NETTALI.COM - La polémique s’installe, avec certains des premiers décrets dans lesquels on note que les ministres sont placés sous l’autorité directe du Premier ministre Ousmane Sonko. Abdoul Mbaye, ancien Premier ministre, et Mamadou Thiam, ancien coordinateur de la communication de la Présidence de la République, ont allumé les premières mèches. Or, une étude des derniers décrets signés par Macky Sall indique aussi que les ministres sont mandatés dans l’exercice de leurs fonctions "sous l’autorité du Premier ministre".

La volonté du nouveau gouvernement d’incarner la rupture risque de chambouler le champ politique sénégalais. Ainsi, une polémique est née, ces derniers jours, car on prête au nouveau duo Diomaye-Sonko le dessein de chambouler le traditionnel fonctionnement des différentes structures de l’État. Les critiques se concentrent sur le libellé des décrets réorganisant certains ministères qui consacre des pouvoirs élargis au Premier ministre, en plaçant les ministres sous son autorité directe.

Ainsi, dans le décret n°2024-959 relatif aux attributions du ministre de l'Urbanisme, des Collectivités territoriales et de l'Aménagement des territoires abrogeant le décret n°2022- 1804 du 26 septembre 2022 et le décret n°2022-1809 du 26 septembre 2022, la lecture fait mention de "sous l'autorité du Premier ministre", le ministre de l'Urbanisme, des Collectivités territoriales et de l'Aménagement des territoires prépare et met en œuvre la politique définie par le chef de l'État dans les domaines de l'urbanisme, de la gouvernance territoriale et de l'aménagement des territoires.

Un petit glissement sémantique qui, selon Mamadou Thiam, président du mouvement Agir pour l’émergence, a de lourdes conséquences au nouveau de l’architecture décisionnelle au sein du gouvernement. Ce qui lui fait dire qu’on est désormais en phase d’un nouveau régime parlementaire. Car d’après l’ancien coordinateur de la communication de la présidence de la République, l’expression qui sied dans un régime présidentiel comme le Sénégal, depuis la Constitution de 1963, est : "Sous l'autorité du président de la République qui détermine la politique de la Nation, le ministre (...) prépare et met en œuvre ladite politique."

Pour appuyer son argumentaire, Mamadou Thiam fait appel à la Constitution qui indique que, dans son article 53, "le gouvernement comprend le Premier ministre, chef du gouvernement, et les ministres. Le gouvernement conduit et coordonne la politique de la nation sous la direction du Premier ministre. Il est responsable devant le président de la République et devant l’Assemblée nationale dans les conditions prévues par les articles 85 et 86 de la Constitution".

Donc pour le communicant, la Constitution considère la notion de gouvernement comme entité solidaire et collégiale qui comprend un Premier ministre et des ministres. Tous responsables devant le président, il est donc concevable, selon lui, que les ministres restent sous l’autorité du président et non du Premier ministre.

Ainsi, le Premier ministre et les ministres qui sont membres de cette entité (gouvernement) ne jouent que le rôle de "directeur’’ de la coordination et de la conduite de la politique de la nation sous l’autorité du président de la République.

L’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye abonde dans le même sens en indiquant, dans un post sur Facebook, que cette décision pour- rait avoir des conséquences en termes de responsabilités pénales et remettre en cause la jurisprudence existante, lorsque le Premier ministre est un membre du gouvernement, lui-même institution collégiale. "À titre d’exemple, le Premier ministre pourrait devenir directement et personnellement responsable dans le cas d’un faux rapport de présentation comme celui ayant permis de violer le Code pétrolier du Sénégal au profit de Petrotim, quand le décret de répartition des services précise la responsabilité directe du ministre en charge des questions concernées", écrit-il.

Les limites de l’argumentaire d’un "super Premier ministre"

Néanmoins, ces argumentations sont remises en cause par quelques recherches entreprises par votre quotidien. Au fil de ces investigations, il est apparu que plusieurs décrets signés sous le magistère de Macky Sall placent le ministère sous l’autorité du Premier ministre.

A la lecture du décret n°2022- 1801 du 26 septembre 2022 relatif aux attributions du ministre de l'Environnement, du Développement durable et de la Transition écologique, signé sous l’ère de Macky Sall, il est bien mentionné en son article premier : "Sous l'autorité du Premier ministre, le ministre de l'Environnement, du Développement durable et de la Transition écologique prépare et met en œuvre la politique définie par le chef de l'État en matière de veille environnementale, de lutte contre les pollutions et de protection de la nature, de la faune et de la flore."

Il en est de même pour le décret n°2019-776 du 17 avril 2019 relatif aux attributions du ministre des Finances et du Budget qui stipule aussi en son article premier : "Sous l'autorité du Premier ministre, le ministre des Finances et du Budget est chargé de la préparation et de l'exécution des lois de finances, de la gestion de la trésorerie de l'État, de la préparation et de l'application de la législation et de la réglementation fiscale et douanière, et de la représentation de l'État devant la Cour suprême, les cours et tribunaux."

D’ailleurs, à la fin de ce texte, il est aussi fait mention que ‘’le Premier ministre et le ministre des Finances sont en charge de l’exécution de ce décret’’.

De ce fait, le chef de gouvernement apparait comme un exécutant du programme gouvernemental plutôt qu’un pôle décisionnaire au-dessus des ministres.

Cette mention dans ces documents n’avait pas soulevé de polémiques à l’époque, d’autant plus qu’on était dans un système que les opposants appellent l’hyperprésidentialisme de Macky Sall. La suppression du poste de Premier ministre (2020-2022) a consacré ce système présidentiel avec des ministres qui rendaient compte directement au président de la République.

Pour Amadou Moustapha Ndieck Sarré, ministre de la Formation professionnelle et porte-parole du gouvernement, il n’y a aucune entorse à l’architecture gouvernementale, vu que le président de la République demeure toujours le chef incontesté de l’Exécutif et définit la politique gouvernementale. "Le Premier ministre est un chef d’orchestre et tous les ministres des membres de cet orchestre. Il est aussi le seul à rendre compte directement au président de la République", fait-il remarquer sur RFI.

Surtout que le pouvoir discrétionnaire demeure toujours aux mains du président qui nomme aux hautes fonctions civiles et militaires et qui peut, à tout moment, révoquer le Premier ministre et son gouvernement.

Ce dernier a un rôle ingrat et servant la plupart du temps de fusible au président de la République en période d’impopularité. Le système, qui demeure toujours présidentiel, consacre le chef d’État, chef des armées et président du Haut conseil de la magistrature comme la clé de voûte de nos institutions et la pierre angulaire de l’action gouvernementale dont la feuille de route est toujours définie par lui-même.

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