NETTALI.COM - Objet de toutes les convoitises, les passeports diplomatiques font souvent l’objet de multiples controverses et fantasmes à l’occasion surtout des changements de régime. Chaque président qui arrive promet, en effet, de remettre de l’ordre, avant de céder aux pressions des lobbys et aux tentations de gestion clientéliste. En vérité, se dit convaincu l’ancien député et ancien bénéficiaire Théodore Chérif Monteil, ce document est "un véritable attrape-nigaud" qui ne vaut nullement toutes ces polémiques.
Les chutes de régimes soulèvent généralement beaucoup de poussière. Entre les entrants qui voient du deal partout et les sortants qui ont souvent du mal à s’habituer à leur nouvelle vie, la cohabitation peut s’avérer parfois difficile. À son arrivée au pouvoir en 2000, Macky Sall et ses hommes en avaient fait voir de toutes les couleurs aux tenants du défunt régime de Wade. La roue tournant, c’est aujourd’hui à eux de subir dans tous leurs excès les conséquences de la rigueur républicaine.
Députée membre du régime sortant, Adji Mergane Kanouté a récemment dénoncé ce qu’elle considère comme "un manque d’élégance" de la part des nouvelles autorités. Elle est revenue ainsi sur l’opposition à l’utilisation des passeports diplomatiques par les anciens ministres de Sall, au motif que "le passeport diplomatique est lié à la fonction".
Saisissant la balle au bond, ils ont été nombreux à soupçonner des volontés de fuite de la part de certains ministres et à saluer ce qu’ils considèrent comme des mesures de restriction pour faire la lumière.
Il ressort des vérifications faites par le journal "Enquête" qu’effectivement, l’aéroport international Blaise Diagne de Diass applique la mesure. Mais la volonté, selon nos interlocuteurs, n’est autre que l’application stricte de la loi. "Sur les passeports diplomatiques, il est clairement inscrit la qualité du bénéficiaire. Dès que tu perds cette qualité, tu ne peux plus voyager avec le passeport à AIBD", confient nos sources qui précisent toutefois qu’il ne s’agit pas de retirer le document.
Aussi, est-il possible pour les ayants droit qui veulent, par exemple, se rendre en France et qui n’auraient pas de visas de se rendre d’abord au Maroc avec leur passeport ordinaire et ensuite de rejoindre le pays de Marianne, grâce au passeport diplomatique. Mais à l’AIBD, impossible de se prévaloir du sésame, aux dernières nouvelles. "Au retour, il peut présenter le passeport diplomatique, s’il le souhaite...", ajoute-t-on.
Ancien député à l’Assemblée nationale, Théodore Chérif Monteil est tout à fait d’accord avec cette pratique. Il déclare : "C’est tout à fait normal. Comme je l’ai dit, chaque fois que je le présentais dans mes voyages en tant que parlementaire, on me demandait un ordre de mission. Donc, le ministre qui n’est plus en mission ne doit pas pouvoir l’utiliser. C’est aussi valable pour les députés. C’est un débat inutile, à mon avis. Normalement, le document doit même être rendu. Parce que c’est marqué dessus propriété de l’État du Sénégal".
Au Sénégal, ils sont encore nombreux à croire que le passeport ouvre presque tous les horizons. La réalité est souvent très différente. Dans un post sur sa page Facebook, M. Monteil trouve bien exagéré le débat autour du document. "Quel est la valeur du passeport diplomatique sénégalais ?", s’est-il interrogé, avant d’apporter lui-même une réponse : "Zéro. En Europe, à part la France, vous devez prendre le visa pour tous les autres pays."
Joint par téléphone, l’ancien parlementaire précise : "En fait, quand on te remet le passeport, on te remet en même temps la liste des pays que tu peux visiter sans visa. Il y a beaucoup de pays africains, quelques pays arabes, des pays d’Amérique du Sud. En Europe, le seul pays qui te dis- pense de visa, c’est la France", réagit M. Monteil qui pense que le passeport diplomatique sénégalais est un "véritable attrape-nigaud".
D’ailleurs, explique-t-il, il ne s’en servait que quand il devait voyager dans le cadre de ses activités de parlementaire dans la sous-région. Et c’était souvent une source de lourdeur. "Par exemple, pour aller participer à des réunions dans les pays membres de l’UEMOA, on va te demander un ordre de mission, quand tu présentes un passeport diplomatique, à la sortie comme à l’entrée. Alors que pour les autres, une carte d’identité suffit", rigole-t- il, estimant que la réalité est bien différente de ce qui se passe sur le papier.
Sur le papier, ils sont encore nombreux à estimer que le passeport diplomatique sénégalais dispense de visas pour la plupart des pays de l’espace Schengen. Cette source diplomatique est formelle. À l’en croire, malgré des velléités de remise en cause par le passé, le sésame sénégalais continue de prévaloir en Europe. "Il y a quelques pays comme les États-Unis, certains pays asiatiques qui exigent le visa, mais pour les pays membres de l’Union européenne, nous avons un accord", signale-t-il.
Pour Monteil qui a été bénéficiaire pendant cinq ans, la réalité est tout à fait différente. "Toutefois, reconnait- il, même s’il ne dispense pas du visa dans certains cas, il peut faciliter l’octroi du visa. Le titulaire ne passe pas par certaines formalités. Par exemple, pour aller en Corée du Sud, il n’a pas besoin de passer par des intermédiaires, il se présente directement au consulat et on peut lui octroyer le visa en 24 heures", a-t-il souligné.
Dans tous les cas, la constance est que le passeport diplomatique sénégalais a perdu de sa valeur à travers les âges. Pour beaucoup, son utilisation a été galvaudée par les régimes successifs. "Dans ce pays, tout le monde peut être détenteur de passeport diplomatique. Alors que le décret fixe la liste de personnes devant en bénéficier. C’est pourquoi certains pays, de plus en plus, corsent leurs procédures", soutient Théodore Chérif Monteil.