NETTALI.COM - Après sa brillante victoire au premier tour de l’élection présidentielle, Bassirou Diomaye Faye devra composer avec une Assemblée nationale dominée par Benno Bokk Yaakaar, en attendant l’organisation de nouvelles élections législatives dans les mois à venir. Des élections qui comportent plein de risques pour le nouveau régime.
Comparaison n’est pas raison, dit un adage bien célèbre. Comparer l’élection présidentielle aux autres types d’élections serait une erreur politique de grand débutant, à l’instar de ceux qui oppo- saient à Bassirou Diomaye Faye sa défaite aux élections passées pour lui contester sa légitimité comme candi- dat à la Présidentielle. La dernière consultation électorale aura servi, sur ce plan, de leçon à tous les analystes. Vaincu dans son département par le camp du pouvoir aux Locales et aux Législatives, Diomaye a pris une belle revanche sur ses adversaires. Largement victorieux dans son fief aux élections locales, Serigne Mboup n’a récolté que des miettes à l’élec- tion présidentielle. Il n’a pu obtenir que 1 509 voix dans tout le départe-ment de Kaolack, derrière Bassirou Diomaye Faye avec ses près de 83 000 voix, Amadou Ba avec ses 51 719 voix, presque à égalité avec un Déthié Fall avec ses 1 476 voix.
A titre illustratif, aux Locales de 2022, il avait fait plus de 51 000 voix pour s’imposer derrière les coali- tions XXL de BBY et de Yewwi Askan Wi.
Ce serait une grossière erreur de croire qu’entre les Locales de janvier 2022 et la Présidentielle de 2024, l’actuel maire de Kaolack a totalement disparu de la scène politique locale.
Seulement, pour une Présidentielle, ses électeurs ont préféré voter utile pour un des candidats d’envergure nationale ayant des chances réelles de gagner, à savoir Amadou Ba et Bassirou Diomaye Faye. Pour les élections à vocation départementale (législatives et locales) à venir, la réalité sera tout autre. Pour maximiser ses chances de conforter sa majorité, le nouveau régime sera obligé de trouver les meilleures combinaisons possibles. Car le vote utile qui lui a profité à la Présidentielle pourrait ne pas avoir le même effet. En lieu et place d’un seul adversaire issu de la majorité sortante, il aura affaire à plusieurs ténors aussi bien de Benno Bokk Yaakaar que du camp de Serigne Mboup. Au moment où il est difficile de savoir qui sont les repré- sentants locaux du camp du pouvoir. Tout mauvais casting pourrait, en effet, être chèrement payé.
Ce qui est valable pour Kaolack l’est également pour beaucoup de grandes villes. A Saint-Louis, Bassirou Diomaye Faye a fait plus de 62 000 voix contre plus de 36 000 pour le candidat de Benno Bokk Yaakaar Amadou Ba. Fort de ses fidèles électeurs, le Parti de l’unité et du rassemblement (Pur) est arrivé en troisième position avec plus de 5 000 voix. Pendant ce temps, Khalifa Sall, mal- gré une bonne représentation locale, a fait les frais du vote utile. Il n’a pu obtenir que 1 734 voix. Là encore, ce serait prématuré de les donner pour morts en se fondant uniquement sur ces résultats.
La bataille pour les Législatives risque d’être âpre entre les différentes forces locales en présence : Pastef, BBY, Taxawu et le PDS dans une moindre mesure. Ceci est encore plus vrai pour le cas de Dakar où le résultat de la Présidentielle ne sau- rait être le seul baromètre pour juger du poids des uns et des autres.
À la tête de plusieurs communes, le camp de Khalifa Ababacar Sall a obtenu moins de 25 000 voix dans la capitale, derrière Amadou Ba avec ses plus de 118 000 voix, au moment où Diomaye caracolait en tête avec plus de 286 000 voix. L’ancien maire de Dakar a été battu jusque dans son fief de Grand-Yoff. La même logique vaut pour les autres départements de la région : Pikine, Guédiawaye et Rufisque, mais aussi dans d’autres régions comme Thiès où Idrissa Seck a été réduit à sa plus simple expression, Mbacké, Diour- bel, pour ne citer que les localités les plus fortement représentatives. La différence de voix dans toutes ces localités est énorme, mais elle peut cacher bien des non-dits.
Dans chacune de ces localités, en effet, le nouveau régime pourrait faire face à une opposition plus coriace pour des élections à vocation départementale.
Certes, l’avantage est largement du côté du nouveau régime dans les localités susvisées, mais il ne faudrait surtout pas dormir sur ses lauriers, pour éviter toute déconvenue. Le premier défi sera de conserver les dynamiques victorieuses qui ont été à la base de ces victoires éclatantes. Le deuxième sera de manœuvrer ferme pour barrer la route à des réa- lités électorales locales dans chacune de ces localités, notamment Khalifa à Dakar, Gakou à Guédiawaye, BBY à Rufisque...
L’autre enjeu, c’est l’avenir même du compagnonnage avec le Parti démocratique sénégalais, qui reste assez fort dans de grands départements comme Mbacké et Pikine (cinq députés pour chacun rien que sur les listes départementales), Kébémer, Saint-Louis... Dans toutes ces localités, le parti libéral compte encore de bonnes réserves électorales. Même Dakar où il avait fait plus de 11 000 voix aux dernières élections législatives, malgré la consigne qu’il avait donnée à ses électeurs de voter Yewwi Askan Wi.
Au-delà de l’énorme défi qui consiste à consolider les résultats acquis à la Présidentielle dans la quasi-totalité des grands départements, il s’agira de tout faire pour aller à la conquête des départements encore sous le contrôle des responsables de Benno Bokk Yaakaar. Ils sont au moins 17 départements à avoir résisté à la razzia de Diomaye à la Présidentielle. Dans le Nord, les partisans de Macky Sall sont encore maitres dans tous les départements du Fouta ainsi qu’à Dagana chez Oumar Sarr.
Dans le Centre, Benno est encore assez forte à Kaolack, maitre à Fatick et dans certaines régions périphériques, sans parler de Kaffrine où il sera difficile de vaincre quelqu’un comme Abdoulaye Sow dans une élection opposant des leaders locaux. Le même constat est également fait au Sud-Est, à Tambacounda et à Kédougou. Si Benno parvient à main- tenir la même dynamique, comptant sur des réalités locales différentes, elle pourrait causer pas mal de difficultés au nouveau régime dans ses principaux bastions.
Toutefois, il faut préciser que par le passé, les vainqueurs de l’élection présidentielle ont souvent eu une certaine avance sur leurs concurrents. Il en fut ainsi en 2000 avec la première alternance, en 2012 avec la deuxième alternance. Dans le premier comme dans le deuxième exemple, les vainqueurs ont su non seulement maintenir les dynamiques victorieuses qui les avaient portés au pouvoir grâce au partage du gâteau, mais aussi décapiter les majorités sortantes à travers la pratique de la transhumance. Deux pratiques que réprouve la dynamique de rupture prônée par le nouveau régime.
Actuellement, l’Assemblée nationale est encore contrôlée par Benno Bokk Yaakaar, victorieuse aux dernières élections législatives de juillet 2022. Le président est d’ailleurs attendu sur le sort qu’il va réserver à la présente législature. Selon la Constitution, il pourra dissoudre l’Assemblée après deux ans, c’est-à- dire à partir du mois de septembre prochain.
Seulement, le mois de septembre coïncide avec le démarrage du marathon budgétaire et il sera difficile d’envisager une dissolution du Parle- ment à cette période. Il est donc fort probable que le prochain marathon budgétaire se fera avec la même législature.
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