NETTALI.COM - Le duo Diomaye-Sonko semble vouloir inaugurer une nouvelle mode de gouvernance basée sur la proximité et la recherche permanente d’aller sur terrain. Néanmoins, cette omniprésence sur le terrain peut aussi avoir un effet boomerang si les résultats tardent à se matérialiser, entraînant l’émergence d’une image de gouvernement inefficace.

C’est une méthode de management qui peut surprendre. Le duo Sonko-Diomaye, pendant ses premières semaines de gouvernance, a opté pour le contact direct avec la base et le terrain, délaissant les bureaux feutrés du palais présidentiel et du petit palais. Le week-end deu 25-26 mai, le Premier ministre a arpenté les allées de la Foire internationale de l'agriculture et des ressources animales (FIARA). Il avait aussi effectué des visites surprises au bâtiment administratif. Lors de ce déplacement, selon plusieurs sources, le Premier ministre Ousmane Sonko s’est rendu sur place pour évaluer la situation avant d'interroger l’entrepreneur Bamba Ndiaye sur le coût de réhabilitation du bâtiment, les avenants associés au projet et l’origine de l’incendie qui a dévasté une partie de l’édifice. L’ex-maire de Ziguinchor a également effectué, dit-on, une visite sur- prise dans un établissement hospitalier local.

De son côté, Bassirou Diomaye Faye, le chef de l’État, n’a pas hésité à se rendre sur le terrain, dans la zone de Mbour 4. À la suite de cette visite, le nouveau chef de l’État a décidé de suspendre les opérations dans cette zone, en plus de l’arrêt des travaux sur le littoral. Sans oublier les déplacements auprès des différentes familles religieuses et la série de visite d’amitié et de travail dans les pays de la sous-région ouest- africaine.

Pour Amadou Moctar ANN, chercheur en science politique, l'approche de gouvernance prônée par le tandem Diomaye-Sonko semble effectivement marquer une rupture avec les méthodes des régimes précédents. "Cette stratégie, que certains opposants au nouveau régime pourraient qualifier de “populiste”, n'est pas nouvelle en soi. Elle a souvent été utilisée par des mouvements politiques cherchant à se distinguer d'une classe dirigeante perçue comme élitiste. À titre d'exemple, on peut citer le Premier ministre Narendra Modi du Bharatiya Janata Party, au pouvoir en Inde depuis 2014, ou encore le président tunisien Kaïs Saïed. Leurs visites inopinées dans les structures de l'État et leur représentation en tant qu’”hommes du peuple” leur confèrent une certaine légitimité auprès d'une partie de la population", affirme-t-il.

Le duo Sonko-Diomaye semble vouloir instaurer une nouvelle forme de gouvernance basée sur une proximité permanente avec le terrain, dans le but d’afficher un certain dynamisme et l’idée de mouvement dans leurs programmes de réformes.

Ce mode de gouvernance semble suivre les traces de l’ancien président du Conseil, Mamadou Dia, connu pour sa présence fréquente dans les allées du bâtiment administratif et à côté des fonctionnaires de l’État. Un symbolisme qui se veut également une rupture avec une gouvernance de Macky Sall jugée trop élitiste. Malgré les initiatives de conseil des ministres décentralisés ou des tournées économiques, le régime précédent n’a jamais réussi à effacer cette image de pouvoir éloigné des préoccupations des Sénégalais.

Cette volonté de proximité vise également à mettre la pression sur les services administratifs, qui ont souvent tendance à se protéger en présentant des rapports très optimistes sur l’état réel des projets et programmes publics.

Dans cette optique, le duo Sonko- Diomaye entend renforcer cette politique avec les ministres multipliant les déplacements sur le terrain. Ainsi, on a pu voir récemment les ministres Balla Moussa Fofana (Collectivités territoriales), Mabouba Diagne (Agriculture et Élevage) et Daouda Ngom (Environnement) effectuer des visites pour évaluer la situation dans leur domaine de compétence. Ce week-end, les ministres Birame Diop, Moustapha Guirrasy, Daouda Ngom, et Birame Souleye Diop, ainsi que le directeur général de la SOMISEN, Ngagne Demba Touré, ont visité les sites d’exploitation de la FALÉMA et de Sansamba situés dans le département de Kédougou.

Le nouveau régime entend ainsi se donner une image de gouvernement en mouvement, proche des difficultés des Sénégalais.

Les risques d’un effet boomerang, en cas de non obtention de résultats

Néanmoins, ce choix de proximité peut également avoir un effet boomerang si les résultats tardent à se concrétiser sur le terrain. En effet, cette omniprésence des nouveaux dirigeants peut rapidement aboutir à un renversement d'image et projeter celle d’une gouvernance inefficace. Par ailleurs, qu’en est-il de l’efficacité de cette mesure au regard des réformes attendues par les populations ? Pour Amadou Fall, directeur de publication du magazine la Gazette, cette présence sur le terrain des ministres peut garantir une certaine efficacité dans la prise de décision ministérielle, mais ne doit pas faire oublier le travail d’information nécessaire à la bonne conduite de l’action gouvernementale.

"Au vu des attentes des populations, un ministre ne peut plus se contenter de rester dans son bureau pour essayer de comprendre les réa- lités locales. Néanmoins, chaque ministre doit être proactif dans la col- lecte d'informations et avoir un contrôle total sur son domaine de compétences. Il doit faire preuve de perspicacité et de vigilance dans sa collaboration avec les chefs de village et les représentants de l'État (préfets et gouverneurs) pour obtenir des informations fiables sur l'évolution de la situation de son domaine de compétence, dans le but de mieux orienter l'action gouvernementale", déclare le journaliste, ajoutant que l'idée de rupture et de correction des errements du régime précédent laisse peu de marge de manœuvre au nouveau gouvernement, qui doit mettre en œuvre des politiques efficientes.

Ainsi, cette stratégie comporte des risques, comme le souligne Amadou Moctar ANN. "L'expérience de ce style de gouvernance montre que l'enthousiasme initial peut rapidement se transformer en désillusion si les promesses ne se concrétisent pas. L'image de gouvernants inefficaces peut alors s'installer durablement, comme ce fut le cas pour le président vénézuélien Hugo Chavez dans ses dernières années au pouvoir. Pour éviter cet écueil, un équilibre doit être trouvé entre la proximité de terrain indispensable et la mise en œuvre effective de réformes structurelles. Une communication transparente sur les délais d'exécution et les difficultés rencontrées est également importante pour maintenir la confiance des populations", conclut-il.