NETTALI.COM - Invité à prendre part au Sommet co-organisé par l’Alliance pour le vaccin Gavi et l’Union africaine (UA) à Paris, aux côtés de plusieurs autres homologues africains, dont le Rwandais Paul Kagame et le Ghanéen Nana Akufo-Addo, Bassirou Diomaye Faye, le président sénégalais, effectue sa première visite officielle hors du continent africain le mercredi 19 juin. Cette visite pourrait marquer un tournant significatif dans les relations entre le Sénégal et la France, avec la volonté d’inaugurer une nouvelle ère de coopération entre les deux pays.
Aujourd’hui le 20 juin, le nouveau président sénégalais Bassirou Diomaye Faye foulera pour la première fois le perron du palais de l’Élysée, à l’occasion de sa visite dans l’Hexagone. Au-delà des enjeux économiques, politiques et des liens historiques entre la France et le Sénégal, cette visite sera scrutée par les observateurs qui examineront tout signe de rupture des relations franco-sénégalaises.
En effet, lors de sa première prise de parole après son élection le 24 mars dernier, Bassirou Diomaye Faye avait exprimé sa volonté de refondre les liens avec les partenaires du Sénégal pour des coopérations gagnant-gagnant. Pour beaucoup d’observateurs, cette nouvelle doctrine visait implicitement la France, souvent perçue au Sénégal comme une force prédatrice accaparant diverses positions dominantes au cœur de l’économie sénégalaise dans les domaines du transport (BRT, TER, autoroute à péage), des télécommunications (Orange et Free), de la distribution (Auchan, Carrefour et Casino) et de l’eau (Suez).
Malgré la percée de la Chine et de la Turquie dans l’économie sénégalaise, la France demeure le premier investisseur et bailleur de l'aide publique au développement au Sénégal. Faye, élu sur une promesse de rupture avec l'ancien système, doit naviguer avec prudence dans cette relation complexe.
La volonté du nouveau régime sénégalais de renégocier les accords de pêche et les contrats de ressources extractives est perçue par les milieux économiques en France comme une remise en cause de cette présence économique. Cette quête d'un nou- veau rapport gagnant-gagnant néces- site une révision des contrats de coopération avec comme objectif ultime le transfert de technologies ou une plus grande participation du patronat sénégalais dans les projets de partenariat public-privé.
Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko entendent mettre en œuvre l’idée de rupture en mettant en avant le principe du panafricanisme. Dans cette dynamique, le choix d’effectuer sa première visite en France plus de deux mois après son élection apparaît comme un signe de rupture. Ainsi, le fait d’inviter Jean-Luc Mélenchon, l’un des opposants les plus irréductibles à Macron, lors d’une conférence publique, est particulièrement notable.
Le Sénégal face à la dette d'Eiffage et la question des bases militaires françaises
Les deux présidents discuteront certainement des questions relatives à leur partenariat militaire et la dette du Sénégal envers le géant français du BTP Eiffage. Ces discussions seront surveillées de près par les observateurs et une bonne partie de la population sénégalaise, car elles seront primordiales pour l'avenir des relations entre les deux pays. Eiffage, qui gère la concession de l'autoroute à péage entre Dakar et l'aéroport international Blaise Diagne, réclame 150 millions d'euros au Sénégal (près de 100 milliards F CFA) pour les travaux liés à la construction de la ligne du TER mise en service en décembre 2021.
Cette question avait déjà été soulevée lors de la dernière visite du Premier ministre Amadou Ba à Paris, en décembre 2023. Elle sera également abordée lors des discussions avec le président sénégalais, bien que l'Élysée ait déclaré qu'elle ne serait pas un sujet central.
En tout cas, le magazine “Afrique Intelligence” assure que ce point crucial du remboursement des créances dues par Dakar à des opérateurs économiques français, dont le groupe Eiffage, figure dans l’agenda.
Ce dossier est sensible et pourrait affecter les relations économiques bilatérales, si des solutions satisfaisantes ne sont pas trouvées.
La reconfiguration de la présence militaire française au Sénégal
Pour rappel, Jean-Marie Bockel, ancien secrétaire d'État à la Coopération sous Nicolas Sarkozy, a été nommé envoyé personnel du président français pour mener le dialogue avec les pays concernés sur l'avenir de ces bases militaires. Bockel s'est rendu à Abidjan, N'Djamena et Libreville pour discuter des modalités de la reconfiguration de la présence militaire française. Cependant, il n'a pas pu se rendre au Sénégal, en raison de la crise préélectorale causée par le report du scrutin présidentiel.
Le Premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, a réaffirmé, en mai, que la volonté du Sénégal de disposer de lui-même est incompatible avec la présence durable de bases militaires étrangères au Sénégal.
Cependant, il a assuré ne pas remettre en question les accords de défense bilatéraux. L'Élysée a annoncé une réduction drastique des effectifs militaires français en Afrique, avec une centaine de soldats stationnés au Sénégal à l'avenir, contre 300 actuellement.
La question du franc CFA au cœur des échanges
Dans une note en provenance de la présidence, on ne parle pas d’une visite officielle en France. L’audience à l’Élysée apparaît comme un prolongement du Forum mondial pour la souveraineté et l'innovation vaccinales. Cette rencontre de haut niveau marquera le lancement de l'initiative Accélérateur de la production des vaccins en Afrique (AVMA) ainsi que le début de la campagne de reconstitution des fonds de Gavi pour la période 2026-2030.
À la suite de cette rencontre, Bassirou Diomaye Faye a été convié à un déjeuner par son homologue français pour un premier tête-à-tête entre les deux hommes. Même si ce dernier n’avait pas manqué de féliciter Diomaye Faye à la suite de sa victoire à l’élection présidentielle.
Ainsi, lors de cet échange, les questions relatives au maintien du franc CFA, à la présence des éléments français au Sénégal, à la lutte contre le terrorisme et au renforce- ment des liens économiques ne manqueront pas de figurer au menu de cette rencontre. D’autant plus qu’Ousmane Sonko a également jugé la présence des bases étrangères au Sénégal “incompatible” avec la sou- veraineté nationale.
La France a commencé à réduire sa présence en 2023 et ne devrait conserver qu'une centaine de militaires au Sénégal, contre 350 actuellement. En ce qui concerne le main- tien des bases françaises au Sénégal, le gouvernement sénégalais semble avoir choisi le statu quo, en attendant de voir l’évolution des relations entre les deux pays. D’autant que la Fran- ce, qui réduit progressivement sa présence militaire au Sénégal, est un acteur clé de la sécurité régionale, surtout dans un contexte de menace terroriste au Sahel.
La nouvelle administration sénégalaise semble avoir tempéré ses prétentions concernant la sortie du franc CFA. Les nouveaux dirigeants entendent privilégier la monnaie commune de la CEDEAO, qui devrait se faire avec les autres pays de l’espace ouest-africain. Ce n’est finalement qu’après l’échec de cette entreprise que le gouvernement entend battre sa monnaie nationale.
Réactions et perspectives
Cette visite sera scrutée de près par les partisans et les opposants de Faye. Les critiques internes, notamment de la part de figures panafricanistes, voient cette coopération continue avec la France comme une trahison des promesses électorales de souveraineté. Ils espèrent que le chef de l’État saura maintenir une position ferme face aux pressions occidentales, tout en assurant les intérêts économiques et sécuritaires du Sénégal.
Le président Faye doit équilibrer les attentes de ses électeurs avec les réalités pragmatiques de la gouvernance et des relations internationales. Cette première visite officielle en France sera un test important de sa capacité à naviguer dans ces eaux complexes et à forger une nouvelle ère de coopération respectueuse et mutuellement bénéfique.
En conclusion, la rencontre entre Bassirou Diomaye Faye et Emmanuel Macron sera déterminante pour l'avenir des relations franco-sénégalaises. Elle offre une opportunité unique de réaffirmer la souveraineté du Sénégal tout en renforçant les partenariats stratégiques nécessaires pour le développement et la sécurité du pays.
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