NETTALI.COM - Qui disait que « la prison est un raccourci vers le palais ? ». N’est-ce pas le président Wade ? Bassirou Diomaye Faye a fait sienne cette assertion, puisqu’aussitôt après son élargissement de prison, il est directement allé à l’assaut du suffrage des Sénégalais avec le succès que l’on connaît.
D’avoir vu Bassirou Diomaye Faye, Ousmane Sonko, les deux ex-prisonniers les plus célèbres du pays, et Macky Sall en train de communier au palais, le jeudi 28 mars, dans une atmosphère bon enfant et cordiale, fait un grand baume au cœur, tant l’image est touchante. Elle est belle, d’une beauté remplie de sens. Il est en effet vrai que les hommes politiques sont les rares êtres au monde à avoir cette capacité à se quereller avec autant de facilité. Mais tels des caméléons, ils ont aussi cette grande agilité à trouver des compromis, malgré les aboiements des incendiaires de tout bord. Mais avouons qu’une transition pacifique vaut quand même mieux que tout ce qu’on a vécu comme enfer ces trois dernières années, avec un tissu social fissuré.
Des images fortes de cette communion au palais, que l’on gagnerait même à archiver pour la postérité, car ce sont ces exemples-là que l’on devrait servir aux jeunes générations.
Ce qui est d’autant plus frappant dans ces images, c’est la mue qui est en train de s’opérer chez Bassirou Diomaye Faye que l’on peut admirer dans ce beau boubou bleu à l’africaine qui lui va à merveille. Sans oublier ce cher Sonko à ses côtés, également vêtu d’une belle tenue africaine. De quoi en boucher un coin à ces mauvaises langues qui traitaient notre cher président de « kaw kaw » (plouc) déplorant son port vestimentaire approximatif et bien d’autres aspects de sa personne. Bref.
L’on est en réalité pris de sympathie pour Diomaye Faye, lorsqu’on le voit sur les photos ou vidéos. L’homme est calme, poli, un brin même timide et l’on sent chez lui une certaine humilité qui force l’admiration. Une sorte de force tranquille qui semble préjuger qu'il est un homme d’action plutôt tourné vers l’écoute et pas trop versé dans le bavardage inutile. Un homme d’action, c’est de cela en réalité dont on a besoin à lieu et place de beaux discours pour rien.
Mais à la vérité, la rencontre au palais n’était pas juste un prétexte pour communier et échanger des amabilités. Elle préfigure de ce qui allait suivre dans les jours à venir, c’est-à-dire l’installation progressive de Diomaye Faye au pouvoir. L’on était en effet, en plein dans le protocole de préparation d’installation du nouveau président de la République qui doit prêter serment le mardi 02 avril 2024 au Centre international de conférence Abdou Diouf de Diamniadio à 11 heures, avant de faire sa passation de pouvoirs avec le président sortant Macky Sall dans l’après-midi du même jour. L’on a appris que, lors de cette rencontre, de grands dossiers nationaux, notamment de questions économiques, sociales, sécuritaires, environnementales, etc et des défis qui attendent le Sénégal dans les années à venir, ont aussi été abordés. Des échanges en tout cas qui ont ainsi permis de jeter les bases d’une transition politique en douceur.
Les attentes, il est vrai, sont nombreuses au regard des promesses de rupture tant chantées et de cette volonté de casser le système tant déclamée. Déjà il faudra songer à gérer les urgences. Comme par exemple, trouver les voies et moyens de s’attaquer à la vie chère et surtout s’atteler à reconstruire une économie fortement éprouvée par ces années de péripéties politiques qui ont ralenti sa bonne marche. Ce qui peut naturellement débuter par la suppression des institutions budgétivores, telles que le Haut Conseil des Collectivités territoriales (Hcct), le Conseil économique, social et environnemental (Cese), la Commission pour le dialogue des territoires et autres agences qui font doublons, de manière à réaliser des économies importantes. Le Conseil économique, social et environnemental pourrait par exemple, à défaut d’être supprimé, réorienté et valorisé dans sa vocation et la nature de sa composition, à condition d’y installer les vrais représentants des différentes corporations, (patronat, transport, agriculteurs, industriels, tourisme, artisans, pêcheurs, acteurs culturels, monde du sport, etc) en tant qu’organe consultatif, mais à titre bénévole, étant entendu que ses membres intéressés, défendront leurs activités, tout en prodiguant leurs conseils en tant qu’acteurs, dans une logique de contribution à l’économie.
Cette logique devrait s’étendre jusqu’à la réduction du nombre de ministres (en regroupant certains domaines), sans oublier le nombre important de ministres conseillers, envoyés spéciaux et autres ministres auprès de ministres. Il ne faut évidemment pas oublier ces véhicules de fonction tels que les Audi A8 et ces 4 x 4 rutilantes coûtant entre 60, 80 et 100 millions et grandes consommatrices d’essence devant l’éternel, qui grèvent fortement les maigres ressources de l’Etat. Il ne s’agit pourtant au fond que de doter nos ministres et autres DG de véhicules justes confortables à des prix acceptables.
Il n'est donc uniquement pas question de réaliser des économies, mais également d’arriver à augmenter l’assiette fiscale en explorant toutes les niches fiscales, telles que ce large secteur informel et l’univers de l’immobilier qui échappent sous tous les régimes passés, à l’impôt. Ce n'est pas forcément chose aisée, mais il s'agit de les entraîner dans une logique qui va les intéresser et les obliger à participer à l'impôt. Pour l’inspecteur des impôts qu’il est, Bassirou Diomaye Faye pourra faire valoir sur son expérience, pour trouver les voies et moyens d’amener ce secteur à davantage participer à la collecte des ressources nécessaires au développement du pays.
Tout cela n’aura évidemment de sens qu’à la condition d’un assainissement de la gouvernance. Réformer les institutions, notamment la justice qui ne devra cesser d'être une arme politique pour les gouvernants. Des juges nous ont récemment prouvé qu'on pouvait être indépendants à un niveau individuel même en étant membres du parquet. Mais ce ne serait pas inutile de les renforcer à travers une organisation de la justice dans laquelle ils seront mieux protégés. Cel qui suppose, en d’autres termes, puisque cela a toujours été une demande sociale, de mettre en place un Conseil supérieur de la magistrature où l’exécutif ne serait plus présent et n'aurait plus son mot à dire. Une justice dans laquelle la toute-puissance du procureur de la république, juge et partie aux procès, est réduite, avec un juge de la détention, tampon entre la prison et les justiciables, de manière à réduire. Une justice plus indépendante qui soit également en mesure d'assurer la sécurité des affaires.
La réforme de la justice ne saurait dans tous les cas ne pas s’accommoder d’un combat hardi contre la corruption. Diomaye Faye a exprimé toute sa volonté de la combattre. La corruption, ce mal qui, comme le non acquittement des taxes et impôts, fait échapper beaucoup de ressources à notre économie. De même qu’une modernisation de l’administration s’impose dans le but d’alléger les procédures administratives, de les accélérer, mais aussi d'être un levier efficace dans le combat contre la corruption.
Des mesures qui doivent aller de pair avec une volonté de donner un coup de fouet à l’économie sénégalaise qui pêche par un secteur primaire, secondaire et tertiaire si peu dynamique pour pouvoir impacter la croissance économique. Ce qui signifie aussi, booster le secteur privé national, mieux jouir de nos ressources marines, minières, énergétiques et surtout à arriver à partager les fruits d’une croissance inclusive. Comment ne pas songer à résoudre la question de l’eau ? Ou encore devoir acheter de l’engrais à l’étranger, alors qu'on a les phosphates de Maïba et de Matam ? Avoir cédé les Industries chimiques aux Indiens, a été une énorme erreur.
Sortir de cette agriculture saisonnière de trois (3) mois d’hivernage, développer un tissu de PME-PMI à partir de nos ressources minières, pétrolières et gazières, mais aussi à partir de la transformation des produits agricoles, marines et animales, autant d’objectifs qu’il faut chercher à atteindre. Sans toutefois oublier d’organiser les secteurs de la pêche, du transport, du sport, de l’artisanat du tourisme, des Arts, de la culture et autres, de manière à créer une économie viable dans ces secteurs et capable de générer des quantités importantes d'emploi.
Comment réussir tout cela sans faire un casting gouvernemental approprié ? De même, résoudre l’équation de la gestion des sociétés publiques qui pour beaucoup fonctionnent dans une totale opacité et suivant une logique clientéliste, est aussi un vaste chantier à entreprendre, alors que sont promis des appels à candidature. Il s’agira dès lors de gouverner avec les meilleurs Sénégalais et éviter de s’enfermer dans un ostracisme partisan puisque des Sénégalais expérimentés et compétents, il en existe au Sénégal et dans la diaspora. La question est maintenant de savoir comment trouver le bon équilibre entre les candidats partisans, alliés et les autres Sénégalais. Ne l’oublions point, ces militants qui se sont investis politiquement, ont fait de la prison ou perdu leur emploi, s’attendent à des retours sur investissement. Et même si c’est un sentiment naturel pour ceux-là que d'avoir de la prétention, cela ne doit point pousser à la tentation de ne nommer que ceux-là, voire des personnes sans background appropriés voire incompétents. Ousmane Sonko avait prévénu qu'ils ne devraient pas baigner dans l'illusion que ce sera le partage du gâteau.
L’expérience de la gestion passée et sous Wade, nous a en tout cas suffisamment montré à quel point l’incursion de la famille et de la clientèle politique, plombe la gouvernance.
Sur la politique étrangère, Bassirou Diomaye a fait part de son engagement à consolider les acquis de la CEDEAO "tout en corrigeant les faiblesses et en changeant certaines méthodes". Le même engagement est pris pour l'unité et l'intégration politique et économique du continent également, promettant à la communauté internationale que "le Sénégal tiendra toujours son rang et restera ami pour tout partenaire qui s'engagera dans une coopération vertueuse, respectueuse et mutuellement productive. Ce qui signifie d'instaurer des relations égalitaires dans le cadre de la coopération comme l'a si bien souligné le président Faye.
Tout cela devrait donc nous imposer de renforcer les liens d'abord avec nos voisins les plus immédiats à un moment où le Mali pays frontalier s'est lancé avec le Niger et le Burkina, dans l'Alliance du Sahel. De même quelle que soit notre position future sur la question monnaie, nous devons songer à envisager notre action dans une logique d'intégration sous régionale, voire au-delà, plutôt que d'aller à l'aventure seul dans un monde où l'intégration de grands ensembles logiques paie beaucoup plus.
En somme, autant de chantiers pour le nouveau gouvernement qui requièrent engagement, détermination persévérance. Mais actions qu'il faudra engager dès le début du mandat, avec méthode et rigueur, car 5 ans, ça passe vite. Il faudra aussi et surtout que les Sénégalais s’arment de patience en ne pensant que les choses vont se réaliser comme sur un coup de baguette magique. Certains changement peuvent aller vite, là où d’autres vont forcément demander du temps. Comme résoudre la question de l’emploi par exemple. Sachons juste avoir confiance en l'avenir.