NETTALI.COM - Dans ses différents rapports produits en 2023 et rendus publics, le mardi 30 avril, suite aux instructions du président de la République Bassirou Diomaye Faye, la Cour des comptes a mis en exergue les nombreux manquements dans ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Prodac (Programme des domaines agricoles communautaires). Ceux qui s’attendaient à une prolongation du procès Sonko-Mbaye Niang vont cependant déchanter.
Sur les dizaines de rapports particuliers publiés par la Cour des comptes, il est, à n’en pas douter, celui qui a le plus retenu l’attention de nombreux Sénégalais. Dans les panels, les commentaires sur les sites d’informations et autres plateformes des réseaux sociaux, c’est l’un des sujets les plus en vogue. Ceux qui s’étaient rués vers le rapport pour jouer les prolongations de l’affaire Mame Mbaye Niang contre Ousmane Sonko ont dû cependant déchanter.
En effet, le rapport parle peu de la gestion du Prodac sous Mame Mbaye Niang qui a quitté le ministère de la Jeunesse en septembre 2017, alors que l’audit de la Cour des comptes s’intéresse plutôt aux exercices 2018, 2019, 2020 et 2021. À la page 12 du rapport, la haute juridiction précise : "Le Prodac n’a pas fait l’objet de contrôle de la Cour des comptes depuis sa création (2014). Cependant, en 2017, l’Inspection générale des finances a procédé à la vérification du contrat liant l’État du Sénégal à l’entreprise israélienne Green Sénégal...”
Le moins que l’on puisse dire, c’est que pour la période sous-revue, ceux qui ont le plus été cuisinés par les enquêteurs, ce sont les coordonnateurs du programme, en l’occurrence Mamina Daffé (janvier 2017- juin 2019) et Pape Malick Ndour (juin 2019-septembre 2022). Pour les ministres concernés et qui ont été interpellés par la haute juridiction, il s’agit de Néné Fatoumata Tall qui a assuré la tutelle technique durant la période sous-revue, mais surtout de l’ancien ministre délégué au Budget Birima Mangara et du ministre des Finances et du Budget Abdoulaye Daouda Diallo. Ont aussi été fouinés les actes posés par les DG successifs du Trésor.
Ce qui est un peu paradoxal, c’est que malgré les manquements que certains peuvent juger très graves, la cour n’a pas prononcé de sanctions contre les présumés auteurs, ni demandé l’ouverture de poursuites, d’après le rapport que nous avons parcouru.
Comment l’État a enrichi Locafrique
C’est peut-être Khadim Ba (patron de Locafrique) qui est un as des affaires, peut-être c’est l’État qui est d’une générosité sans borne quand il s’agit de gérer les maigres deniers publics. Dans l’affaire Prodac, cette générosité s’est particulièrement illustrée dans les relations contractuelles entre l’État et ses contractants Locafrique et Green 2000.
Alors que, généralement, l’État paie après service fait, ici, il a tout fait pour mettre son bailleur totalement à l’aise. Concrètement, l’État, dès la signature de la convention de financement, a signé une dizaine de billets à ordre à Locafrique, lesquels lui ont permis d’aller sur le marché, solliciter des banques pour leur céder ses créances et disposer directement de liquidités.
Or, selon le schéma de financement initialement retenu, il était question de l’ouverture d’une ligne de crédit à Afreeximbank. Une aubaine pour l’entreprise de Khadim Ba qui a su renflouer ses comptes sans trop se fatiguer, en présentant juste les billets à ordre à d’autres banques pour les transformer en liquidités.
Selon la cour, "ces billets à ordre s’analysent comme des reconnaissances de dettes cessibles et endossables. Leur émission est contraire à la règle du service fait, dans la mesure où les montants inscrits n’étaient ni certains ni exigibles à la date de leur signature...".
En plus d’être très généreuses, les autorités compétentes se sont également illustrées par un manque de rigueur qui frise l’amateurisme, avec des dépassements et incohérences difficilement compréhensibles. Alors que le montant total de la dette à rembourser était de 36 575 162 295 F CFA échelonnée sur six ans, l’autorité compétente a autorisé le bailleur, lors de la cession des billets, de surévaluer la créance. "Le cumul entre les montants reçus par Locafrique et les billets cédés s’élèvent à 38 455 645 642 F CFA, alors que le total des billets émis en 2016 était de 35 716 732 805 F CFA. Il apparait un surplus de 2 738 912 837 F CFA que l’État devra payer par rapport à ce qu’il aurait dû”, notent les enquêteurs.
Ces derniers sont aussi revenus sur des dépassements de divers ordres. L’ancien ministre du Budget, Birima Mangara, a été interpellé sur plusieurs sujets.
Locafrique n’a pas été la seule à bénéficier des largesses de l’État du Sénégal. Green 2000 et la BNDE ont également été bien servies. En ce qui concerne la banque, des incohérences notoires ont été relevées dans le paiement des engagements de l’État avec parfois des cas de doubles paiements de factures. Cela a engendré un surplus de 1 240 320 802 F CFA au profit de la BNDE. La cour y voit un "manque de rigueur" et une "absence de maitrise de la situation de remboursement de la dette" de la part des gérants et trésoriers successifs du Trésor.
Par ailleurs, la Cour des comptes constate que "l’opacité du mécanisme de remboursement faisant notamment apparaitre des paiements effectués en dehors du compte de dépôt du Prodac n’est pas de nature à garantir l’exactitude des flux et à permettre une maitrise de la situation globale de remboursement".
Là également, les parties Coordination, Trésor et BNDE se contentent de dégager leurs responsabilités. La cour a également relevé des bizarre- ries dans un virement qui a été fait au profit de la BNDE avant d’être annulé et renvoyé à une autre date. Pour l’ex- pliquer, Pape Malick Ndour, coordonnateur à l’époque, avance que c’était pour payer les salaires du personnel.
Pour ce qui est des largesses faites au profit de Green 2000, il s’est agi de prendre en charge des dépenses qui incombaient à l’entreprise israélienne, constate la cour pour le déplorer.
S’y ajoute, selon elle, que depuis 2018, aucun bilan, ni compte de résultat n’a été établi par le Prodac. Les enquêteurs indiquent qu’il a été présenté à l’équipe de vérification “des balances déséquilibrées dont plusieurs comptes renseignés posent un problème de fiabilité”.
"Il en est ainsi, à titre d’exemple, de la trésorerie avec l’existence d’une dizaine de comptes bancaires dont les soldes ne sont pas connus, faute pour les services financiers de détenir des relevés et d’établir les états de rapprochement. Il en est de même des immobilisations comme les villas du Dac de Séfa qui ne sont pas comptabilisés", lit-on dans le rapport.
Il s’ensuit, de l’avis des enquêteurs, "une absence de maitrise de l’information financière qui se traduit par une méconnaissance de la situation patrimoniale de l’entité", avec un "paiement dépourvu de base légale, défaut de précompte de la TVA...".
Il faut préciser que la gestion du Prodac est assurée par la Daf qui a pour mission de gérer les opérations budgétaires, la gestion du personnel et des carrières, la gestion du domaine, de la logistique et de la maintenance et, enfin, la gestion de l’environnement et de la sécurité. La Daf est composée de deux divisions : division comptabilité et finances (bureaux comptabilité et finances et bureau comptabilité des matières). Pour la division des ressources humaines, elle est composée du bureau gestion du personnel et de la solde et du bureau des affaires sociales.
La phase sous-revue par la cour concerne surtout les Dac de Séfa, Itato, Keur Momar Sarr et Keur Samba Kane. "Le schéma de financement fait intervenir la Locafrique qui a conclu, en février 2016, avec l’État du Sénégal une convention de financement d’un montant de 29 600 536 000 F CFA au taux de 7,97 % l’an, toutes taxes, frais et commissions compris", font noter les enquêteurs. Il était convenu d’ouvrir une ligne de crédit à Afreximbank que Locafrique s’engageait à payer les factures présentées par Green 2000 sur validation du Prodac.
Du point de vue de la gestion des RH, il a surtout été épinglé des recrutements de complaisance sans passer par l’appel à candidatures, mais sur- tout de personnels peu qualifiés pour les postes pour lesquels ils ont été recrutés. À titre d’exemple, il a été relevé le cas de ce journaliste recruté pour un poste de suivi-évaluation. Un exemple parmi tant d’autres.
Il faut noter que pour le compte de l’année 2023, la cour a publié près d’une vingtaine de rapports, dont celui du Prodac, sur l’ITIE, sur les impôts directs ainsi que différents autres démembrements de l’État et des collectivités territoriales.
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