NETTALI.COM - La déroute du camp présidentiel, lors de la Présidentielle du 24 mars dernier, va laisser des traces. Déjà, les critiques et les accusations fusent au sein de l’APR. Beaucoup de raisons ont été avancées pour justifier cette débâcle historique. Analyse.
La défaite annoncée d’Amadou Ba s’est matérialisée, de façon amère, pour les militants et sympathisants qui sortent groggy d’un scrutin qui va laisser beaucoup de séquelles. Le candidat de la coalition Benno Bokk Yaakaar au pouvoir n’a pas résisté à la déferlante de Bassirou Diomaye Faye élu au premier tour de cette Présidentielle avec près de 57 % des voix.
Et la débâcle ne passe pas du côté des militants, surtout de l’Alliance pour la République (APR). Entre colères et réprimandes, les militants ne comprennent pas l’attitude de la direction du parti accusée de n’avoir pas soutenu le candidat de la majo- rité présidentielle. Ce sentiment est largement partagé par beaucoup de militants de l’Alliance pour la République (APR) qui font le constat que beaucoup de responsables n’ont pas mouillé le maillot. Tout au plus, ils ont fait semblant de soutenir leur candidat.
Amadou Ba, un candidat isolé au sein de Benno
Le début poussif de la campagne électorale avec peu de mobilisations dans les meetings de Mbacké, Tivaouane et Louga était déjà annonciateur de la future défaite. Car il laissait apparaître le peu d'enthousiasme des responsables “apéristes” à battre campagne pour Amadou Ba.
Pire, ces responsables de l’APR ont brillé par leur absence, notamment au meeting de Louga où, d’après nos informations, le maire Moustapha Diop, absent pour raison de Conseil des ministres, n’a pas sonné la mobilisation de ses troupes pour accueillir Amadou Ba dans la capitale du Ndiambour.
Il a fallu attendre son audience expresse, dans la nuit du 12 au 13 mars, avec le chef de l’Etat, pour voir un semblant d’enthousiasme autour de sa campagne. Les francs-tireurs jusque-là sceptiques comme Thérèse Faye Diouf, Abdoulaye Daouda Diallo et Souleymane Ndiaye, directeur de la Sapco, ont alors répondu à l’appel du chef qui a demandé de resserrer les rangs derrière Amadou Ba.
Mais le mal était déjà fait. Car cette rupture de confiance entre plusieurs responsables “apéristes” et Amadou Ba s’est répercutée jusque dans les urnes. Par exemple, au Nord, les populations ne sont pas sor- ties voter en masse.
Ce retard à l’allumage a été traîné comme un boulet par le candidat Amadou Ba qui a passé son temps à ménager les susceptibilités locales, au lieu de se concentrer sur sa campagne. De ce fait, plusieurs étapes de la campagne électorale, notamment à Bakel, Kidira, Kanel et Ziguinchor, ont été escamotées en raison de nombreux dysfonctionnements dans le calendrier électoral.
L’absence du candidat Amadou Ba dans la zone de Linguère, Koumpentoum et Koungheul a été préjudiciable à la mouvance présidentielle, lors du scrutin, avec un net recul de Benno dans ces bastions de la majorité.
Il faut dire qu’il a beaucoup pâti de la crise de légitimité qu’il traine, depuis sont entrée à l’APR. Et les dis- sidents Mame Mbaye Niang et Thérèse Faye Diouf, entre autres, se sont chargés de le lui rappeler.
Manque d’investissement des leaders et de la jeunesse “apériste”
Malgré les instructions du chef de l’Etat, lors du dernier SEN de l’APR, beaucoup de responsables ne semblaient pas être dans les dispositions pour un soutien total à son égard. Dans la commune de Dahra Djolof, les responsables locaux de la coalition ont brillé par leur apathie face à un Pastef revigoré à bloc par la venue de Sonko dans le département zappé par Amadou Ba. Les responsables, qui se sont plaints du manque de moyens, ne se sont activés que dans la dernière semaine de campagne, pour obtenir une victoire d’une courte tête dans le département de Linguère. D’ailleurs, ce bastion du ministre Samba Ndiobène Ka est symptomatique du peu d’enthousiasme de plusieurs leaders de l’APR dans cette campagne.
Le travail en amont et lors de la campagne électorale, avec des visites de proximité, des thés-débats, “Ndogou” ruptures de jeûne publiques, ne semble pas avoir été fait par des responsables “apéristes”. Leur absence du terrain politique est criante, dans la région de Matam où des dirigeants ont brillé par leur absence.
Beaucoup de pontes républicaines sont restées dans l’affichage plutôt que dans le travail de terrain. La Convergence des jeunesses républicaines (Cojer) et le Mouvement des élèves et étudiants républicains (Meer) ont aussi brillé par leur absence, lors de la campagne électorale.
Alors que le candidat de Benno a décidé d'axer sa communication sur les jeunes, ce manque de présence de la Cojer et du Meer a fait tache d'huile.
Le vide communicationnel et politique autour d’Amadou Ba
Sur le plan politique, Amadou Ba est apparu comme un candidat sans pouvoir et ne disposant pas de relais solides dans les différentes localités du pays. Cette situation d’un candidat esseulé l’a fragilisé, lorsque le duo Sonko-Diomaye est sorti de prison et l’a attaqué frontalement.
Devant un Sonko très offensif contre le candidat de la majorité qui a laissé Diomaye dérouler son pro- gramme, la majorité n’a pas su répondre. Et le candidat Amadou Ba est tombé dans le piège. Devant les coups de boutoir de Sonko contre sa fortune et sa probité, le candidat de BBY a commis l’erreur de se détourner de sa logique communicationnelle. Si au début de sa campagne, il se présentait comme une force de proposition, il a rapidement cédé face à la tentation d'entrer dans les joutes verbales avec le duo Diomaye- Sonko.
Cette situation l’a mis à la merci du duo, le plaçant dans une inconfortable position défensive. Oubliant ou marginalisant ses thématiques de campagne, l’ex-Premier ministre s’est lancé dans des diatribes sur des thèmes comme le franc CFA, la renégociation des contrats pétroliers et miniers, la polémique sur un possible transfert de la capitale nationale à Ziguinchor, entre autres.
Ce changement l’a fait passer de candidat protagoniste à candidat à la remorque du duo Diomaye-Sonko qui, dès lors, a donné le tempo de la campagne et vampiriser les attentions.
Amadou Ba, en fin de campagne, s’est plus évertué à répondre aux attaques que dérouler son pro- gramme pour les électeurs. Cette situation l’a fait passer de favori à challenger, alors qu’il portait la bannière du camp présidentiel.
Pire, cette situation a laissé paraître le vide politique autour du candidat, puisque personne parmi ses partisans n’a été capable d’apporter la réplique au tandem Sonko-Diomaye Faye.
Jeu fatal d'équilibriste entre rupture et continuité du bilan de Macky Sall
Sur le plan communicationnel, beaucoup de spécialistes ont relevé le jeu d'équilibriste auquel Amadou Ba a dû s’employer pour booster sa campagne électorale. Incapable de trop s'éloigner du PSE au risque d’apparaître comme un traitre et de pas trop s’aligner sur Macky Sall au risque d’être perçu comme détenteur d’un troisième mandat de Macky Sall.
Amadou Ba, qui s’est présenté comme le candidat de la continuité, a eu tort de ne pas défendre le bilan matériel de Macky Sall et s’y appuyer pour dévoiler son projet.
A l’épreuve des faits, son désir de s’éloigner vaille que vaille de cet ombre tutélaire de Macky Sall, en insistant sur l’aspect social de son programme : pouvoir d’achat, emploi des jeunes, lutte contre l’inflation, soutien aux pêcheurs, des thèmes qui sont la faiblesse des deux mandats de Macky Sall, a été contreproductif.
Cette prise de distance avec le bilan matériel de Macky Sall, notamment en matière d’infrastructures, a fait resurgir son procès en légitimité au sein de l’APR. Beaucoup de militants lui reprochent, encore, de n’avoir pas mis en avant les réalisations du président et de ne pas assumer entièrement cet héritage de Macky Sall.
En outre, son silence sur la thématique de la bonne gouvernance, lors de ses prises de parole en public, a été perçu comme une faiblesse communicationnelle. Car le sujet a été central, lors de la campagne. Une prise de position courageuse sur la question lui aurait permis de lever les doutes sur sa probité morale et éteindre le procès en sorcellerie qui lui a été fait à propos de sa fortune.
Le choix d’Amadou Ba de ne pas aborder cette thématique de la corruption et des bonnes pratiques a laissé prospérer cette suspicion concernant son enrichissement et l’origine de sa fortune. “Je pense que sur cette question, on a un problème de communication et on n'accuse pas beaucoup de personnes sans fondement”, avait-il tenté de dégager en touche.
Ainsi, le refus d’aborder cette thématique a aussi porté préjudice à la candidature d’Amadou Ba, présenté comme membre de cette élite loin des difficultés quotidiennes des Sénégalais.
Les raisons de la colère de Macky Sall contre Amadou Ba
Pour beaucoup de militants et sympathisants, ce revers d’Amadou Ba peut aussi s’expliquer par le “jeu trouble” du président Macky Sall. Ce dernier est accusé d’avoir sacrifié le candidat Amadou Ba, en ne lui apportant pas le soutien nécessaire.
Mais, peu de personnes se sont demandées pourquoi le Chef de l’Etat s’est mis en colère contre son candidat. Voudrait-on accuser son chien de rage pour le tuer ? En tout cas, pour expliquer ce qui s’est passé, nos interlocuteurs utilisent la métaphore de la toile d’araignée minutieusement et patiemment tis- sée par le Président, avant qu’Amadou Ba, selon les dires, ne vienne tout gâcher.
En effet, le chef de l’Etat, dit-on, avait donné des gages à Touba que Karim Wade serait candidat. Et l’ancien président guinéen Alpha Condé était au cœur des négociations entre Macky Sall et Abdoulaye Wade.
Ainsi, l’invalidation de la candidature de Wade fils a fortement indisposé Touba et contrarié le chef de l’Etat qui a été mis en porte-à-faux avec sa parole donnée. Or, au sein de l’APR, on croit dur comme fer qu’Amadou Ba est l’origine de cela.
Apparemment, d’après ses cal- culs, dit-on, il ne voulait pas d’un retour de Karim qui aurait pu le gêner dans ses ambitions présidentielles. Et il pensait qu’il ne ferait qu’une bouchée de Diomaye Faye. Sauf que le candidat de l’ex-Pastef a été libéré, en même temps que son leader Ousmane Sonko.
Ce n’est pas tout. Il y a plusieurs autres griefs contre lui. Notamment, le fait d’avoir été reçu par les autorités françaises, à l’insu du boss, dit- on. Nos interlocuteurs parlent de certains engagements pris auprès des majors du pétrole et du gaz, entre autres. Des agissements qui, selon nos sources, ont mis le chef de l’Etat dans tous ses états.
La suite, on la connaît : le président n’a pas levé le petit doigt pour soutenir son candidat. Le dernier Sen de l’APR convoqué par le président Sall et l’appel lancé aux responsables de la coalition n’ont permis que de sauver les apparences.
Dès lors, on comprend mieux les accusations de corruption formulées par les libéraux et soutenues par son camp.
Le retard dans la libération des fonds de la campagne électorale et l’absence de message fort de soutien entrent aussi dans ce cadre.
Cerise sur le gâteau : le chef de l’Etat a procédé à la libération des opposants Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye au pire moment pour le candidat de la majorité. Puisque cette libération est intervenue, alors que les inconditionnels de Sonko étaient chauffés à blanc et n’attendaient que l’occasion d’exploser de joie et d’enthousiasme. La suite fut un raz-de-marée.
D’ailleurs, comment comprendre le maintien dans le gouvernement et le non recadrage des contempteurs de l’ancien patron des Impôts et des Domaines ? Sinon que Macky Sall avait lâché son candidat.
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