NETTALI.COM - Au commencement comme à la fin, il a été au centre des décisions quand il fallait convaincre l’ancien Président Abdoulaye Wade d’approuver le contrat avec Hunt. Ancien Directeur général de Petrosen, Serigne Mboup revient dans cet entretien sur les péripéties du contrat signé en 2004 avec la société Hunt Oil Company, qui a conduit aujourd’hui à la production du premier baril de Sangomar. Blanchi sous le harnais des métiers du pétrole, Mboup prévient sur les risques d’une renégociation des contrats et conseille aux nouvelles autorités de s’appuyer sur les ressources pétrolières pour réussir leur programme de souveraineté économique pour le Sénégal.   

Après une vingtaine d’années de prospection et de recherche, le Sénégal a aujourd’hui démarré sa production de pétrole. Vous étiez là depuis les signatures des contrats en tant que Directeur de Petrosen, qu’est-ce qui a été déterminant sur le choix du contractant d’alors ?

Je me réjouis pour tout le Sénégal et le peuple que le "first oil" qui a été un rêve se soit réalisé. La deuxième chose, c’est rendre hommage à tous les huit Directeurs de Petrosen, avec tous les collaborateurs qui ont chacun contribué à ce projet avec une foi inébranlable. Le troisième élément, c’est magnifié la vision de nos dirigeants. La Sar (Société africaine de raffinage) avait été créée dès 1961 par le Président Léopold Sédar Senghor, cette vision a donné la souveraineté énergétique au Sénégal et a mené à la création de Petrosen. La recherche a commencé à partir d’un petit bureau au ministère de l’Industrie jusqu’en 1981 où le Président Diouf a créé une société anonyme. La réforme de 1998 du Code pétrolier a été audacieuse. Le Président Abdoulaye Wade a fait aboutir le processus. Derrière eux, ce sont autant de forces collectives qui ont travaillé à l’aboutissement de ce projet.

Pourquoi Hunt Oil Company à l’époque ? 

Parce qu’il faut se rappeler qu’il n’y avait pratiquement aucune compagnie pétrolière au Sénégal. On venait de changer la banque de données qui était numérisée, un investissement qui a permis d’offrir aux compagnies pétrolières les mêmes conditions technologiques que dans leurs pays. Nous avons aussi organisé à Dakar un salon déterminant du pétrole et du gaz présidé par Me Abdoulaye Wade. C’est à la suite de ce salon que Hunt a souhaité discuter avec nous, d’où ce contrat.

Les données n’étaient pas à l’époque très encourageantes et pourtant, vous avez décidé avec Hunt de persévérer…

Hunt est une grande compagnie originaire de Dallas aux États-Unis. C’était le contrat sur lequel nous avons passé le plus de temps, cela a duré 6 à 8 mois très difficiles avec plusieurs missions à Dallas, Londres, Paris parce qu’ils avaient un cabinet international. On a donc fait les négociations à Dakar, mais aussi dans tous ces points. Le Code pétrolier a déjà fait l’assistance d’avocats, ces contrats sont associés à la loi pétrolière et nous ne pouvons pas sortir des termes de ce contrat. L’assistance juridique pour Petrosen est donc en amont. Les négociations portaient pour nous essentiellement sur les engagements de travaux, sur les objectifs géologiques, sur les conditions de partage des revenus pétroliers en cas de découverte, sur la réglementation en matière environnementale… Nous avons mis 8 mois à négocier ce contrat et nous nous sommes, à de nombreuses reprises, quittés sur des échecs, quand ils demandaient des choses qu’on ne pouvait pas accepter et finalement, nous sommes tombés d’accord. Je dois féliciter une jeune sénégalaise qui travaillait à l’époque pour ce grand cabinet et n’hésitait jamais à nous glisser des mots en wolof pour nous aider dans nos négociations. Un élan de patriotisme auquel il faut rendre hommage. Le débat qu’on a actuellement sur le pétrole, avait déjà eu lieu en 2004. Des gens sont partis dire au Président Wade qu’il ne fallait pas signer le contrat parce qu’il était mauvais. Le contrat a encore fait deux mois dans le circuit pour être approuvé et finalement Wade nous a fait convoquer par l’intermédiaire de Madické Niang à qui je rends aussi hommage parce qu’il était un ministre qui écoutait ses techniciens. Lors de cet entretien, nous avions réussi à le convaincre en lui mettant devant les yeux un tableau comparatif des Codes pétroliers des principaux pays producteurs africains.

Ce débat sur les parts du Sénégal est toujours d’actualité. Le Sénégal est-il lésé ?

Non, le Sénégal n’est pas lésé. Je voudrais lancer un appel pour que les sujets de cette nature ne soient pas laissés à n’importe qui. Qu’on le laisse à ceux qui connaissent les rouages de ce métier. Les contrats sont publics, les 18% sont les parts de Petrosen. Le Code pétrolier nous disait à l’époque qu’on pouvait aller de 10 à 20%, cela faisait partie des négociations parce que nous n’avions pas accepté d’aller en dessous de 18%. On n’avait jamais fait de forage en eau profonde au Sénégal, le risque était grand. Nous avons trois sources de revenus (la part de Petrosen, la production par tranche qui est de 20% pour l’État et les taxes et impôts). C’est aussi simple que cela, mais ces montants importent peu, au début, puisqu’il faut rembourser pour les frais d’investissements qui sont des centaines de millions de dollars, cela fait des milliards en FCfa à rembourser.

En additionnant la part propre de l’État, celle de Petrosen et les taxes, le Sénégal est à plus de 60% sur le pétrole, mais n’est-ce pas fausser le calcul que de prendre en compte les impôts ?

Non parce que s’il n’y a pas de taxes, il n’y a pas d’économie, mais vous m’emmenez dans le vrai débat qui est la Sar qui importe des devises par centaines de milliards. Notre balance commerciale est déficitaire, avec le pétrole, elle peut basculer avec la production, la Sar va acheter en Cfa. C’est le premier impact sur la souveraineté du pays, il vaut même plus que le pourcentage du Sénégal sur les contrats. Ensuite, nous allons faire de la transformation. Avec le pétrole, nous avons la possibilité de la souveraineté agricole à laquelle tend le Président Diomaye. Nous allons pouvoir faire de l’urée à partir de notre pétrole, pour le Sénégal et aussi pour toute la sous-région et même bien au-delà. Il y a aussi que qui parle d’agriculture, parle de création d’emplois. Nous avons assuré l’énergie dans notre pays, on en exporte là où d’autres pays la rationnent. Quand vous avez l’énergie, les routes, la stabilité, une monnaie convertible… Le Sénégal se positionne pour être champion de l’industrialisation et de la transformation. Donc, l’impact du pétrole va bien au-delà des contrats, sans compter le renforcement de la position géopolitique et géostratégique du Sénégal.

Mais l’État a-t-il les moyens de surveiller la production ?

Le challenge de l’administration du Président Faye, c’est de surveiller, monitorer, contrôler la production. De contrôler, surveiller, monitorer tous les contrats y afférents. Il y a aujourd’hui des systèmes d’information, de gestion à temps réel qui permettent de surveiller tout le processus, qui permettent même sur son téléphone portable de connaître la production à temps réel. Les discours que j’ai entendus des nouvelles autorités, me confortent dans cette idée.

Le Sénégal a-t-il les ressources humaines pour superviser les données réelles ?

Dans toutes les négociations, les contrats ont été conduits par des Sénégalais. Les ingénieurs de Petrosen ont été de toutes les campagnes. Après les découvertes en 2014, 2016, les autorités d’alors avaient réunis les experts pétroliers de la diaspora, nous avons l’Institut national du pétrole et du gaz (Inpg) en plus d’autres écoles, on continue à envoyer quelques Sénégalais à l’Institut français du pétrole… Oui, on a les ressources.

Le nouveau Gouvernement a promis de renégocier les contrats pétroliers. Une bonne ou une mauvaise nouvelle ?

Un contrat peut toujours se renégocier dans l’absolu, on peut même décider de le résilier, mais il faut voir en face ce qui va se passer. Cela dépend de ce qu’on veut et de ce qu’on recherche. Je ne pense pas que chercher des conflits soit l’objectif de l’administration du Président Diomaye et de son Gouvernement. Les contrats sont bons.

Si on devait renégocier le contrat sur quels points il faut le faire et quels autres il ne faut pas toucher ? 

Cela dépend de ce que l’on recherche quand on prend la décision de renégocier. Quand on décide de renégocier, c’est qu’on a un objectif. Maintenant si l’objectif est de renégocier pour se retrouver tous en arbitrage, ça m’étonnerait. Aujourd’hui, l’objectif de nos nouvelles autorités dans le développement de nos ressources pétrolière et gazière devrait être de les adapter plus à la vision économique et politique qu’elles ont pour le Sénégal. On doit se focaliser sur la transformation de ces ressources et éviter de les exporter en tant que matière brute, il faut les transformer localement. Aujourd’hui, le Sénégal a les fondamentaux pour accueillir l’investissement économique et s’il faut renégocier, ça doit être sur la transformation des produits. Il faut industrialiser notre pays et donner à notre agriculture deux choses essentielles – des engrais de qualité et l’accès à l’eau grâce à l’énergie – et continuer le financement de notre développement. Si on réalise tout cela, le Sénégal peut être l’Émirat de demain, mais pour y arriver, il faut une paix des cœurs, une réconciliation, une force commune.

Quand exactement, le Sénégalais lambda pourra sentir les retombées du pétrole ? 

Il le sentira dès qu’on commence la production parce que tout l’argent n’est pas destiné au remboursement des coûts pétroliers. Dans le contrat de recherche et de partage de production, les coûts pétroliers (Cost Oil) occupent 75% et les 25% sont destinés au profit pétrolier (Profil Oil). Aujourd’hui, dès que la Sar est en mesure de recevoir assez de brut (environ 45 000 barils par jour), on pourra le sentir sur les prix.

C’est-à-dire que ça va se répercuter sur les prix à la pompe ? 

Oui, c’est un des effets et c’est important, mais ça nécessitera une volonté politique. Premièrement, la Sar achètera mieux et en franc Cfa. Notre balance commerciale va basculer et on sera peut-être excédentaire dès les premières productions. On n’importera plus de produits pétroliers qui pèsent lourds sur notre balance commerciale. Deuxièmement, ce qui va changer si nous lançons la construction des projets pour transformer tout le brut de Sangomar et le gaz ici, c’est qu’on pourra fabriquer de l’urée et l’exporter dans la sous-région et ailleurs. Le Sénégal pourra se positionner comme le pourvoyeur d’urée au moins de la Cedeao. Pour ces projets, ce n’est pas une affaire d’un an ou deux ans. La troisième chose, c’est qu’au moins 10% des revenus qui sont estimés à 700 milliards FCFA par an au début de la production reviennent au Sénégal. Et à long terme, il y a le fonds intergénérationnel. Nous avons la transition énergétique, les startups, les énergies propres, etc., il y a autant de projets dans lesquels il est possible que le public s’associe au privé pour repositionner encore l’Etat. Dans l’industrie pétrolière, il y a beaucoup de choses qu’on peut faire.

Mais, dans l’immédiat et à court terme, qu’est-ce que le Sénégal va gagner avec le démarrage de la production de Sangomar ? 

Il y a l’impact sur l’approvisionnement du pays qui nous permettra de sécuriser les besoins de la Sar qui seront plus maîtrisés en termes de coûts et d’incertitude. Il y a les revenus qui iront au Trésor public et l’apport au contenu local aussi avec des milliers d’emplois. C’est de l’économie et de la fiscalité pour le pays. Sur le plan géopolitique aussi le Sénégal va gagner des points.

Ces ressources ont été une malédiction ailleurs, le Sénégal est-il à l’abri d’une malédiction du pétrole ?

Les germes qui ont entraîné la malédiction du pétrole dans certains pays ont été évités au Sénégal. Aujourd’hui, par la législation et par l’environnement, le Sénégal a pris les devants en mettant en avant la transparence dans la gestion des ressources pétrolières. Tous les contrats sont sur Internet et le Sénégal est une grande démocratie avec une presse libre, une société civile qui bouge et des organes de contrôle qui fonctionnent. Nous avons la loi sur les revenus qui permet de façon transparente à notre Assemblée nationale, la représentante du peuple, de savoir ce qui est produit et de veiller à la répartition à travers la loi de finances. Donc, le Sénégal est à l’abri total d’une malédiction du pétrole et la volonté politique est là. Je n’ai pas de doute que nous devons et nous pouvons, quand nous avons des ressources comme celles-là avec les problèmes géopolitiques, géostratégiques, géosécuritaires, un peuple, un but et une foi. Nous devons être unis tous ensemble pour veiller à ce que nos ressources servent au plus grand nombre et qu’on ne soit pas dans le débat inutile et les problèmes de politique politicienne.

Vous étiez ancien Directeur général de la Sar. Aujourd’hui, est-ce que la Sar a les capacités de raffiner les besoins du pays ? 

La Sar a été créée en 1961 et a fait plusieurs opérations d’augmentation de capacité. Quand j’étais à la Direction générale, on avait lancé le projet de passer de 1,2 million à 1,5 million de tonnes, soit une augmentation de 30%, mais surtout avec deux objectifs majeurs. Le premier c’était de moderniser l’ensemble des unités qui sont devenues neuves beaucoup plus efficientes et le début horaire était devenu beaucoup plus important. Ensuite, la transformation des unités pour les caler sur les spécifications du brut de Sangomar. Aujourd’hui, la Sar produit 50% des besoins nationaux et le reste est importé. On avait aussi lancé un deuxième projet appelé la Sar2.0 qui devait être une unité de raffinage de 2 millions de tonnes, qui allait régler les deux problèmes. L’un pour satisfaire les besoins nationaux et l’autre pour nous projeter à l’horizon des carburants propres attendus en 2030. Mais, il y a d’autres projets pensés par des privés pour que l’excédent de gaz et de pétrole ne soit pas exporté que tout soit raffiné ici. Il y a de la place pour d’autres raffineries pour l’export surtout pour la pétrochimie.

L'OBSERVATEUR