NETTALI.COM - Après avoir saisi les autorités judiciaires sénégalaises, les Indiens "fuient" le Sénégal, laissant derrière eux mines, machines, manganèses et les deux pauvres ingénieurs arrêtés puis placés sous contrôle judiciaire.

Une affaire rocambolesque qui est loin de livrer tous ses secrets. Arrêtés, il y a quelques jours par les éléments du commissaire Adramé Sarr de la Division des investigations criminelles, les deux ingénieurs indiens Shubhashish Samantha et Surajit Chandra ont bénéficié, avant-hier, d’une mesure de placement sous contrôle judiciaire accordée par le juge du 2e cabinet.

Mais cette affaire des plus ténébreuses est loin de connaitre son épilogue. Et le plus curieux dans cette affaire, c’est que les protagonistes au cœur de cette guerre du manganèse, à savoir, d’une part Shopra Randeep (associé et plaignant), d’autre part Shetane Abhemane, Atul et Cie (représentants de l’autre associé, la société Falcon) semblent tous avoir fui le territoire.

Dans un post publié il y a quelques jours sur sa page Facebook, Me Khoureissi Ba, cité parmi les défenseurs des deux ingénieurs arrêtés, faisait constater avec beaucoup de sarcasme : "Il est bon de préciser que cette personne (Shopra) s’est réfugiée à Bombay, certainement plus sûre que Dakar, où la météo a dû changer à ce point que lui et ses amis ont jugé plus prudent de donner procuration à des sous-fifres pour déposer plainte à son nom. Comme quoi, il est bon d’avoir des amis sûrs." Nous apprenons qu’il dit plutôt se trouver à Dubap sous le prétexte d’être victime de menaces de mort de la part de l’autre partie.

Selon nos sources, les représentants de cette dernière ont également quitté le Sénégal pour aller en Inde en pleine tempête judiciaire.

Sans ses propriétaires qui ont fui laissant sur place les machines, l’on s’interroge sur le sort de la mine située en brousse à Kidira (frontière entre le Sénégal et le Mali), dans une zone sans habitation, à 80 km de la ville de Tambacounda. Depuis le 18 mai dernier, l’exploitation a été suspendue par les autorités compétentes. Une situation qui suscite d’autant plus d’interrogations que nous sommes dans une zone très sensible avec la présence des terroristes non loin des frontières sénégalaises dans la partie malienne.

Réagissant récemment à l’affectation supposée du général Kandé à New Delhi, l’ancien ministre Yoro Dia disait : "Général Kandé, qui cumule ses fonctions de chef d’État-major de l’armée de terre avec celle de chef des forces spéciales, est aussi au cœur du dispositif de la guerre de l’Est avec des groupes djihadistes et terroristes à 60 km de Kidira, comme le prouve la dernière attaque de Melgua au Mali."

Cela dit, jusque-là, rien dans l’enquête ne permet d’établir un quelconque lien entre la mine de Kéniéba et les extrémistes du Mali, comme le laissait supposer le sieur Chopra dans sa plainte. Maitre Khoureissi Ba rapportait que le plaignant Shopra arguait vouloir "protéger l’État du Sénégal privé des impôts, taxes et redevances par la sortie frauduleuse de 530 000 t de manganèse vers le Mali voisin depuis novembre 2023".

Ce qu’il trouvait pour le moins ubuesque et assez drôle. "Dans sa double plainte au parquet et à la Dic, précisait la robe noire, elle (la partie plaignante) ajoute, pince-sans-rire, que le plus inadmissible est que ces tonnes de manganèse volées au pauvre peuple du Sénégal sont revendues en catimini au-delà de la frontière malienne aux groupes terroristes maliens qui font la loi en ce lieu !". Ce qui est faux, selon des sources qui se sont confiées à “EnQuête”.

En fait, rapportent des sources proches de Falcon, celle-ci dispose d’une mine du côté malien, tout comme elle est aussi associée majoritaire dans la mine de Kéniéba. Nos interlocuteurs ajoutent que c’est plutôt les substances extraites du Mali qui sont acheminées vers le Sénégal, pour être exportées à partir du Port autonome de Dakar. Ce qui semble plausible, car il nous revient qu’une bonne quantité du manganèse en question a été saisie par l’autorité judiciaire à Dakar.

Au total, ce n’est pas moins de 140 conteneurs de 40 pieds remplis de manganèse qui ont été saisis par les enquêteurs.

Il faut noter qu’il y a eu beaucoup de fantasmes sur ce gisement, depuis l’éclatement de ce dossier. Poussant Me Khoureissi Ba à se scandaliser en ces termes : “À la Dic, deux sociétés indiennes se battent à mort pour le manganèse et le plomb sénégalais que l’une exploite tranquillement depuis 2013 à Kéniéba, dans la zone de Kidira, ce dans l’ignorance totale de l’écrasante majorité du peuple sénégalais, en toute tranquillité, mais avec la bénédiction du pouvoir sortant.”

“EnQuête” a essayé d’en savoir un peu plus sur la mine dont effectivement la première autorisation a été donnée à la société GH Mining en 2012, plus précisément le 1er février 2012. L’autorisation a été renouvelée en janvier 2015, pour une deuxième fois le 20 mars 2018 et enfin en 2022.

Interpellé, cette source proche de L’ITIE précise : "Dans le rapport de 2022, il est indiqué que GH Mining a produit 31 092 t de manganèse. Cette quantité de production a été déclarée par la Direction générale des Mines (DGM)", indique notre interlocuteur qui précise toutefois que la société, qui dispose d’un permis d’exploitation d’une petite mine, est “hors périmètre de ITIE”. À ce titre, “elle fait une déclaration unilatérale”.

Relativement à la valeur de cette production, la source précise que la société “n’a malheureusement pas communiqué la valeur estimée à la commercialisation” dans le rapport 2022.

Dans le même sillage, l’ITIE nous apprend que “GH Mining fait partie des 10 entreprises minières qui ont signé des protocoles avec l’État du Sénégal, dans le cadre de la mise en œuvre du Fonds d’appui au développement local (FADL) en application du Code minier 2016. Ces protocoles définissent les engage- ments de la société ainsi que les modalités de répartition des fonds”.

C’est donc le contrôle de ces richesses qui se trouve au cœur de la guerre entre Indiens. Chaque partie revendiquant plus de droits que l’autre sur ladite mine.

Les deux ingénieurs arrêtés, des victimes collatérales

Après avoir créé sa société unipersonnelle à responsabilité personnelle GH Mining en novembre 2011, le sieur Shopra a réussi à décrocher le permis d’exploitation sur le péri- mètre Sud-Kéniéba et Madina Foulbé en février 2012. Après plusieurs renouvellements (2015, 2018 et 2012), Shopra, selon des sources proches de Falcon, aurait cédé 75 % des parts de la société à un autre Indien du nom d’Atul Nijhawan. Ce serait Atul qui a cédé le 21 mars 2024 ses 75 % à Falcon, société indienne basée à Dubaï, sur la base d’une autorisation du ministre des Mines signée le 14 mars. Une cession dont l’une des principales motivations était “le démarrage de l’activité d’un minerai de manganèse”.

Dans la foulée, un protocole d’accord a été signé entre le nouvel actionnaire Falcon et M. Shopra qui, selon cette source proche de Falcon, ne détient plus que 25 % de la mine. Il ajoute : “De plus, il n’est même pas gérant. C’est de manière illégale qu’il agit au nom et pour le compte de la société qui a un autre gérant du nom de Shetane Abhemane.” La source précise d’ailleurs que Falcon compte porter plainte contre Shopra.

Selon l’autre partie qui prétend avoir cédé les 75 % à Falcon, cette dernière était engagée à rémunérer Shopra en nature, à hauteur de 21 % de la production ainsi qu’une partie mini- male de 5 000 t par jour. C’est parce qu’il n’a pas reçu ces 5 000 t que Shopra aurait porté plainte et aurait inventé toutes ces histoires.

À en croire des sources proches du dossier, les ingénieurs qui ne seraient que des employés dans l’entreprise, qui exécutaient des ordres donnés par le “véritable gérant” de l’entreprise (Chetane selon les statuts modifiés qui ont été présentés), sont juste des victimes collatérales dans cette guerre entre géants indiens.