NETTALI.COM - Après avoir enterré la Stratégie nationale de développement économique et social (SNDES), le PSE risque d’être enfoui à son tour, par ce que les gens du Pastef appellent le “projet”. "EnQuête" décrypte avec l’économiste Meissa Babou ces éternels retours à la case départ.
En 2012, arrivé au pouvoir, Macky Sall déchire la Stratégie nationale de développement économique et social (SNDES). À la place, il adoube son programme “Yoonu Yookute” puis le Plan Sénégal émergent. Celui-ci était bâti autour de trois axes majeurs : transformation structurelle de l’économie, développement du capital humain et gouvernance. Installé dans ses fonctions le 2 avril, le nou- veau président envisage, lui aussi, de changer de paradigme. Dès le premier communiqué du Conseil des ministres, le nouveau président Bassirou Diomaye Faye a donné un signal fort de ce que devrait devenir le Plan Sénégal émergent, référentiel économique et social sous le règne du président Sall.
Le communiqué du Conseil des ministres de préciser : "Le président de la République a également de- mandé au Premier ministre de ... changer le référentiel de politique économique et sociale avec la consécration du ‘projet’."
Économiste, enseignant à la faculté des Sciences économiques et de Gestion de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, Meissa Babou estime qu’il est tout à fait légitime pour le régime qui arrive de vouloir changer de référentiel. "C’est dans l’ordre normal des choses. Un régime, c’est un projet de société, c’est une vision, une méthode de travail et des ambitions. C’est d’ailleurs sur la base de cette proposition qu’il a eu la con- fiance des électeurs. C’est donc tout à fait légitime que le régime qui arrive puisse mettre en place son projet de société", souligne M. Babou.
En mettant en place le Plan Sénégal émergent, Macky Sall espérait certainement qu’il allait transcender les changements politiques et servir de référentiel jusqu’en 2035. Cette stratégie, disait-il, constitue le référentiel de la politique économique et sociale sur le moyen et long terme. "Elle met l’accent sur une plus forte impulsion dans la création de richesses et d’emplois, le renforcement de la gouvernance, le développement des secteurs stratégiques ayant des impacts significatifs sur l’amélioration du bien-être des populations, la protection des groupes vulnérables et la garantie de l’accès aux services sociaux de base", lit-on dans la phase 1 du projet (2014-2018).
La nouvelle dynamique de croissance, soutenaient les tenants de l’ancien régime, "doit s’appuyer sur l’amélioration de la gouvernance dans tous les domaines de la vie économique et sociale, avec notamment le renforcement de la transparence et du principe de reddition des comptes". Pour les experts du régime Sall, "la forte croissance devait être soutenue par les fondements de l’émergence que sont les réformes de l’environnement des affaires et la modernisation de l’Administration publique, la disponibilité de l’énergie à un coût compétitif, la diffusion du numérique et la qualité des infrastructures de soutien à la production et du capital humain ainsi qu’un financement approprié de l’économie”.
Un bref survol du PSE renseigne sur les priorités du défunt régime du président Macky Sall. Sur l’axe 1 (transformation structurelle de l’économie), le secteur primaire occupe une place de choix. De prime abord, le défunt régime affirmait miser sur l’agriculture, l’élevage, la pêche et l’aquaculture ainsi que l’agroalimentaire. Au deuxième point, il est mis en avant l’économie sociale et solidaire, ensuite l’habitat social...
Sur l’axe 2 (capital humain, protection sociale et développement durable), il est question de développement humain durable, ensuite de l’éducation et de la formation, en troisième lieu de la santé et de la nutrition... Sur l’axe 3 (gouvernance, institutions paix et sécurité), on traite surtout de consolidation de la paix et de la sécurité, ensuite de promotion de l’État de droit, des droits humains et de la justice, réforme de l’État et renforcement de l’Administration publique... Il faudra attendre pour voir quelle forme vont prendre ces changements annoncés par le nou- veau régime.
Meissa Babou : "Un régime vient toujours avec sa vision, sa méthode, ses propres ambitions"
Changer de référentiel, c’est souvent un vaste slogan des régimes nouveaux qui arrivent au pouvoir.
Mais dans la réalité, l’histoire récente a montré que souvent, on ne change que le contenant, mais le contenu reste. C’est qu’en fait, conviennent nombre d’observateurs, le problème c’est moins dans les référentiels que dans leur mise en œuvre par les hommes. Tout en soulignant qu’il est tout à fait légitime pour tout pouvoir qui arrive de revoir le référentiel trouvé sur place, Meissa Babou est d’avis que le PSE, le papier, n’est pas mauvais. "Le référentiel (PSE) est bon. Sur les trois axes : la transformation structurelle de l’économie, le capital humain, la bonne gouvernance, c’était bien écrit. Mais quand vous prenez la transformation structurelle de l’économie, aucune réforme majeure n’a été faite pour aller vers cette transformation, même le foncier n’a pas été réformé. Il en est de même du capital humain ; on n’a pas vu grand-chose...", a précisé M. Babou.
Les référentiels au Sénégal, selon lui, ne posent pas de problèmes majeurs. Il insiste : "Les textes sont généralement bien écrits, mais est- ce que les hommes qu’il faut sont là, c’est-à-dire des hommes qui ont l’éthique et la déontologie qu’il faut pour les mettre en œuvre de manière efficace ? Je crois qu’on a tous les instruments. Le problème, c’est dans la volonté politique et la mise en œuvre. Maintenant, on peut toujours améliorer, apporter quelques correctifs. Par exemple, pour l’IGE, c’est heureux de voir qu’il y a une volonté de la libérer, de ne plus la loger à la présidence. Sur le secteur agricole et la souveraineté alimentaire, il y a des changements importants à opérer. Sur la lutte contre la corruption, on voit les engagements forts du nouveau régime. Voilà ce que nous attendons et je me réjouis qu’il y ait cet engagement fort”.
Avec toutes ces remises en cause, d’abord de la Stratégie nationale de développement économique et social en 2012, maintenant du Plan Sénégal émergent, la question que l’on peut se poser est de savoir s’il est pertinent, dans nos pays, d’élaborer des plans qui transcendent les horizons des mandats politiques ? Est-il même possible de réussir un tel pari d’avoir des plans qui résistent aux changements de régime ? Meissa Babou rétorque : “Ce n’est possible que dans le cas où, par exemple, le référentiel a été élaboré sur la base d’une large concertation nationale, avec tous les partis politiques, toutes les forces vives, qu’on mette en place un schéma national de développe- ment qui va transcender les régimes. Là, tous les signataires seraient appelés à le respecter. Vous voyez que la probabilité est très faible. Les partis politiques qui convoitent le pouvoir ne peuvent pas se mettre ensemble et être entièrement d’accord sur un référentiel de gouvernance. Cela voudrait dire renoncer à s’opposer. C’est donc une hérésie de vouloir imposer un agenda social et économique à très long terme. Un régime qui arrive vient toujours avec sa vision, sa méthode, ses propres ambitions”.
Abdoul Aziz Konaté (APR) : "Personne ne nous a dit jusque-là c’est quoi ce ‘projet"
Responsable à l’Alliance pour la République/Rufisque, Abdoul Aziz Konaté invite les nouveaux gouvernants à ne pas se précipiter. "À mon avis, avant d’envisager de changer quoi que ce soit, il faut procéder à une évaluation exhaustive. Mais vou- loir dès leur arrivée remplacer le PSE par ce qu’ils appellent ‘projet’, cela ne me semble pas pertinent. Il faut d’abord voir ce qui a été fait de bon, identifier les points faibles pour les améliorer. Je pense que c’est la meilleure démarche”.
Demandant au nouveau régime d’être plus clair sur ce qu’est le ‘projet’, il soutient que le PSE est une stratégie adossée à une vision : celle d’un Sénégal émergent à l’horizon 2035. "Or, le seul document que nous avons vu et qui a été présenté par ces gens, nous avons tous entendu le président Diomaye dire qu’ils l’ont écrit à la va-vite parce qu’ils étaient en prison. Sur ce qu’ils appellent ‘projet’ et qui pourrait être leur vision, ils en parlent depuis bien avant 2019, mais personne ne nous a dit jusque-là c’est quoi ce ‘projet’. On attend encore de voir”.
Par ailleurs, M. Konaté met en garde contre tout forcing, toute remise en cause hâtive. "Ce référentiel dont ils parlent est déjà validé par les bailleurs de fonds et les partenaires au développement. Le remettre en cause, c’est retourner devant les partenaires pour une nouvelle validation. C’est pourquoi c’est une décision sérieuse qui ne saurait être prise sur un coup de tête"