NETTALI.COM - Une opposition aux abonnés absents face à un pouvoir qui déroule sans soucis C’est le scénario auquel on assiste depuis que le tandem Diomaye-Sonko a pris le pouvoir. Cela fait deux mois.
La raillerie est tenace sur les réseaux sociaux. C’est presque un jeu auquel se plaisent les affidés du tandem Diomaye-Sonko. Ils cherchent l’opposition comme une aiguille dans une botte de foin. «Où est l’opposition ? Sortez-vous opposer, manifester, brûler des pneus», raillent-ils. Après deux mois de gestion, le régime en place déroule à son aise. L’opposition est au tapis. Aux yeux des patriotes, il n'existe, aujourd'hui, aucune offre politique crédible, alternative. Ni en homme ou en femme, ni en parti ou en mouvement, ni en projet ou en programme. La nouvelle opposition ressemble à un boxeur groggy qui a du mal à se relever. Rien en face du pouvoir. Se dessinent ainsi les contours d'un champ politique dépourvu d'oppositions organisées, structurées et efficaces.
A part quelques communiqués de l’Alliance pour la république (Apr) qui ne disent pas grand-chose, une déclaration de Thierno Alassane Sall, président de la République des valeurs, qui est sorti de sa période d'observation pour s'exprimer sur l'affectation du Général Souleymane Kandé en Inde, l’opposition est dans un profond mutisme, il n’y a rien pour mettre la pression aux nouveaux dirigeants. Certains partis n’ont plus pipé mot depuis que les résultats de l’élection Présidentielle du 24 mars 2024 ont été publiés. Ils se sont repliés sur eux-mêmes laissant le champ libre au pouvoir.
« Ce qui s’est passé, c’est un séisme politique»
Une attitude que Alassane Ndao, Docteur en Sciences politiques, Maître de Conférences titulaire à l’Université Gaston Berger (Ugb) de Saint-Louis, analyse sous deux angles.
D’abord, il lie ce mutisme aux résultats de l’élection présidentielle du 24 mars dernier, qui ont sonné pour certains partis, selon sa vision, comme un séisme politique. Il dit : «On avait très tôt dit que les lignes politiques avaient tendance à se recentrer et former ce qu’on peut appeler une bipolarisation à l’extrême du jeu politique, malgré la pléthore de partis, malgré la pléthore de candidats. Il a toujours existé deux formes d’électorat, un électorat ‘’système’’ qui est représenté et incarné par la coalition présidentielle sortante Benno bokk yaakaar (Bby) avec son candidat Amadou Ba et l’électorat ‘’anti système’’ qui était incarné par le Pastef, la plus grande force politique dans l’opposition, mais surtout par l’aura, le leadership et la popularité de Ousmane Sonko. Les résultats de l’élection n’ont fait qu’entériner cette hypothèse d’une bipolarisation du jeu politique, à telle enseigne que toutes les forces politiques intermédiaires qui pouvaient être des forces alternatives, des voies alternatives ont été écrasées. Ce qui s’est passé, c’est un séisme politique.»
Un énorme coup pour certains partis qui peinent à se relever pour s’opposer. Dr Ndao : «Les gens ne se rendent pas compte de l’ampleur de ce séisme, mais à part le Pastef et Bby, tous les autres candidats qui étaient censés être issus de coalitions assez représentatives, de partis politiques traditionnels classiques, tous n’ont pas obtenu 5% de l’électorat. Ils étaient même très loin des 5%. Ils sont entre 0,1% et 1%. C’est un choc politique pour ces formations. Elles sont restées groggy, KO debout et pour beaucoup, ça sonne quelque part comme le début de la retraite politique. Donc, il ne faut pas compter sur ces formations politiques comme Rewmi, Taxawu Sénégal, le Grand parti et les autres. Ces partis n’ont pas l’ancrage sociologique, la représentativité politique pour s’opposer de façon qualitative et de façon décisive face au nouveau pouvoir pastéfien. Ils sont écartés d’office.»
«Il faut s’attendre à une forme de domination du Pastef dans le jeu politique sénégalais et pour quelques années encore»
Taxawu Sénégal et le Rewmi sont passés sous les radars depuis qu’ils ont sombré dans les urnes, il fallait donc compter sur Bby. Mais l’ancienne coalition au pouvoir présente aussi des limites. Dr Ndao : «En face, il ne reste que Bby, mais on sait qu’elle a bâti toute sa stratégie de mobilisation politique autour du clientélisme. C’est sa capacité à fidéliser une clientèle basée sur une logique de redistribution des biens de l’Etat. Quand les partis au pouvoir de ce genre perdent l’élection, fondamentalement, ils perdent leur clientèle politique et c’est ce qui va arriver à Bby qui va se disloquer, d’abord au sens large de la coalition, mais aussi au sein de la locomotive qu’est l’Apr. C’est évident, ils n’ont plus les moyens de l’Etat. Il y aussi l’arme dissuasive des audits politiques que le Pastef a lancés à tout-va et qui fait que beaucoup de responsables politiques hésitent à mobiliser leur base. Ils sont craintifs, ils ne savent pas ce que l’avenir va leur réserver. C’est flou, c’est confus et c’est ce qui explique le désert depuis deux mois dans le camp de l’opposition.» Il y a toujours, selon lui, ceux qu’on appelle en Sciences politiques des ‘’Big men’’, c’est-à-dire des hommes d’affaires, surtout des patrons de presse, qui sont en même temps engagés dans l’espace politique qui prennent le relais quelque part et de temps en temps, quelques activistes de l’Apr, mais qui s’y prennent très mal face à ce régime. «Il faut s’attendre à une forme de domination du Pastef dans le jeu politique sénégalais et pour quelques années encore, parce qu’il s’est passé une véritable révolution sociale qui a impacté l’évolution du système politique sénégalais et cela ne va pas être remis en cause rapidement. C’est quelque chose qui est sédimentée et qui est fortement ancré et ça va être très compliqué à faire bouger.»
Docteur en Sciences politiques, Enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger (Ugb), Dr Moussa Diaw a fait presque le même constat. Il s’en explique : «Cette attitude de l’opposition s'explique par le fait que nous sommes encore dans cette période d'état de grâce depuis l'élection de Diomaye et la nomination de Sonko comme premier ministre. Pour l'instant l'opposition n'a pas de marge de manœuvre car l'opinion publique reste favorable aux nouveaux dirigeants qui bénéficient de l'élan du changement et la tolérance, en attendant des mesures concrètes par rapport aux promesses électorales, relativement à l'allègement des prix de produits de premières nécessités.» Selon lui, l’opposition ne peut agir autrement. «Pour l'instant, l'opposition doit prendre son mal en patience en agissant dans le sens de la réorganisation politique et des options pour des actions génératrices de dividendes politiques. La précipitation serait une erreur, d'autant que les citoyens n'ont pas encore oublié leur gouvernance calamiteuse. La discrétion et le sens de la mesure me semblent être la meilleure méthode dans ce cas de figure où l'opposition ne parvient pas à trouver ses marques au lendemain d'une défaite déstabilisatrice.»
S’opposer à Pastef n’est pas une mince affaire. Les «troupes» de Ousmane Sonko ont cette force de faire face à toute attaque par une virulence parfois sans commune mesure. Une attitude qui pourrait faire réfléchir à deux fois l’opposition avant d’ouvrir des fronts contre eux. Dr Diaw : «Oui, effectivement, il y a cette crainte de recevoir les invectives des militants pastef, prêts à en découdre avec toutes formes d'opposition, d'autant plus que celle-ci manque maintenant de toute protection qui lui permettait de maîtriser l'espace politique.»
Dr Ndao croit le contraire. «Non, je ne le pense pas. C'est trop léger pour expliquer le silence de ces formations qui jouent. Le propre d'un opposant, c'est la critique. Il y va même de sa survie. Elles sont considérablement affaiblies par l'élection présidentielle. La nature a horreur du vide, dans quelques années, on va assister à l’émergence de nouvelles figures comme du reste Pastef avait émergé entre 2018 et 2019. Il ne faut jamais désespérer de cela. Une démocratie a besoin d’une opposition forte, crédible et représentative et pour le moment, il n’y en a pas», dit Dr Ndao.