NETTALI.COM - Selon des informations d'"EnQuête", un grand chamboulement serait en vue dans le secteur de la magistrature. Il pourrait se tenir avant la Journée de concertation sur la réforme de la magistrature, dont la date proposée est le 28 mai.
Diomaye avait donné le ton dès sa prise de fonction, en annulant les derniers actes de Macky Sall portant nomination du premier président de la Cour suprême et de la présidente de la Chambre d’accusation financière du Pool judiciaire financier à la Cour d’appel de Dakar.
Selon les informations d”’EnQuête”, le président de la République aurait mis en branle la machine pour faire le grand nettoyage dans le secteur judiciaire.
Dans ce contexte, tous les esprits se sont tournés vers le sort de certains magistrats comme Abdou Karim Diop, procureur de la République près le tribunal de grande instance hors classe de Dakar depuis février 2023. À ce titre, il a été au cœur de toutes les affaires judiciaires ayant valu à Ousmane Sonko sa condamnation : affaire Mame Mbaye Niang, affaire Adji Sarr ainsi que les nombreuses affaires impliquant des responsables et militants du Pastef.
Dans l’affaire Ousmane Sonko, mécontent de la décision qui était rendue en première instance et qui permettait à Sonko de rester dans la course à la Présidentielle, il interjette appel et finit par obtenir la tête du leader politique, finalement condamné à une peine de six mois privative d’éligibilité. C’est d’ailleurs pour cette raison que le Conseil constitutionnel avait rejeté sa candidature à la Présidentielle. “Il est à 90 % sur le départ”, confient nos sources. Lesquelles s’interrogent également sur l’avenir d’Ibrahima Bakhoum à la tête du parquet général.
De l’avis de nos interlocuteurs, un vaste mouvement est en tout cas attendu, spécialement au niveau du parquet de Dakar où le nouveau régime serait tenté de placer ses hommes.
Il faut souligner que pour les magistrats du parquet, il n’y a pas de grands obstacles en ce qui concerne leurs affectations. Aux termes de l’article 7 alinéa 3 de la loi 2017-10 portant statut des magistrats, “ils peu-vent être affectés sans avancement par l’autorité de nomination d’une juridiction à une autre, s’ils en font la demande ou d’office, dans l’intérêt du service, après avis du Conseil supérieur de la magistrature”.
Il en va autrement pour les magistrats du siège qui, en principe, sont inamovibles, c’est-à-dire ne peuvent être affectés sans leur consentement (article 6 alinéa 1er). L’alinéa 2 de la même disposition précise : “En dehors des sanctions disciplinaires du premier degré, ils (les magistrats du siège) ne peuvent recevoir une affectation nouvelle, même par voie d’avancement, sans leur consente- ment préalable, sous réserve des dis- positions des articles 90 et suivants de la présente loi organique.”
Justice ou règlement de comptes ?
L’article 6 alinéa 3 apporte cependant quelques exceptions, notamment pour nécessité de service. “Lorsque les nécessités du service l’exigent, les magistrats du siège peuvent être provisoirement déplacés par l’autorité de nomination, après avis conforme et motivé du Conseil supérieur de la magistrature spécifiant lesdites nécessités de service ainsi que la durée du déplacement”. Cette durée, ajoute le texte, ne peut en aucun cas excéder trois ans.
Ces garanties vont-elles suffire pour maintenir à leurs postes des juges comme Amady Diouf, premier président de la Cour d’appel de Dakar, anciennement procureur de la République près le tribunal de grande instance hors classe de Dakar et qui a eu pas mal de contentieux avec les tenants actuels du régime ?
Il est également fortement attendu le nom du futur premier président de la Cour suprême, après la révocation, par Bassirou Diomaye Diakhar Faye, du décret de son prédécesseur portant nomination du juge Abdoulaye Ndiaye audit poste.
Ils sont nombreux, en tout cas, dans le secteur judiciaire, à craindre des représailles contre certains magistrats qui, directement ou indirectement, ont eu à jouer un rôle dans la “purge” contre le Pastef.
Il faut noter que malgré la garantie à eux accordée par la loi sur le statut des magistrats, les juges sont souvent victimes des représailles de l’Exécutif. La lutte contre ces abus a d’ailleurs été très souvent menée par l’Union des magistrats sénégalais. Alors président de l’organisation, Souleymane Téliko confiait dans une interview accordée à “EnQuête” : “La garantie essentielle de l’indépendance, qui se trouve être le principe d’inamovibilité, est complètement vidée de sa substance. Ce principe est, en effet, souvent contourné par le recours à deux notions : les nécessités de service et l’intérim.”
Pour être effective, renchérissait- il, “l’indépendance doit être garantie de manière à ce que le juge soit assuré de pouvoir exercer son office en son âme et conscience, sans s’exposer à des mesures de représailles de la part de l’Exécutif ou d’un quelconque autre pouvoir”.
Le nouveau pouvoir respectera- t-il le principe de l’inamovibilité des juges ?
Selon l’ancien président de l’UMS, dans l’esprit de l’article 6 du statut des magistrats, “le recours à la notion de nécessité de service doit évidemment être exceptionnel”. “Or, dans la pratique, c’est plutôt la règle”. “Ce recours systématique à la notion de ‘nécessité de service’ ins- talle les juges dans une situation très précaire et vide le principe d’inamovibilité de son objet”, dénonçait le magistrat qui fustigeait avec la même fermeté le recours à l’intérim. “... Dans la pratique, bon nombre de juges qui occupent pourtant des emplois correspondant à leur grade, sont nommés en qualité d’intérimaires. Ce qui revient à les priver du bénéfice de l’inamovibilité. Finalement, la combinaison de ces deux pratiques fait qu’à quelques exceptions près, les juges peuvent être déplacés avec la même facilité que n’importe quel magistrat du ministère public. Certains sont déplacés au bout de quelques mois d’exercice, d’autres sont affectés du siège au parquet sans aucune explication. Bref, c’est l’aléa et la précarité qui règnent en maître, excluant toute possibilité de se tracer un plan de carrière”.
C’était bien avant l’affaire Ngor Diop, ancien président du tribunal d’instance de Podor, affecté de force à Thiès par l’Exécutif sans son consentement, simplement parce qu’il avait opposé un niet catégorique à des responsables du régime d’alors qui faisaient des pressions sur lui dans une affaire impliquant un dignitaire de la zone. Avec le soutien de l’UMS, le juge Diop avait porté l’affaire devant la Cour suprême pour violation notamment du principe d’inamovibilité et avait pu obtenir gain de cause. Une décision qui peut servir de bouclier aux juges qui seraient affectés sans leur consente- ment par les nouveaux hommes forts de Dakar.
La jurisprudence Ngor Diop, bouclier pour Amady Diouf et Cie
Ce débat intervient dans un contexte où les nouvelles autorités prévoient de tenir la Journée de concertation sur la réforme de la magistrature. Des concertations de trop, selon de nombreux observateurs qui renvoient le régime aux conclusions issues des concertations de 2018, d’une part, avec le Cadre de concertation sur la modernisation de la justice présidée par le professeur Isaac Yankhoba Ndiaye, d’autre part, avec les conclaves de l’Union des magistrats sénégalais. Tous deux avaient préconisé la transparence dans la gestion de la carrière des magistrats, avec des critères objectifs. Les magistrats n’ont d’ailleurs jamais manqué de donner en exemple les enseignants qui sont parvenus à mettre en place un système de “gestion démocratique de la carrière”.
Dans la pratique et conformément aux dispositions de la loi, à son article 8, c’est le ministre de la Justice qui propose aux postes de nomination selon des critères qui ne sont pas définis à l’avance et qui ne peuvent donc être discutés en conseil. “Dans de telles conditions, regrettait Téliko dans notre interview en date de 2018, les membres du CSM qui, par- fois, n’ont même pas le temps de discuter le bien-fondé des propositions de nomination ne peuvent jouer le rôle d’écran protecteur que l’on est en droit d’attendre d’eux”.
Théoricien de la rupture, le nouveau régime est en tout cas très attendu sur ces questions de transparence dans la gestion de la carrière des magistrats. “Car c’est elle qui garantit l’équité dans la gestion du personnel. De plus, elle favorise le culte du mérite et de l’excellence, l’épanouissement professionnel, de même qu’elle constitue un facteur de performance des tribunaux. Son importance tient également au fait que la gestion de la carrière est un aspect fondamental de l’indépendance de la justice. Quand, dans un pays, l’Exécutif parvient à s’assurer le contrôle direct de la carrière des juges, dites-vous bien qu’il contrôle indirectement le fonctionnement de la justice”, disait Souleymane Téliko.
Rappelons que la journée de concertation est prévue le 28 mai prochain. Mais, à ce jour, les acteurs attendent encore les termes de référence