NETTALI.COM - Sorti largement en tête des suffrages à l’issue du scrutin présidentiel de dimanche, Bassirou Diomaye Diakhar Faye va devenir à 44 ans le plus jeune président de la République du Sénégal, après que son challenger, Amadou Ba, candidat du pouvoir sortant, a concédé sa défaite avant même la publication des résultats officiels.
La victoire annoncée de l’inspecteur principal des impôts était sans doute loin d’être gagné tant les obstacles étaient nombreux.
Elargi de prison six jours seulement après le lancement officiel de la campagne électorale pour la présidentielle de ce dimanche, Bassirou Diomaye Faye était aussitôt monté au front, à l’assaut des suffrages, dans les habits d’un lieutenant devenu, par la force des choses, le leader de troupes engagées dans une lutte sans merci pour faire triompher un projet politique dans lequel beaucoup voient un idéal de renouveau.
La participation de l’inspecteur principal des impôts à l’élection présidentielle du 24 mars est à l’image des péripéties et nombreux obstacles auxquels sa formation politique a dû faire face depuis 2021, date à laquelle des accusations de viols ont été portées contre Ousmane Sonko, le leader des Patriotes africains pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), formation aujourd’hui dissoute.
La candidature du natif de Ndiaganiao, au coeur du pays sérère, est sans doute, l’une des conséquences de l’âpre lutte menée depuis plus de trois ans par ce parti, un ‘’mortal kombat’’ avec le pouvoir en place, une adversité quasiment inédite qui a parfois pris des tournures tragiques et dramatiques : la prison, la mort et les blessures. Contrecoups de l’opposition de deux logiques apparues inconciliables tant les antagonismes sont restés vivaces entre les deux camps.
"Les morts ne reviendront pas, les amputés ne retrouveront ni leurs bras, ni leurs jambes, les éborgnés ne retrouveront pas leurs yeux et on a toujours des malades qui ont été évacués à l’étranger du fait de cette répression aveugle’’, a regretté le candidat de la coalition ‘’Diomaye Président’’, lors d’une conférence de presse organisée au lendemain de sa libération de prison.
Un séjour carcéral de près d’un an qui a sans aucun doute contribué à augmenter la cote du lieutenant d’Ousmane Sonko au sein des alliés et sympathisants de leur camp. Son engagement en est devenu plus raffermi, au même titre que son désir de lutter jusqu’au bout pour ‘’le projet’’, y compris par le sacrifice et le don de soi si nécessaire, toutes choses qui donnent des accents mystiques à une conviction, perçue dès le début : le pays vaut tout, jusqu’à mourir même pour lui.
Tout se passe comme si la prison a eu un effet d’accélération de la maturation politique de celui qui passait jusque-là comme un ‘’cerveau’’ dans l’ombre d’un mentor à l’exposition médiatique sans pareil. La prison a créé un leader tranquille, mais un leader quand même.
En atteste la posture adoptée par Bassirou Diomaye Faye dès sa sortie de la Prison du Cap Manuel, après avoir bénéficié, comme son leader, d’une remise en liberté à la faveur du vote d’une loi d’amnistie.
Les militants et soutiens d’Ousmane Sonko étaient sans doute loin de se douter que le véhicule qui fendaient la foule hystérique ce 14 mars là, n’était pas celui qu’ils croyaient. Jusqu’à ce que Bassirou Diomaye Faye, vêtu d’un boubou de couleur bleue, casquette vissée sur la tête, en émerge et déploie ses bras sous les acclamations.
Cette image, analysée à rebours du temps et du destin, sonne comme une intronisation populaire, d’autant qu’Ousmane Sonko, sorti de prison en même temps que le candidat de son groupe politique, n’a pas été aperçu par la foule. Il se susurre que le mentor a préféré s’éclipser cette nuit-là pour que son fidèle lieutenant attire toute la lumière possible d’un moment de vérité que seule la politique autorise.
"Bassirou est plus honnête que moi. Bassirou est un homme extrêmement brillant. Il est un homme d’action qui fait partie du projet depuis le début. Je place le projet entre ses mains. Bassirou, c’est moi’’, témoignait d’ailleurs Ousmane Sonko dans une vidéo consacrant la désignation du natif de Ndiaganiao comme candidat à l’élection présidentielle pour le compte de sa formation politique dissoute.
Bassirou Diomaye Faye, pendant longtemps numéro deux du PASTEF, à travers ses fonctions de secrétaire général ou président des cadres de ce parti dissous, devient de fait la surprise du chef. L’héritier désigné, appelé à combattre, par une légitimation par substitution, un système que son mentor ne rêvait que de terrasser.
De l’ambition à revendre
Si au premier abord il paraît de peu d’étoffe pour un homme aspirant à la magistrature suprême, il semble désormais établi que le président élu a de l’ambition à revendre.
Il est tout aussi avéré que, pour avoir de la vision pour son pays, il ne suffit pas seulement de savoir haranguer les foules, comme ces politiciens professionnels passés maîtres dans l’art de faire le show.
Bassirou Diomaye Faye peut compter sur plus que cela. Le germe qui crée l’ambition s’était manifesté en lui depuis ses jeunes années.
En témoigne son refus de regagner son village natal, Ndiaganiao, dans le département de Mbour, après la proclamation des résultats du Baccalauréat pour lequel il pensait mériter plus qu’une mention passable. Car, bien souvent premier de sa classe, Bassirou a reçu l’annonce des résultats du Bac par des larmes de déception. Déception parce qu’il ne cherchait pas seulement le Bac mais avec la mention !
Ayant obtenu ce sésame d’office mais sans mention, Bassirou a été cueilli par son frère car il refusait de rentrer à la maison, renseigne une note biographique qui lui est consacrée. C’était en 2000, à Mbour.
Bac en poche, il fut orienté à la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, où il a obtenu sa maîtrise en droit.
Ce sésame lui permettra de se présenter au concours d’entrée à l’Ecole nationale d’administration et à celle de la magistrature. Il opta finalement pour la branche des impôts et domaines, section fréquentée quelques années plutôt par son leader Ousmane Sonko, tout comme certains autres cadres du PASTEF.
Qu’il soit arrêté quelques années plus tard, en avril 2023, avant d’être inculpé de plusieurs chefs, notamment outrage à magistrat, relève d’une véritable ironie du sort.
A sa sortie de l’ENA en 2007, son chemin croise celui d’Ousmane Sonko avec lequel il partage le travail au quotidien à la direction générale des impôts et domaines mais aussi la même salle de sport.
Une amitié est née. En 2014, lors d’une des réunions ayant conduit à porter sur les fonts baptismaux le parti Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), il n’était que simple invité, indique une note consacrée à sa biographie. La même source renseigne que l’intrus a fini par taper à l’œil de ses hôtes, en se faisant remarquer, de par la pertinence de ses idées, sa rigueur surtout et sa production intellectuelle lors des réunions du bureau politique.
Très proche de Sonko, il sera vite coopté pour diriger les cadres de Pastef, poste qu’il cumule avec celui de chargé de la diaspora. Il est décrit, à ce titre, comme l’artisan du maillage de PASTEF à l’étranger, notamment en Europe, où il a multiplié les tournées pour vendre le nouveau parti et partager ses valeurs et ses aspirations pour un Sénégal renouvelé et prospère.
"Bassirou est un esprit brillant, très discret, froid dans l’analyse, cohérent dans les idées et sait exactement dans chaque situation donnée comment maîtriser ses sentiments’’, peut-on lire dans sa biographie.
Il est aussi dépeint comme une personne qui "s’oppose farouchement lorsqu’il n’est pas d’accord avec une idée ou une approche, mais aussi qui se range avec fidélité et loyauté lorsqu’une décision est prise, fût-elle en contradiction avec la sienne”.
En fin de compte, cette victoire à l’issue de la présidentielle consacre, aux yeux de certains inconditionnels, l’accomplissement d’une prophétie : célébrer son anniversaire dans les habits d’un président élu.