est dire que l’avenir se joue déjà devant nous, sous nos yeux. L’urgence est désormais le présent lui- même.
L’enjeu est, en effet, si important que le semblant de campagne électorale à laquelle nous assistons, sans sel ni piment, en cache l’intérêt. Il s’agit pourtant d’élire le cinquième président du Sénégal. Qui sera investi, au moment où il s’installera au trône, de beaucoup de pouvoirs sur les “citoyens-sujets”, qui pourra vous enrichir ou vous appauvrir au gré de ses humeurs, vous mettre en prison sous quelque prétexte que ce soit, sans que son trône n’en tremble pour autant, choisir la partie du territoire qui lui semble la plus digne à accueillir “ses” milliards, y ériger projets et programmes au gré de son feeling ; nommer avec comme baromètre de l’instinct de survie, aux fonctions civiles et militaires, etc.
En attendant des réformes institutionnelles promises, mais toujours différées, c’est aujourd’hui cela la triste réalité de l’exercice du pouvoir. Celui qui va remplacer le président Macky Sall, héritera de tous ses pouvoirs. Et nous ne croyons pas un seul instant aux fables que certains candidats nous racontent, à savoir qu’ils vont renoncer à une partie de leurs pouvoirs, une fois élu. L’avenir pourrait nous démentir, bien que nous le souhaitons plus que nous ne l’espérons, pour paraphraser l’auteur de “L’Utopie”, Thomas More.
Dans les faits, ils se métamorphosent radicalement. Comme l’ami Alpha Condé, qui n’aimait point le pouvoir avant de devenir “Président”, si pur dans les idées, et qui, au bout de cinq ans, était devenu accroc à cette “drogue” oh combien addictive... Si accroc qu’il a tenté un troisième mandat que ses amis lui déconseillaient pourtant.
Citoyennes, citoyens, il faut bien comprendre que le pouvoir n’est pas une chose simple. Il pénètre toujours le corps de celui qui en exerce la réalité avec son petit souffle de folie. Il peut mener au cynisme le plus froid. Ce n’est pas pour rien qu’on l’assimile au “fruit défendu”, car il transforme l’être, change son regard sur la société et peut aller jusqu’à bouleverser tout son référentiel axiologique au point que l’agneau le plus doux et le plus consciencieux peut devenir, au fil du temps, un monstre froid, de feu et de fer.
Nous savons tous que l’être humain est quelque chose de mouvant et que nous changeons sans cesse, jusqu’à la mort. Et le regard que nous portons souvent sur nous-mêmes, que la société nous pousse à avoir sur nous-mêmes est tout simplement piégé. L’esprit de cour, les intérêts que nous avons à flétrir l’ego du Prince, tout cela participe à rendre fous nos chefs de l’État qui, au bout du compte, se disent : “Finalement, je n’ai pas été créé à l’image de mes sujets, je suis différent...” Oubliant, du coup, que ce sont des électeurs, avec leurs cartes, qui l’ont porté au pouvoir...
Mais alors, si on se permet de visiter l’ego et les pulsions du Prince, c’est bien sûr pour inviter les citoyens à plus de lucidité et de recul par rapport aux bruits des sirènes émis par les candidats à la Présidentielle. Le déficit de culture et de maturité pousse souvent à des choix irraisonnés. On a beau dire que le choix de l’électeur est souverain, mais à partir du moment où il ne peut pas dénouer la manipulation qui dicte son choix, alors on ne pourra pas dire, du point de vue de la finalité du vote, que cet électeur rend service à son pays. Son autonomie de choix est un imbroglio complexe qui cache bien des chaînes.
Nous savons que le Sénégal est pluriel, aussi bien sous l’angle de la pyramide des âges que sous le rapport du niveau d’alphabétisation de ses populations. Ce qui rend l’électeur moyen particulièrement fragile du point de vue de sa capacité à décrypter le mensonge, à séparer le bon grain de l’ivraie, à ne pas prendre le loup pour l’agneau. Tâche d’autant plus difficile que nos politiques maîtrisent en général les techniques du maquillage. Ils savent apparaître plus doux qu’ils ne sont en réalité. Spécialistes de la diversion, ils savent superposer les masques, plusieurs à la fois, au point que personne ne peut plus voir leur visage originel qui devient aussi lointain que... le péché originel.
C’est pourquoi il faut scruter toute la vie des candidats. La coalition Diomaye Président a sorti de petites galanteries sur Amadou Bâ sur sa fortune. D’autres candidats évoquent l’implication de la famille dans la gestion d’État ainsi que le contrôle de pans de notre économie par des firmes étrangères. Vrai tout cela. Mais eux aussi doivent nous dire ce qu’ils pensent, par exemple, du phénomène confrérique et quel destin lui sera réservé. Qu’ils nous disent ce qu’ils pensent du salafisme dans le contexte actuel où l’on assimile ce courant au terrorisme. Ils doivent nous dire tout cela, nous préciser le nombre d’épouses qu’ils ont, la profession de leurs épouses, de leurs enfants, etc. Bref, la documentation doit être maximale pour disposer le maximum d’informations (rôle de la presse) sur les candidats, y compris les plus sensibles. Car le jeu politique ne peut pas simplement se résumer en “casse-toi que je m’installe”. Ce serait une grosse erreur de n’être que dans le tout dégagiste.
Plus personne ne regarde les programmes et les engagements des candidats. On a entendu promettre de créer cinq millions d’emplois, d’autres 300 000 emplois par an, élargir la bourse familiale pour que chaque jeune puisse disposer de 40 mille francs CFA par mois... Est-ce sérieux tout cela ?
Post Scriptum
Petit clin d’œil optimiste ! Quel pays dans la sous-région ou ailleurs, peut se permettre pareille indélicatesse ? Un chef d’État, qui choisit une date pour une élection et qui se fait censurer par des juges. On a beau être sévère avec nous-mêmes, incapables bien souvent de voir ce que nous avons comme forte différence, mais il faut reconnaître, mal- gré la tache des morts, suite aux douloureux évènements de ces deux dernières années, que nous marquons la différence par rapport à beaucoup de pays du continent et d’ailleurs.
Donc, aucun complexe à se faire par rapport aux donneurs de leçons aux quatre coins du monde. Suivez notre regard !