NETTALI.COM - Il vient de boucler un an à la tête du groupe Emedia Invest qu’il dirige depuis le 10 mai 2023, avec plus de 25 ans dans la presse. Lui, c’est Alassane Samba Diop, alias ‘’Monsieur Scoop’’. Dans cette interview avec "EnQuête", il revient sur son parcours, la guerre en Guinée-Bissau qu’il a couverte en 1998, son départ de Walfadjri, son passage à la RMD, la naissance de RFM, sans oublier Emedia et les difficultés qu’il traverse depuis quelque temps.
Qui est Alassane Samba Diop ? Pouvez-vous revenir un peu sur votre parcours ?
Alassane Samba Diop est un Sénégalais qui vient du Fouta, plus précisément de Kanel, qui a fait ses études entre Kanel et Dakar. J’ai eu mon baccalauréat au lycée Lamine Guèye où j’ai connu Yoro Dia (ancien ministre porte-parole de la présidence : NDLR). On a fait la seconde, la première et la terminale ensemble. Après le Bac, il est parti au Département d’histoire et moi je suis allé faire mes humanités en sociologie. Il se trouve que la même année, il y a eu l’année invalide. Par un concours de circonstances, on a fait le concours d’entrée au Cesti et on l’a réussi.
Nous avons retrouvé au Cesti des aînés comme Mamoudou Ibra Kane, Aliou Ndiaye, Babacar Cissé, Abdoulaye Sékou Faye, entre autres. En 1997, nous avons fait notre stage au journal ‘’Le Matin’’ qui venait d’être lancé avec les Baba Tandian, les Boubacar Boris Diop, Alain Agboton, Pape Samba Kane... Nous avons retrouvé là-bas Aliou Ndiaye, Sidy Diop, Habib Demba Fall, Mamadou Alpha Diallo dit ‘’Zak’’ qui est maintenant aux Nations Unies, Samboudian Camara, Yakham Mbaye...
Par la suite, Walf a lancé sa radio et Mame Less Camara a fait appel à nous. J’ai passé huit ans à Walfadjri. En tant que reporter, j’étais préposé à couvrir toutes les grèves à l’université. J’y étais avec les Jupiter Diagne, Aliou Ndiaye, Mamoudou Ibra Kane, Yoro Dia, Antoine Diouf, feu Reine Marie Faye, Abdoulaye Lam, Assane Guèye. On faisait une très belle équipe.
À un moment, il y a eu des divergences entre le syndicat et Sidy Lamine Niasse sur l’orientation du groupe. À cause de ces tiraillements, Sidy avait décidé d’affecter tous les jeunes reporters dans les régions. Je me suis ainsi retrouvé à Matam. Finalement, on a démissionné de Walfadjri.
On est resté un moment sans travail. C’était vraiment difficile. C’est en ce moment qu’on s’est rendu compte que la star, c’est le médium. Les gens qui vous appellent c’est parce que vous êtes dans un lieu où ils pensent que vous pouvez leur être utile... Cela a contribué à renforcer notre humilité. Par la suite, avant RFM, il y a eu l’épisode de la Radio municipale de Dakar (RMD) créée par Pape Diop, à l’époque maire de Dakar. Il l’avait confiée à Mamoudou qui m’a parlé du projet et m’a confié la rédaction. On est resté huit mois là-bas, mais le projet ne bougeait pas, malgré les multiples voyages de Mamoudou en France pour commander du matériel...
Un ami qui était à la présidence à l’époque m’a, par la suite, appelé pour me dire que c’est une mauvaise idée de rester à la RMD. Il nous a fait comprendre que les gens de la présidence considéraient que nous avons été avec Walf et Sud pour beaucoup dans l’avènement de l’alternance en 2000, que nous faisions partie de ceux qui ont fait partir Diouf - même si ce n’est pas vrai, parce que ce sont les Sénégalais qui votent. Il m’a dit : ‘’Ils veulent vous mettre là-bas (à la RMD). Ils vont vous payer des salaires, mais c’est juste pour vous neutraliser.’’ Comme moi je considère qu’un journaliste qui n’est pas à l’antenne, qui n’écrit pas, n’en est plus un, c’est à ce moment que j’ai appelé Youssou Ndour que je connaissais... Je lui ai demandé si sa radio Sports FM marchait ? Il m’a dit que non et on a échangé...
Mon point de vue était que le concept de radio thématique ne marche pas trop au Sénégal. Nous, on aime les radios où les gens se chamaillent, parlent beaucoup politique... Par la suite, on s’est rencontré chez lui à Fann, on a discuté et je lui ai présenté le premier draft de ce qui allait devenir la RFM. Il m’a convaincu de venir travailler avec lui. Je lui ai demandé si je peux venir avec Mamoudou Ibra Kane et il a donné son accord. Youssou Ndour a voulu me confier la direction de la radio, je lui ai proposé de la donner à Mamoudou. Je l’ai fait parce que quand on quittait la RMD, il avait la position de directeur et je voulais qu’il occupe la même position. C’était aussi pour moi une manière de lui renvoyer l’ascenseur, parce que quand j’étais en chômage, il m’avait tendu la main. Et moi je suis comme ça, je n’oublie jamais ces genres de choses. Avec Mamoudou, comme on dit, on a toujours eu de bonnes vibes, on se comprend.
Pour dire que RFM, c’était vraiment notre bébé. Même le nom, c’est moi qui l’ai donné. On pensait à Ndakaru FM, Liberté FM... J’ai dit à Youssou : vous avez un groupe qui s’appelle Groupe futurs médias. Disons donc RFM, la Radio futurs médias. D’ailleurs, si vous regardez bien, vous allez voir que les logos qu’on avait au départ, c’était inspiré des logos de RFM France, avec du bleu sur du rouge. On utilisait même le jingle de cette radio. Au fur et à mesure, ça a changé. C’est comme ça que c’est parti.
Ensuite, Youssou m’a chargé du recrutement ; la plupart des anciens qui sont à la RFM, c’est moi qui les ai appelés. Youssou disait que GFM, c’est le Real Madrid et il doit faire des transferts.
Vous en avez quand même pris beaucoup à Walf. Comment cela avait-il été accueilli par Sidy ?
C’est vrai qu’il ne l’avait pas bien pris. À un moment, il a eu à dire qu’il nous donne six mois pour ne plus tenir. Youssou Ndour a mis les moyens et on a fait le job. Par la suite est venu ‘’L’observateur’’ qui s’appelait d’abord ‘‘Pop l’original’’, ensuite la TFM qui a été pendant un temps bloqué par le régime d’alors. Je crois que le déclic qui a poussé Wade à donner à Youssou sa licence, c’est quand le président Abdoulaye Wade avait lancé l’appel pour aller chercher les Haïtiens. Khalifa Diakhaté était parti dans l’avion avec le ministre Lamine Ba. Il a pu faire un travail remarquable, un bon reportage envoyé le jour même. On a pu le diffuser dans le journal du soir. Je pense que la présidence était un peu ébahie, parce que la RTS était là, elle n’a pas pu le faire ou bien ils n’ont pas eu l’idée de le faire. Je pense qu’à partir de là, les gens se sont rendu compte qu’ils ont affaire à de jeunes professionnels qui ne font que leur travail. De manière très professionnelle.
N’y avait-il pas une certaine envie de revanche, vu les conditions dans lesquelles vous avez quitté Walf ?
Non, non, non. Au contraire ! Nous n’oublierons jamais ce que Walf et Sidy nous ont apporté. Walf a été une grande école pour nous. Je me rappelle d’ailleurs mes premiers pas à Walf, lors d’un stage en première année de Cesti. La première chose qu’on te demandait, c’était de faire le thé pour les grands frères Ousseynou Guèye, Abdourahmane Camara, Jean Meissa Diop, Seydou Sall... Je me suis beaucoup bonifié au contact de ces aînés. C’était une famille. Sidy ne donnait certes pas de per diem, mais il y avait le bol de Sidy qui réunissait tout le monde. C’était vraiment une ambiance conviviale et ce sont ces bons souvenirs que l’on a gardé de Walf.
Vous rappelez-vous votre premier salaire ?
J’avais 30 000 F CFA. J’habitais la Patte d’Oie. Des fois, je prenais le ‘’car rapide’’ jusqu’à Khar Yalla. Des fois je marchais. En 1998, quand je partais avec Mamadou Alpha Diallo couvrir la guerre en Guinée-Bissau, chacun avait 10 000 F CFA. L’argent n’était vraiment pas un problème pour nous. La passion prenait le dessus. Nous sommes partis pendant trois mois. Il y avait aussi d’autres confrères de ‘’Nouvel horizon’’, du ‘’Cafard Libéré’’, mais aussi le doyen Amadou Mbaye Loum. C’est la première fois que j’allais au front. J’entendais les balles siffler... Nous aurions pu y perdre la vie. C’était une ambiance assez éprouvante. Pour la première fois, on a vu des morts. Cela m’a beaucoup forgé dans mon travail, j’y ai aussi connu beaucoup de militaires, de très belles rencontres.
Comment faisiez-vous pour l’envoi de vos papiers, si l’on sait qu’Internet n’était pas aussi développé ?
On a travaillé dans des conditions très difficiles. On n’avait pas Internet. Je squattais la valise de RFI ou de Radio Portugal. Mame Less était le directeur de la radio ; il était très inquiet parce qu’il avait peur que les enfants d’autrui qu’il avait envoyés reviennent dans des cercueils. Je me rappelle le premier papier que nous avions fait à notre retour de Bissau, il a été publié dans la rubrique Kiosques de ‘’Jeune Afrique’’. En ce moment, on avait juste la convention collective : peut- être 100 ou 150 000 F CFA maximum. Nous sommes partis parce que nous étions passionnés. Et je pense que c’est ce qu’il faut pour être un bon journaliste. Malheureusement, cette passion a tendance à disparaitre de nos rédactions.
D’où vient le surnom ‘’Scoop’’ que certains vous collent ?
Cela vient des confrères. Je pense que c’était Madiambal Diagne qui m’a affublé du surnom ‘’Scoop’’ pour la première fois. Le plus important pour un journaliste, c’est de ne pas suivre les effets de mode, d’avoir sa stratégie pour accéder à l’information, à la bonne information, de première main comme on dit. Pour ce faire, il faut être dégourdi, mais patient ; il faut aussi préserver sa crédibilité. Même quand on vous donne un document, tu dois vérifier, recouper, trianguler... Ce n’est pas toujours évident dans notre contexte notamment, avec les difficultés d’accéder à l’information. Il faut donc être patient et rigoureux pour éviter d’être démenti.
En 2018, vous quittez GFM pour mettre en place Emedia Invest. Pouvez-vous revenir sur les circonstances de votre départ et la création de ce groupe ?
Nous avons quitté GFM qui, comme je le disais, est notre bébé et on a toujours d’excellentes relations avec nos frères et sœurs qui sont là-bas. C’est parti sur le constat qu’il y a des engagements qui ont été pris et qui n’ont pas été respectés. Pour la bonne et simple raison qu’on a toujours défendu que les journalistes doivent être des actionnaires dans les entreprises de presse dans lesquelles ils travaillent. Les patrons doivent avoir la générosité d’ouvrir le capital aux travailleurs. Ensuite, on s’est rendu compte que la fonction de journaliste était de plus en plus négligée au profit de l’’’Entertainment’’, du spectacle. Ce qui est compréhensible, parce que le groupe a été créé par un artiste. C’est donc normal qu’il y ait une certaine sensibilité au spectacle. À un moment donné, le seul rendez-vous qui existait, par exemple, en français, c’était le ‘’20 H’’. ‘’Les Affaires de la Cité’’, ‘’Question directe’’, ‘’L’art’’, beaucoup d’émissions ont été supprimées et remplacées par des émissions en wolof ou de divertissement. Quand on ne se sent plus à l’aise dans ce qui se fait, il est temps de partir.
On s’est réuni : d’abord Mamoudou Ibra Kane, Mamadou Ndiaye et moi pour voir comment mettre en place un groupe. Boubacar Diallo est venu après. On s’est dit que la seule expérience de journalistes qui se sont réunis et qui ont monté quelque chose de solide, c’est Sud. Pourquoi ne pas imiter ce modèle ? Sauf que nous, nous n’avions pas de capital. On s’est dit qu’il faut aller chercher des hommes d’affaires sénégalais à qui on va expliquer le projet. L’idée était de leur dire que le Sénégal va devenir un pays gazier et pétrolier. De plus en plus, les médias étrangers vont s’intéresser au Sénégal et c’est déjà le cas. Nous leur avons dit : vous êtes des hommes d’affaires, vous avez des intérêts à défendre. Nous, nous sommes des journalistes. Je pense qu’on devrait s’associer et mettre en place des choses et tout le monde va gagner. Sinon, demain, si on vous arrache vos droits, vous n’auriez nulle part où vous plaindre, d’autant plus que ces médias étrangers vont défendre les entreprises de leurs pays.
Ensuite, c’est pour contribuer à la démocratie sénégalaise. C’est une vision hollistique qui a favorisé la naissance de ce projet. Les partenaires savent qu’ils ne vont peut-être pas gagner de l’argent, mais qu’ils vont contribuer à la création d’emplois, ils vont participer à la démocratie et cela a des effets sur leurs business.
Donc, vous n’êtes pas contre la jonction entre le capital et les journalistes pour mettre en place des groupes viables ?
Du tout ! Allez en France, Bolloré a vendu tout ce qu’il avait et a investi dans les médias avec Canal, avec Cnews... Aujourd’hui, rien ne se fait en France sans lui. Il a même créé un monstre qu’est Zemmour. Si vous allez aux États-Unis, c’est la même chose ; la plupart des grands groupes sont contrôlés par des firmes. La différence est qu’aux États-Unis, l’éditorial est différent de la rédaction. Quand tu es propriétaire d’un journal, tu peux faire un édito et soutenir qui tu veux, mais cela n’engage pas la rédaction. C’est le business. Nous devons nous adapter.
On vous a reproché d’être parrainé par Macky Sall ou d’autres hommes de son régime. Qu’en est-il ?
C’est totalement faux ! Les gens font des raccourcis très faciles. Nous sommes toucouleurs ; forcément, quand un Al Pulaar monte quelque chose, c’est Macky Sall qui est derrière. Ce sont des raccourcis très dangereux. Macky Sall n’a rien à voir, ni de près ni de loin avec notre entreprise. Ce sont des hommes d’affaires sénégalais qui ont pignon sur rue qui ont décidé d’investir dans Emedia. Pour nous, ce sont des Sénégalais qui ont investi comme les Sénégalais investissent dans n’importe quelle entreprise.
Cinq ans après, ce groupe que l’on croyait parmi les plus solides se retrouve dans des difficultés financières. Comment on en est arrivé-là ?
Les gens ont pensé qu’on avait énormément d’argent, parce qu’ils n’étaient pas habitués à voir cela. Pour la première fois, on lance un groupe de presse avec une télé, une radio et un site Internet en même temps. Et ensuite est venu le journal. C’est peut-être pourquoi on a pensé qu’on avait énormément d’argent. Ce qui est contraire à la vérité ; on n’avait pas beaucoup d’argent, mais on avait une force de frappe, c’est-à- dire nos carnets d’adresses, avec Boubacar Diallo, Mamoudou Ibra Kane, Mamadou Ndiaye. On s’est battu pour trouver des partenaires et lancer cette affaire.
Malheureusement, notre ascension a été un peu perturbée par la Covid. Ensuite est venue la crise ukrainienne... Aujourd’hui, la guerre au Yémen qui nous impacte aussi. Nous n’avons pas été encouragés par le contexte, mais nous tenons bon. Il faut préciser que nous avons juste des retards de salaire. Il n’y a aucun arriéré. Il y a dans la presse des entreprises qui ne paient pas depuis des mois. Mais nous on essaie de se battre, bon an mal an, même si la conjoncture est difficile pour tout le monde. Mais je comprends aussi les jeunes, c’est tout à fait normal. C’est des jeunes, mais ils sont des responsables qui ont des charges et qui ont des pressions de leurs bailleurs, des familles... On comprend parfaitement parce que nous vivons avec eux. Vous me permettez de les remercier parce qu’ils sont travailleurs, ils sont professionnels et ils font des résultats. Nous pensons qu’on va travailler à trouver ensemble des solutions aux problèmes qui sont conjoncturels.
Est-ce que le départ de Mamoudou n’a pas précipité le groupe dans des difficultés ?
Mamoudou était le directeur général. Quand il a pensé faire la politique, nous avons estimé que c’est incompatible. Notre concept est d’être professionnel, responsable et équilibré. Quand il a décidé de faire la politique, nous avons estimé qu’il devait aller s’occuper de son mouvement.
Donc, les déclarations ou positions qu’il peut prendre n’ont rien à voir avec le groupe. Certains font l’amalgame, parfois volontairement, juste pour nous nuire. Ce que Mamoudou fait sur le plan politique ne nous engage pas. Il a décidé de se lancer en politique, nous autres membres de la rédaction avons choisi de rester journalistes. Donc, les déclarations de Mamoudou ne doivent nullement engager Emedia. Il faut vraiment insister là-dessus et faire la part des choses entre les activités de son mouvement et le groupe de presse que je dirige. Le groupe reste équilibré et donnera la parole à tout le monde.
Au-delà d’Emedia, ce que certains n’arrivent pas à comprendre, c’est pourquoi les difficultés persistent dans les entreprises de presse, malgré toutes les mannes injectées par l’État, notamment à travers l’aide à la presse et l’effacement des dettes fiscales. Où passent ces mannes ?
Moi, j’ai toujours dénoncé qu’on donne de l’argent directement aux médias. Souvent, quand on donne l’argent, ça couvre des dépenses, des dettes et d’autres charges. Je suis pour un changement de paradigme.
D’abord, l’État du Sénégal doit avoir une fiscalité adaptée à la presse. Il peut jouer par exemple sur le coût des intrants, sur la dette des entreprises de presse, sur l’Ipres, la Caisse de sécurité sociale, les charges de la presse, au lieu de donner de l’argent à un patron qui peut en faire un usage non conforme.
Ensuite, il faut surtout faire le nettoyage, assainir le milieu. N’importe qui peut se lever un jour et créer un journal. Ça pose problème dans un pays sérieux. L’État a failli dans son rôle de régulation. Nous sommes envahis par des gens qui n’ont rien à voir avec les médias. Il y a aussi la faillite des journalistes eux-mêmes qui n’ont pas défendu leur métier.
Enfin, je pense que les journalistes et les entreprises doivent également s’adapter, en investissant davantage le digital, par exemple.
Vous posez là le problème du modèle économique. Quel modèle pour des entreprises de presse viables ?
Le modèle actuel n’est plus opérant. Nous sommes appelés à nous adapter comme j’ai dit. Sinon, nous allons disparaitre. L’économie est dans le digital. Aussi, l’écosystème même est à revoir. Ce n’est pas normal que les Gafam rémunèrent les contenus en Europe, aux États- Unis, en Occident et que rien ne soit fait en Afrique. Je pense que nos États, à travers les organisations comme l’UEMOA, la CEDEAO ou même l’Union africaine, doivent prendre en compte cette problématique. Les gens produisent des articles avec tout ce qui va avec comme énergie et moyens déployés, on pompe, on met dans Google, on génère de la pub et d’autres perçoivent les retombées. C’est inacceptable. L’Afrique doit aussi défendre sa presse.
Ces difficultés coïncident avec le changement de régime. Est-ce que cela a joué sur la situation des médias ?
Non, je ne le pense pas. Le seul impact possible, c’est que les entreprises ont des contrats avec les ministères et institutions. C’est tout à fait normal que les nouvelles équipes qui viennent veuillent comprendre ce qui s’est passé. Tous les médias ont des contrats et sont confrontés à ce genre de problème. Maintenant, moi je pense que les gens doivent chercher un modèle qui est moins dépendant de l’État. Il faut aller vers la digitalisation, même si le papier a aussi sa place. Il faut trouver l’équilibre qui doit être basé sur une étude sérieuse. Mais l’écosystème de la publicité aussi doit être revu. Aujourd’hui, c’est la jungle. Chacun fait ce qu’il veut. Est-ce que vous pouvez comprendre que des journaux viennent de l’étranger et gagnent des marchés de pub à 600, 800 millions qu’ils ramènent chez eux ? Et pourtant, quand il y a eu la Covid, on a eu recours à cette presse locale. Les gens ont fait le job. Lors des élections aussi, on voit le travail remarquable des médias locaux, les journalistes sont dans les bureaux de vote pour diffuser les résultats en direct et contribuent ainsi à la transparence du scrutin. Vous pensez que tout ça a un prix ?
Malgré tout, on crie au scandale quand des entreprises de presse signent quelques contrats avec des structures étatiques. N’est-ce pas un paradoxe ?
Mais c’est scandaleux ! Comment peut-on se taire quand un journal étranger vient ramasser une pub de 800 millions et se scandaliser quand une entreprise sénégalaise gagne un petit contrat de quelques millions ? Les gens sont méchants, ils ont la haine de soi. Quand un journal sénégalais s’en sort, ça doit être une fierté. Ceux qui y travaillent sont des Sénégalais. Et après on va s’offusquer de l’émigration irrégulière... C’est un véritable paradoxe.
Vous avez parlé des grands groupes. On les voit rarement faire de la publicité dans nos médias. Comment l’expliquez-vous ?
Il y a une connivence entre ces groupes et les médias de leurs pays. Quand le patronat a de la pub, ils le font dans leurs médias. Les Sénégalais n’y voient que du feu. Pourtant, c’est de l’argent gagné ici. Vous ne verrez jamais de grands marchés de publicité de ces entreprises étrangères être confiés à nos médias. Ça pose problème. Et je pense que la rupture, c’est aussi à ce niveau. C’est une question de souveraineté au même titre que les autres. Regardons le cas de Canal. Si aujourd’hui, il décidait de couper son signal, beaucoup de Sénégalais ne pourront regarder les télés, hormis la TNT qui n’est pas présente dans toutes les localités. Voilà les véritables enjeux.
Avez-vous pris, pour le cas d’Emedia, des mesures pour assainir les finances ?
D’abord, il y a l’option de la digitalisation qui est irréversible. J’ai vu beaucoup d’expériences dans ce domaine. Aux États-Unis par exemple, à la VOA, où j’ai trouvé un de mes grands, Idrissa Fall, les réunions se font de façon virtuelle. Cela permet d’amoindrir les coûts, cela permet aussi d’avoir plus de traçabilité du travail... Il faut aussi renforcer la qualité des contenus. C’est également un des défis majeurs pour tous les médias.
Le constat dans les télévisions est qu’il y a très peu d’émissions en français. Est-ce que ce n’est pas problématique ?
Je pense que c’est une bonne chose de faire davantage de place au wolof, parce que c’est une langue parlée par tous les Sénégalais ; c’est une langue de compréhension des Sénégalais ; c’est une langue d’unité nationale. Que l’on soit Al Pulaar, Sérère, Njaago ou Diola, on comprend tous le wolof qui nous unit, qui nous permet de nous parler et de nous comprendre.
D’ailleurs Tiken Jah Fakoly l’a dit : ‘’Heureusement qu’au Sénégal, ils ont le wolof qui leur permet de se parler et de se comprendre.’’ Mais le français doit aussi avoir sa place, parce que c’est la langue qui nous permet de parler au monde. Nous devons même développer des émissions en anglais. Nous, on en a à iRadio. Tous les dimanches, on fait la synthèse de l’actu de la semaine en anglais pour nous faire comprendre par nos frères gambiens, les autres Anglophones qui sont là également. On doit développer davantage ces formats. Comme disait l’autre, c’est enracinement et ouverture. Mais la langue wolof a permis de décoloniser l’information. Si aujourd’hui, les chaînes étrangères ne peuvent pas avoir une certaine audience dans notre pays, c’est parce que le wolof a permis de démocratiser l’information, de la faire comprendre. Le seul problème avec le wolof, c’est qu’on n’a pas parfois la même exigence. Souvent, c’est la porte d’entrée de tout le monde. Il suffit d’avoir un bon niveau de langue, de parler bien et on vous recrute, alors que sur le plan professionnel, vous avez des lacunes. Je pense que les écoles doivent intégrer cet aspect dans leurs cursus.
Avec les nouvelles autorités, il y a eu trop de contentieux, notamment quand ils étaient dans l’opposition. Pensez-vous que les relations peuvent se normaliser ?
Non, je ne vois pas de problème particulier. Ils viennent d’arriver, ils viennent de faire à peine un mois. Il faut leur donner du temps et on avisera. Au début, il est normal qu’ils veuillent faire l’état des lieux. Je pense qu’ils ont l’obligation de travailler avec tous les Sénégalais, y compris les médias. En tant que Sénégalais, nous ne sommes pas obligés d’avoir les mêmes points de vue, mais chacun doit pouvoir faire son travail dans le respect de l’autre.
Pour la presse, elle doit continuer de travailler, aller chercher les niches d’argent là où elles sont, ne pas dépendre de l’État. Et les journalistes eux-mêmes doivent s’adapter à la mentalité digitale. C’est devenu important. ‘’Mediapart’’ est un exemple. ‘’Midi libre’’, qui est aujourd’hui exclusivement sur Internet est un exemple. Nous devons imiter ce qui se fait de mieux dans le monde.