NETTALI.COM - Répression tous azimuts, enlèvements et détentions arbitraires, restriction des libertés... Le temps est au durcissement chez les régimes militaires de l’AES, en proie à des crises profondes de légitimité. Une véritable galère pour les défenseurs des droits humains et les médias.

Périra par l’épée qui règne par l’épée. Interpellé sur la situation qui prévaut depuis quelques jours, le président d’Afrikajom Center, Alioune Tine, n’est pas loin de dire la même chose. "Le constat, aujourd’hui est que ce régime d’Ibrahim Traoré est dans de véritables difficultés. Au Burkina Faso, comme au Mali d’ailleurs et au Niger, les militaires sont dans une véritable impasse. L’une des raisons principales qu’ils avaient brandies pour justifier le changement de régime, c’était la dégradation de la situation sécuritaire. Depuis quelque temps, cette situation sécuritaire est extrêmement préoccupante, bien plus préoccupante parfois qu’avant leur arrivée au pouvoir. Et comme on dit, quand on prend le pouvoir par la force, on a toujours cette hantise de la perdre par la force".

Jetant un coup d’œil dans le rétroviseur, M. Tine rappelle également la promesse ferme d’IB, au début de son règne de rendre le pouvoir dans les meilleurs délais aux civils. Aujourd’hui, il n’est non seulement pas dans la logique d’organiser des sélections pour laisser aux Burkinabé le soin de choisir leur dirigeant, mais aussi verse de plus en plus dans le tout répressif pour se maintenir aux affaires. "Quand il venait d'arriver, le capitaine avait dit : ‘Le délai imparti par la CEDEAO est trop long ; nous allons très rapidement faire une élection et rendre le pouvoir aux civils.’ Toutes ces promesses sont restées lettre morte. Et aujourd’hui la situation va de mal en pis sur le plan des droits humains. Nous assistons pratiquement à un massacre perpétré contre certaines communautés, en particulier les Peuls. C’est une situation extrêmement inquiétante", renchérit le défenseur des Droits de l’homme.

“Les régimes militaires sont dans l’impasse”

Contrairement à une certaine information véhiculée par la propagande, la situation va de mal en pis dans le pays, avec des attaques qui deviennent de plus en plus fréquentes, alourdissant davantage le bilan déjà assez lourd. L’une des dernières attaques en date, c’est celle de Mansila qui aurait fait, le 11 juin, une centaine de morts selon plusieurs sources. "Ce qui aurait entamé le moral des troupes, selon des rumeurs distillées sur les réseaux sociaux", poste la BBC sur son site, avant d’ajouter : "Sans un convoi militaire, il n’est pas possible d’arriver dans la ville où les réseaux sont coupés. D’ailleurs, il est pratiquement impossible de communiquer avec les acteurs locaux, nous apprend-on."

C’est dans ce contexte, face au lourd silence du chef de la junte, qu’un obus a atterri dans la cour de la chaine publique le 12 juin, faisant quelques blessés, selon les informations. Depuis, c’est la confusion à Ouagadougou, certains n’hésitant pas à parler de mutinerie dans les casernes, voire de tentative de coup d’État.

Hier, IB est sorti de son mutisme pour calmer un peu le jeu et rassurer les populations. En marge de la réunion hebdomadaire du Conseil des ministres qui, en principe, devait se tenir la veille, il s’est rendu à la télévision publique RTB qui avait reçu l’obus. Parlant d’un incident à propos de l’obus tombé à la RTB, il a invité les Burkinabé à ne pas écouter les médias ennemis qui tentent de véhiculer des fake news. À l’en croire, il n’y a ni mutinerie ni fronde, encore moins de coups d’État. “C’est imaginaire”, peste-t-il. À ceux qui prétendaient qu’il a laissé le poste vacant, il rétorque : "Si le poste est vacant, ils n’ont qu’à venir prendre. Ils n’ont rien compris en fait. Ces gens ont été payés pour mentir."

Une centaine de militaires tués au Burkina, beaucoup de suspicions dans les rangs

Dans tous les cas, la situation qui prévaut dans le pays ne laisse pas indifférentes Amnesty International et la Coalition sénégalaise des défenseurs des droits humains. Les deux organisations envisagent d’organiser un rassemblement pacifique pour protester contre "la répression de la liberté de la presse et de la liberté d’opinion et d’expression" dans le pays. Elles exigent "la libération des défenseurs des droits humains incarcérés ou enrôlés de force dans les Volontaires de la défense de la patrie, parmi lesquels l’avocat Guy Hervé Ham détenu depuis le 24 janvier".

Ce qui se passe au Burkina Faso est un peu symptomatique de la situation globale dans les pays sous domination militaire. Accueillis en sauveurs au début de leur magistère, ces derniers ne sont guère parvenus à faire mieux que les dirigeants élus qu’ils ont renversés. À quelques exceptions près.

Au Mali, même si plusieurs sources constatent des efforts réels dans le contrôle de la partie nord du pays, le mal persiste. Et sur le plan socioéconomique, la situation va de mal en pis. Alioune Tine : "Il y a un échec. Comme pour le Burkina, nous sommes dans une sorte d’impasse dans tous ces pays. Les gens souf- frent non seulement d’un défaut de légitimité, mais ils ne parviennent pas non plus à régler les souffrances des populations. Pour le Mali, des opposants en exil ont même mis en place un gouvernement. Il y a un véri- table problème de légitimité qui se pose."

Alioune Tine : “La CEDEAO est divisée entre pro-russes et pro-occidentaux.”

Face à cette remise en cause de plus en plus forte, les militaires usent et abusent de la stratégie de la terreur. Entre détentions arbitraires, enlèvements de défenseurs des Droits de l’homme, fermeture de médias nationaux et étrangers, les juntes multiplient les abus pour se maintenir aux affaires. Pour Alioune Tine, c’est des dictatures totales qui se mettent en place. "On ose même aller enlever des personnalités de la société civile. C'est une véritable dictature. On l'a enlevé et on l'a emmené au front. Des gens de 70 ans qu'on enlève et qu'on emmène au front.” Et par pur opportunisme politique, ces régimes sont allés se réfugier sous l’aile protectrice de pays peu soucieux du respect des droits humains comme la Russie.

Alioune Tine regrette à ce propos : “Malheureusement, on a réussi à casser les dynamiques d’intégration au sein de la CEDEAO, en acceptant de jouer le jeu des grandes puissances. La CEDEAO est complètement divisée entre ceux que l'on considère comme les pro-occidentaux ou pro- Français et les pro-russes. Cela nuit à la coopération interafricaine. C'est une catastrophe pour la sous- région. Je pense que la CEDEAO devra aussi se remettre en cause, pour une meilleure prise en charge des préoccupations des peuples, en particulier des jeunes."

Parmi ces préoccupations, il y a la question du franc CFA et celle relative aux bases militaires. “La seule chose que je regrette avec les bases militaires, c'est qu'il manque d'alternative au départ des bases françaises