NETTALI.COM - Pour une sortie politique, celle qu’a livré Ousmane Sonko, le patron du Pastef, dimanche, ressemblait plus à une sorte de meeting improvisé, sans réel fil conducteur qu’à une conférence. Un théâtre à ciel ouvert digne des lieux qui ont abrité son meeting. On a eu affaire à une prestation comme il les aime, du niveau du terrain Acapes où il haranguait les foules, faisait le buzz et se plaisait à proférer des menaces. Sans doute que ce haut lieu de la contestation qui abritait les rassemblements du Pastef, où se mêlaient diatribes, attaques contre le régime et les incessantes menaces du leader du Pastef, lui manquait.
C’est à croire même que le Premier ministre Ousmane Sonko ne réalise pas qu’il n’est plus opposant. Et l’on ne peut manquer de se demander s’il a vraiment pris la pleine mesure de sa nouvelle fonction ? Ibou Fall, le chroniqueur de I-Radio croit savoir que non. Il pense plutôt qu’Ousmane Sonko devrait être habité par la mystique de la république qui consiste à vivre ce qui fonde une nation et que tout le monde partage. Lorsqu’on n’est pas habité par cette mystique, fait remarquer Fall, tous les actes qu’on va poser, ne vont pas être en accord avec les besoins du pays. Cette mystique implique, selon lui, de la sérénité et le respect des chartes de la république. Celui-ci estime d’ailleurs que ce qui est confié à un gouvernement, c’est la chose publique. Celui qui ignore cela et n’en fait qu’à sa tête, conduira inéluctablement le pays à la dérive. Selon le chroniqueur qui poursuit, Ousmane Sonko doit se rendre compte qu’il parle à 18 millions de Sénégalais, aux générations futures, au nom de 64 ans de république, de siècles d’histoire, de notre histoire, de notre culture et de notre identité.
Opposant, Ousmane Sonko l’est redevenu, le temps de ce dimanche, où il a semblé avoir envie de se payer du journaliste et de l’opposant. Car difficile de comprendre qu’il ait pu dire que le ministre de la Justice lui a transféré une vidéo dans une affaire pendante devant la justice. Une manière de confirmer que tout ce qu’il abhorrait dans la justice, y est toujours présent, dans un gouvernement qu’il dirige de surcroit. Un homme d’état ne devrait pas tout étaler sur la place publique. Sans doute a-t-il voulu montrer qu’il laissait la justice faire son travail ? Sauf qu’il est passé à côté de son message en dévoilant ce qui ne devait pas l’être. Résultat des courses, le militant de Pastef qui s’en est pris au procureur de la république, a été libéré. La question est dès lors de savoir quel message a été délivré dans l’esprit de beaucoup de Sénégalais ?
De même l’on peut se demander sur quel compte, il met ses menaces contre les opposants ? Difficile d’ailleurs de savoir à quel moment, il parle en tant que Premier ministre ou en tant que Président de parti. Le mélange des genres est à son comble. Comme lorsqu’il fait savoir que le rapport du Prodac épinglant le ministre Mame Mbaye Niang que l’on cachait, est sur la table de son bureau et qu’il promet de « transmettre le dossier à la justice ». Il ne s’en arrête pas là puisqu’il précise qu’une « cinquantaine d’audits » avaient été lancés dans des secteurs aussi divers que la pêche, les infrastructures et le plan national de lutte contre les inondations. Le comble, c’est lorsqu’il parle de balayer des magistrats supposément « corrompus », des « auteurs de malversations financières » qui « ne seront pas pardonnés » et « la nouvelle opposition ». Est-il juge ?
Celui-là qui s’est toujours plaint d’avoir été persécuté, ses véhicules cassés, sa vie privée violée… devrait-il se comporter de cette manière vis-à-vis des nouveaux opposants ? Sur les réseaux sociaux, ceux-là pas encore sortis de leur surprise et torpeur, sont raillés et appelés à sortir de leur trou pour s’opposer. Cela fait certainement partie du jeu de la politique politicienne, mais de là à brandir des menaces, il y a une limite qu’un Premier ministre ne devrait pas franchir.
La presse : une cible de choix
C’est surtout avec la presse que les attaques sont plus sévères. Chercherait-il à la discréditer qu’il en parle avec des propos peu amènes ? Le chef du gouvernement qu’il est doit se rendre à l’évidence que Madiambal et Bougane Guèye Dany, dont les directeurs de publications respectifs de leurs journaux (Mouhamed Guèye et Pape Moussa Traoré) ont été récemment convoqués à la police et à la gendarmerie, dans l’affaire du général Kandé, ne représentent pas la presse qui compte en son sein des milliers de journalistes dont ceux de l’audiovisuel, de la presse écrite et de la presse en ligne qu’on ne voit jamais. Se lancer donc dans la généralisation en parlant de la presse ou des journalistes, n’a pas beaucoup d’intérêt et encore moins de sens. Il s’agit tout au plus de trouver les voies et moyens de faire payer ceux qui doivent des impôts, mais sans tambour ni trompettes. Le bruit ne fait pas de bien, c’est sûr. Les jeter en pâture n’arrange nullement la situation. Mais une question à se poser, c’est de se demander si le paiement de cotisations sociales est réellement du ressort d’un Premier ministre ?
A la vérité, la presse n’est pas la seule entité de l’Etat à devoir payer l’impôt. La question du paiement de l’impôt des entreprises, est en réalité une problématique importante qui mérite un traitement plus sérieux grâce à une approche globale. La prendre par le bout de la lorgnette, montre simplement une volonté de la stigmatiser et de la discréditer. L’imposition est un sujet dont le traitement nécessite une approche plus globale qui passe par l’augmentation de l’assiette fiscale. Beaucoup de sénégalais échappent à l’impôt parmi lesquels ceux qui peuplent le vaste secteur informel. Pourquoi donc cibler des journalistes ? Chercherait-on à les rendre plus dociles ? La clef du problème pour la presse se trouverait sans doute dans un programme d’aide à payer plutôt que de chercher à en accabler certains. Surtout que la presse assume une mission de service public qui participe à l’éveil et l’éducation des populations dans une logique d’approfondissement de la démocratie.
La récente polémique médiatique sur l’effacement de la dette fiscale par le président Macky Sall, a montré des Sénégalais divisés sur la question, non sans une certaine hostilité contre la presse. Ce que beaucoup semblent ignorer, est que le gouvernement aide plusieurs autres secteurs tels que l’agriculture, l’électricité, le transport public, etc. par le biais de la subvention ou grâce aux exonérations liées à la création d’entreprises. La suite a d’ailleurs montré que cet effacement fiscal n’est toujours pas appliqué.
Pourquoi devrait-on être hostile à un soutien de la presse dont on voit bien que le modèle économique n’est pas viable, dans un environnement où son utilité dans les quêtes démocratiques est connue et reconnue. Dans quel pays au monde, un journal papier coûte-t-il encore 100 Francs ? Dans un pays où les journaux sont empruntés, les PDF partagés sans scrupules, et la publicité réservée aux médias publics, comment la presse peut-elle s’en sortir ?
Au-delà de la question du modèle économique qui n’est pas viable, la question de la responsabilité de certains journalistes ne peut être occultée. Le fait pour un journaliste de reprendre un article par exemple, ne le dédouane point du recoupement de l’information avant de la diffuser, car alors une fausse information le rend tout aussi coupable que l’auteur de l’article qui peut être passible d’une diffusion de fausses nouvelles. Le travail du journaliste se résume à un triptyque : collecter, vérifier suivant une certaine technique, et diffuser. Voilà ce qu’on attend de lui. Ce qui veut dire qu’il ne doit pas tomber dans la facilité.
Le journaliste, de par la responsabilité qui lui incombe, ne doit d’ailleurs pas pouvoir tout relayer. Il doit davantage s’évertuer à recouper ses informations. Le recoupement est en effet le seul gage d’un travail professionnel, sans oublier cette précaution à prendre en mesurant les conséquences de sa production. L’on note de plus en plus une tendance chez certains à ne point transpirer dans la recherche d’informations et à se sédentariser devenant de fait, de simples caisses de résonance.
Ousmane Sonko doit donc se rendre à l’évidence qu’il ne peut sortir vainqueur d’une guerre contre la presse dont le travail n’est ni d’être pro ou contre un homme politique. Le travail de la presse consiste à s’attacher à la religion des faits. Il n y a guère longtemps il disait se suffire à ses réseaux sociaux. Pourquoi dans ce cas, les informations de la presse devrait-il le déranger ? Difficile en effet de museler la presse à cause du pluralisme qui rend cela impossible. Peut-on contrôler tous les titres ? Peut-on museler tous les journalistes ? Cela relève de la mission impossible.
Dans une VAR qui circule, c’est le même Ousmane Sonko qui disait qu’il faut respecter la ligne éditoriale des journaux et ne pas applaudir lorsqu’une information est favorable et s’en prendre à un support lorsque l’info devient défavorable. Il avait même rajouté que si ce n’était pas la presse, il ne serait pas là au point de pouvoir s’adresser aux Sénégalais, rappelant qu’il fut un temps, il n’existait que la presse publique (RTS, radio Sénégal, etc).
Qu’est ce qui a donc bien pu se passer entre temps pour qu’il soit si hostile à la presse ? Ousmane Sonko doit surtout se remémorer qu’il n y a guère longtemps, des groupes de presse, des journalistes et des chroniqueurs l’ont défendu en foulant au pied les normes et la déontologie du métier de journaliste. Et pourtant ceux-là qui prétextait de défendre des principes alors qu’ils étaient partisans, n’auraient jamais dû faire ce qu’ils ont fait. Ne serait-ce que par égard pour ceux-là, ils ne devraient avoir cette posture-là.
Comment peut-il se comporter de cette manière-là, après avoir dit tout cela ? Comme lorsqu’il fait savoir récemment avec ses salves contre la presse, qu’il n’a pas de compte à lui rendre, estimant que les seuls qu’il doit rendre des comptes, sont les citoyens. Comme si les journalistes n’étaient pas des citoyens ! Ne passe-t-il pas par les médias pour donner de l’information ? Pour être plus cohérent avec sa posture hostile contre les médias, il devrait se montrer conséquent et n’utiliser que les réseaux sociaux et en plus cesser de passer sur la RTS où travaillent des journalistes qui lui offrent de la visibilité tous les jours.
Qu’Ousmane Sonko, en tant que président de parti, cherche à rameuter et à mobiliser ses troupes, est tout à fait compréhensible. Qu’il le fasse de la manière dont il l’a fait, laisse toutefois pantois.
Alioune Tine d’Africa Jom Center qu’on ne peut pas soupçonner d’être hostile au Pastef, a d’ailleurs récemment fait remarquer que, de son point de vue, « après avoir assisté à ce qu’on peut appeler un État agressif, nous n’avons pas l’impression d’avoir tourné la page de l’État-partisan. On a l’impression qu’il se met en place petit à petit un État pastefien ».
De même, l’allié du Pastef Guy Marius que l’on pensait à un moment pouvoir être un plan B de Pastef, a fait savoir que le système est toujours là malgré le changement de régime.
Même son de cloche pour Birahim Seck du Forum civil qui rappelle au Premier ministre que son rôle est d'apporter des solutions durables pour fortifier la presse et la consolider, au lieu que cette dernière se sente menacée. Il lui a d’ailleurs fait remarquer au passage qu’il n’est « plus dans l'opposition mais dans la position d'apporter des réponses rassurantes et démocratiques».
Tout cela pour dire que dans ces critiques formulées à l’endroit du chef du parti Pastef, tout n’est pas faux, même si opérer un changement ne peut en aucun cas se faire aussi rapidement. Le gouvernement novice en matière de gestion de l’Etat, aura évidemment le temps de commettre des erreurs. Il fera des castings et changera des hommes. Mais comment serait-il possible pour la presse de ne pas prévenir certaines maladresses ou erreurs ? Les critiques constructives aident, c’est sûr et ce n’est guère le rôle de la presse que d’être dans une posture de complaisance. Empêcher une presse de critiquer, relève de la chimère, la bâillonner est mission impossible. Le pluralisme est un frein à cela.
Comme il semble vouloir le faire croire, personne ne demande à Ousmane Sonko de transformer le pays en deux mois. Qui aurait cette capacité ? Personne. Pourtant la Var qui circule sur les réseaux sociaux, à l’heure du rappel des discours tenus autrefois, a montré un Ousmane Sonko qui, s’adressant à la jeunesse, disait lors d’une de ses conférences publiques, pouvoir réaliser cette prouesse en 2024. Aujourd’hui, il semble penser le contraire puisqu’il a affirmé ne pas pouvoir le faire durant un mandat.
En tant que chef d’un gouvernement chargé d’exécuter la politique du pays, il doit se rendre à l’évidence que ce gouvernement œuvre pour tous les Sénégalais, de quelque bord que ce soit et de quelque corporation que ce soit. Vouloir donc en stigmatiser certains et en épargner d’autres, n’est nullement une bonne posture.
Mais pour qui sait bien décrypter, ce meeting ressemblait plus à de la diversion voire un contrefeu pour cacher la forêt de promesses non encore tenues. Mais est ce à ce point si grave qu’il ne puisse pas expliquer les raisons de certaines mesures certainement pas possible au regard qui a changé ? Expliquer ne permet-il pas de faire comprendre ?
L’on attendait à la vérité d’Ousmane Sonko qu’il dissertât sur la vision 2050 évoquée, au moment où le Programme Sénégal Emergent dont l’horizon est fixé à 2035, ne sera plus d’actualité à partir d’un certain moment. Mais en lieu et place, ce sont de vraies fausses questions qui ont été agitées. Ibou Fall, le chroniqueur d’iradio, n’y est pas allé par quatre Chemins pour dire qu’Ousmane Sonko, en tant que chef du gouvernement, ne sait pas pourquoi il a été nommé. Il pense même qu’il est en train de prendre ses marques en essayant le costume de Premier ministre, concluant au passage qu’il est même décousu. Pire, il pense que son temps est tellement précieux qu’il ne devrait être consacré à des polémiques stériles.