NETTALI.COM - Alors que Dakar brandit la renégociation des accords de pêche qui doivent arriver à expiration au mois de novembre, Bruxelles menace d’interdire au Sénégal d’exporter ses produits halieutiques vers le marché européen.

La coïncidence est troublante. Depuis quelques jours, avec l’avènement des nouvelles autorités au pouvoir, les relations entre le Sénégal et l’Union européenne dans le domaine de la pêche, font l’objet de nombreuses controverses. Plusieurs fois, le besoin de renégocier les contrats de pêche avec l’UE a été agité par le nouveau régime. La question était d’ailleurs au menu des discussions lors de la visite du président du Conseil européen Charles Michel au Sénégal.

Dans la foulée de ses déclarations relatives au besoin de renégociation des accords de pêche, le ministère en charge du secteur avait pris la décision de publier la liste des navires autorisés à pêcher dans les eaux sous juridiction sénégalaise par l’ancien régime.

C’est donc dans ce contexte que tombe la mesure de la Commission européenne donnant un carton jaune synonyme d’avertissement au Sénégal. “A ce stade, la décision n'entraîne pas encore de mesures affectant les échanges. Le ‘carton jaune’ offre au Sénégal la possibilité de réagir et de prendre des mesures pour régulariser la situation dans un délai raisonnable”, calme la commission qui ne tarde pas à prévenir dans ce qui, pour beaucoup, sonne comme des menaces.

Cependant, prévient-elle, en cas de non- respect prolongé et continu, les pays peuvent finalement être confrontés à une procédure d'identification (‘carton rouge’) qui entraîne des sanctions, comme, par exemple, l'interdiction d'exporter leurs produits de la pêche vers le marché de l'UE”.

Par cette décision, l’Union européenne enjoint au Sénégal “d'intensifier les actions dans la lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN)”. La décision fait suite, selon le communiqué, à “plusieurs années de carences et de manque de coopération” de la part du Sénégal. “La décision de la commission se fonde sur de graves lacunes détectées au cours des dernières années dans le système que le pays a mis en place pour se conformer à ses obligations internationales en tant qu'État du pavillon, du port, côtier ou du marché”, lit-on dans le document.

Parmi les présumées “déficiences identifiées dans les systèmes de suivi, de contrôle et de surveillance du Sénégal”, il y a “les navires battant pavillon du Sénégal et opérant dans les eaux hors de la juridiction du pays ainsi que dans les contrôles effectués sur les navires de pêche étrangers au port de Dakar”.

En outre, constate-t-on pour le déplorer, “des exportations illégales du Sénégal vers le marché de l'UE”. Autant de griefs qui, selon le communiqué de la commission, “portent atteinte à la fiabilité du système de traçabilité sur lequel repose la certification de la légalité des produits de la pêche. Enfin, le Sénégal n'a jusqu'à présent pas démontré une volonté suffisante de coopérer avec la commission dans la lutte contre la pêche INN”.

Interrogations sur les motivations réelles de l’Union européenne

Il faut noter que cette mesure tombe alors que l’accord entre l’UE et le Sénégal arrive à terme au mois de novembre 2024 et une volonté forte de repartir sur de nouvelles bases.

Ce qui pousse beaucoup d’observateurs à s’interroger sur les motivations réelles de l’Union européenne.

Juriste-chercheur à l’Ucad et responsable dans une entreprise du secteur, Ousmane Coulibaly trouve étonnante et contradictoire la mesure européenne. “C’est une mesure que j’apprends avec vous et je suis vraiment surpris”, lance-t-il d’emblée. Selon l’expert, “on peut sérieusement envisager une corrélation avec la volonté affichée par le nouveau régime”.

C’est une décision qui me pose problème, dans la mesure où les conventions que nous avons avec l’UE, prévoient certes des montants qui sont dérisoires, il faut le préciser, mais en retour, l’UE s’engage aussi à aider le Sénégal dans la surveillance de ses côtes. S’il y a donc des insuffisances à ce niveau, il est de leur devoir d’aider à les pallier. Au lieu de le faire, elle menace de prendre des sanctions. Je pense que c’est un peu contradictoire”, renchérit M. Coulibaly.

Relativement aux accusations formulées contre le Sénégal dans le domaine de la pêche illicite non déclarée, non réglementée, il convient de dire que nos pays pourront difficilement se conformer à la réglementation INN, pour cause de manque de moyens. “Certes, on peut parler d’un manque de volonté quelque part, mais il y a surtout un manque de moyens. Cette réglementation suppose non seulement des infrastructures adéquates, mais aussi une bonne surveillance de nos côtes pour s’assurer que tous les navires qui y pêchent remplissent les règles. Nos pays n’ont pas ces moyens”.

Revenant sur les menaces de carton rouge synonyme d’interdiction d’accès au marché européen, principale destination du poisson sénégalais, Ousmane Coulibaly préfère voir les choses du bon côté. “D’abord, il faut préciser que nous avons du poisson de qualité, dont ils ont besoin. Je ne pense pas qu’ils vont se passer de ce poisson qui vient du Sénégal, que c’est juste pour faire pression. Maintenant, si jamais cela arrive aussi, cela pourrait permettre de faciliter l’accès au produit aux Sénégalais. Il faut donc relativiser. Pour l’excédent, envisager d’explorer d’autres marchés, notamment asia- tiques et de la sous-région”.

Selon la réglementation européenne, “un navire de pêche est notamment présumé prati- quer la pêche INN s'il est démontré qu'il se livre à des activités en violation des mesures de conservation et de gestion applicables dans la zone de pêche concernée. Cela inclut, par exemple, la pêche sans licence valable dans une zone fermée ou pendant une période de fermeture, ou l'utilisation d'un engin interdit ainsi que le non-respect des obligations de déclaration ou l'entrave au travail des inspecteurs”.

À ce jour, indique le site de la commission, 94 pays tiers ont notifié à la Commission européenne qu'ils disposaient des instruments juridiques nécessaires et des structures administratives appropriées pour la certification des captures des navires battant leur pavillon et la commission veille sur la conformité aux obligations internationales. “... Lorsque la commission dispose d'éléments prouvant qu'un pays tiers ne coopère pas pleinement à la lutte contre la pêche INN et ne respecte pas ses obligations internationales dans ce domaine, elle adresse une notification sur la possibilité d'être recensé en tant que pays non coopérant. Par cette première étape du processus, connue sous le nom de ‘carton jaune’, la commission avertit le pays du risque d'être recensé en tant que pays non coopérant dans le cadre de la lutte contre la pêche INN. Le carton jaune entame un dialogue formel dans le cadre duquel la commission soutient le pays tiers dans ses travaux visant à résoudre toutes les questions préoccupantes. Dans la plupart des cas, ce dialogue est productif et la préidentification peut être levée”.