NETTALI.COM - La nouvelle ère de la diplomatie sénégalaise est marquée par une sorte de rééquilibrage entre les alliés traditionnels au sein de la CEDEAO et des pays de l’AES. Si le président Bassirou Diomaye Faye poursuit ses tournées diplomatiques dans des pays dirigés par des présidents élus démocratiquement, Sonko a décidé de prendre le chemin des capitales où règnent des régimes militaires. "EnQuête" lève un coin du voile de ces visites.
Le président de la République sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, a foulé le sol ivoirien, depuis mardi 7 mai 2024. Comme lors de ses visites précédentes, il a été accueilli en grande pompe. C’est son quatrième voyage à l’étranger, alors qu’Ousmane Sonko, le leader du Pastef, a annoncé une série de tournées au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Deux approches distinctes qui suscitent des réactions vives, tantôt louées ou critiquées.
Hier, les deux chefs d'État, Bassirou Diomaye Faye et Alassane Dramane Ouattara, se sont exprimés, lors d’un point de presse conjoint, à l’occasion de cette visite officielle en terre ivoirienne. “Si nous mettons en synergie notre capa- cité comme je le souhaite et comme il en a toujours été avec un niveau toujours plus appréciable, il est sûr que nous pou- vons également faire face à de nombreux défis, y compris ceux qui sont liés au contexte de crise économiquement mondiale que nous sommes en train de vivre”, a déclaré le président sénégalais.
Pour M. Faye, au-delà des bonnes relations qui existent entre le Sénégal et la Côte d’Ivoire, davantage peut être fait. “Nous pouvons encore faire plus, notamment dans les secteurs prioritaires de l’agriculture avec le développement des coopératives en Côte d’Ivoire dont nous voulons largement nous inspirer et dans d’autres domaines comme celui de l’élevage, de la défense, de la sécurité, de l’éducation et de l’énergie même”, a-t-il indiqué.
D’ailleurs, il estime que les récentes découvertes minières sont une opportunité historique pour les deux gouvernements de mutualiser les connaissances, les efforts et les stratégies pour tirer les meilleurs profits de ces ressources. “Ensemble nous pouvons exploiter beau- coup de potentialités qui existent dans les deux pays et renforcer cette coopération économique, commerciale que nous avons tout le temps entretenu, mais qui doit, avec chaque régime, connaitre une croissance plus accrue”, a-t-il dit.
Le président ivoirien, Alassane Ouattara, a, pour sa part, affirmé être dans une “convergence totale” de points de vue avec le nouveau président sénégalais. “Nous nous sommes félicités du dynamisme de la coopération et surtout le renforcement des relations qui ont toujours marqué l’évolution dans nos deux pays. Nous sommes parvenus à une convergence totale de points de vue. Que ce soit sur les questions de démocratie, de coopération régionale ou de la situation internationale, nous sommes totalement en phase”, a déclaré Alassane Ouattara.
Le chef de l’exécutif ivoirien a aussi révélé qu’avec le président Faye, ils ont souhaité que leurs ministres respectifs fassent plus d’efforts pour essayer de dynamiser le commerce entre les deux pays.
Pour Alassane Ouattara, avec les découvertes qui viennent d’être faites au Sénégal dans le domaine du gaz et en Côte d’Ivoire, dans les domaines du gaz, du pétrole et de l’or, les économies respectives, dans deux ou trois ans, auront des taux de croissance à deux chiffres pour contribuer significativement à améliorer le quotidien des populations. “Nous avons considéré qu’en matière économique, c’était important de mettre l’accent sur le social et sur la jeunesse. C’est ce que nous faisons en Côte d’Ivoire. Ce qui a permis de réduire de manière importante le taux de pauvreté au cours des 10 dernières années” s’est félicité le président ivoirien.
Sur les traces de Macky Sall
En faisant la tournée des chancelleries de la sous-région, le président Bassirou Diomaye Faye suit les traces de son prédécesseur, Macky Sall, en préservant les acquis diplomatiques. Le nouveau président est conscient du legs sur ses épaules. Dakar abrite plus de 80 ambassades et presque tous les bureaux des organismes internationaux. Le pays a une bonne réputation sur le plan international et a tissé de très bonnes relations avec ses voisins. Très respecté dans la sous- région pour sa culture démocratique et le professionnalisme de son armée qui a su toujours rester en dehors du jeu des politiques, Bassirou Diomaye évite tant bien que mal de fréquenter des pays voisins dirigés par des militaires et qui ont pris le pouvoir par les armes.
De premières visites à l’étranger au Mali, au Burkina Faso ou au Niger auraient annoncé les couleurs d’une poli- tique étrangère souverainiste et totale- ment anti-française. Or, l'exception sénégalaise renforce le crédit du pays dans une région en proie aux turbulences et les nouvelles autorités ne devraient pas prendre le risque de flirter trop ouvertement avec des régimes en kaki qui connaissent quelques soubresauts au sein de leurs opinions publiques nationales.
Aujourd’hui, même si la ligne idéologique du Pastef partage avec les gouvernements des pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) un certain nombre de visions comme le panafricanisme de gauche, il est clair que les conseillers diplomatiques du nouveau président cherchent à faire le distinguo entre la vision diplomatique séculaire du Sénégal et l’option souverainiste du parti au pouvoir.
La tournée d’Ousmane Sonko dans les pays de l’AES
C’est dans cette optique d'équilibre qu’Ousmane Sonko a annoncé sa tournée dans ces pays du Sahel et en Guinée, lors de la première réunion du Bureau politique du Pastef tenu le dimanche 5 mai 2024.
Pour rappel, en novembre 2023, Sonko avait envoyé, une délégation à Bamako dirigée par Dr Dialo Diop, vice- président du Pastef chargé des questions panafricaines, pour discuter des questions liées aux enjeux sous-régionaux, notamment la création de l’AES. Cette organisation est une sorte de réponse à la CEDEAO jugée très partiale contre ces États putschistes.
Le renvoi d’ascenseur eut lieu aussi lors de la cérémonie d’investiture de Diomaye Faye, le 3 avril 2024. Il y avait une forte délégation malienne. Si le président malien de transition, le colonel Assimi Goïta, n’a pas publiquement félicité le successeur de Macky Sall, le président du Conseil national de transition (CNT) du Mali, le colonel Malick Diaw, a assisté à la cérémonie. Il était accompagné par le ministre des Affaires étrangères Abdoulaye Diop.
Le colonel Mamadou Doumbouya a, lui, fait le déplacement à Diamniadio marquant les esprits par le focus des caméras sur son accoutrement.
En effet, au lendemain de la victoire de Diomaye Faye (54 %), le tombeur de Bazoum, le général Tiani, avait demandé au peuple sénégalais de prendre en main son destin, après l’ajournement de la Présidentielle par Macky Sall. Il se disait convaincu “qu’ensemble”, ils imprimeront “une nouvelle dynamique” aux relations entre le Sénégal et le Niger, “dans le sens de l’affirmation de notre souveraineté et la défense véritable des intérêts de nos peuples et que les autorités de l’Alliance des États du Sahel (AES) sont engagées à le faire dans l’honneur et pour la victoire”. Alors que le capitaine Ibrahima Traoré, le président de la transition burkinabé, est sûr que le président Faye est le “symbole d’une nouvelle ère pour une Afrique décomplexée, libre et souveraine”.
Le duo Diomaye-Sonko pour rabibocher la CEDEAO et l’AES ? Cependant, cette visite pourrait être aussi le déclic pour trouver une solution face aux différends entre les pays de l’AES et ceux de la CEDEAO. Le duo Diomaye-Sonko pourrait jouer les bons offices pour désescalader cette crise sous-régionale.
Selon Caroline Roussy, directrice de recherche au programme Afrique à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) accrochée par “Le Monde”, “Bassirou Diomaye Faye semble vouloir se poser en médiateur pour empêcher les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) de sortir définitivement de la CEDEAO”.
Le nouveau dirigeant se dit conscient “du risque de déliquescence” de la communauté régionale dont il souhaite “renforcer les liens”.
Ainsi, malgré leurs différences de génération et d’idéologie, les présidents sénégalais et ivoirien affichent leur “totale convergence de vues”, notamment sur la crise politique sans précédent que traverse l’Afrique de l’Ouest. Le Sénégal pourrait s’affirmer comme un médiateur avec les régimes putschistes du Sahel.