NETTALI.COM - En retrait de la scène publique nationale depuis l’annonce de sa démission du gouvernement, à la veille de la Présidentielle du 24 mars dernier, l’ancien Secrétaire général du Gouvernement, sous le magistère du Président Macky Sall, Abdou Latif Coulibaly, a accordé une interview exclusive parue dans l'édition du journal "Le Témoin", du vendredi 21 juin. L’occasion pour l’ancien journaliste de revenir sur la débâcle du candidat de Benno d'évoquer la gouvernance de Diomaye Faye et du pastef.  

Comment jugez-vous les premiers pas du président Bassirou Diomaye Faye sur la scène internationale ?

Je dirai que, sur la scène internationale, le Sénégal s’est taillé une place diplomatique certaine dont l’envergure dépasse depuis longtemps le gabarit et la taille réelle de notre poids économique. C’est une réalité qui bénéficie aux nouvelles autorités si toutefois ces dernières se montrent à la hauteur pour pouvoir préserver ces acquis indéniables qui ont été construits depuis des décennies par leurs prédécesseurs. Sur la scène internationale, ces nouvelles autorités n’existent pas encore, considéré autrement, sinon que placé sous le parapluie de la diplomatie, celle de l’Etat du Sénégal. Ces autorités doivent maintenant travailler à exister par elles-mêmes, mais aussi et toujours par la diplomatie du Sénégal. Dans son état actuel, cette diplomatie se présente comme une sorte d’objet très fragile ne s’accommodant nullement de rhétoriques conflictuelles ou d’approximations qui lui seraient fortement préjudiciables.

Si on vous demandait de citer les principaux défis auxquels le président Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko sont confrontés, que diriez-vous ?

Ces défis tournent autour d’une bonne organisation de la gouvernance ; la justesse et la mesure des décisions à mettre en œuvre pour lancer leur politique par la construction, la définition d’un cadre théorique et opérationnel de mise en œuvre de nouvelles politiques publiques, qui ne saurait nulle- ment se suffire de slogans, de pétitions de principe faites sur une base idéologoque, aux contours encore assez approximatifs, du point de vue conceptuel. Elles doivent aussi prendre conscience, je crois que c’est déjà fait, à en croire du moins le chef de l’Etat, On peut le croire en relisant certains communiqués du Conseil des ministres dans lesquels le président de la République revient souvent sur cette question.

Pensez-vous, à l’instar de certains acteurs politiques ou observateurs nationaux et internationaux qu’il y ait actuellement un bicéphalisme au sommet de l’Etat sénégalais ?

Nous avons d’autant plus des raisons de nous interroger que le bicéphalisme en développement est certainement voulu et désiré par les deux têtes de l’Exécutif. Seulement, il n’est pas organisé, juridiquement s’entend par des textes clairs. C’est le président de la République élu qui l’a librement consenti. ; Et, lui, Bassirou Diomaye Diakhar Faye, tant que rien ne le gêne dans la pratique et qu’il s’en accommode sans aucun souci, ni orgueil, on peut alors ne pas nourrir trop de craintes. Pour l’instant du moins, disons-nous !

N’êtes-vous pas avis que les discours radicaux des jeunes leaders populaires africains ont une bonne part de responsabilité dans les nombreuses morts de jeunes lors de révoltes populaires ?

Ce ne sont pas que les discours, mais c’est le comportement en totale rupture avec les règles élémentaires et les règles de base de la vie en société qui sont souvent bafoués qui en sont les causes. Ces discours ne sont parfois rien d’autre que de terribles aveux d’impuissance et d’échecs que l’on tente ainsi de dissimuler par des discours enflammés et radicaux. Pour certains, il s’agit de produire des discours pour tenter d’embrigader les masses sous-informées, en vue d’en faire du bétail politique. Pour d’autres dirigeants, il s’agit d’utiliser des techniques de propagande politique pour mystifier les électeurs. Les populistes en action politique peuvent se révéler dangereux pour un peuple.

En quoi les populations peuvent-elles être amenées à avoir des regrets en portant des populistes au pouvoir suprême ?

Instruit par les leçons tirées de l’histoire, en particulier des enseignements tirés de la pratique politique de certains Etats, comme l’Allemagne et l’Italie, à la fin des années 30, jusqu’au milieu des années 40 (39-45), j’ai appris à me méfier des populistes. Je me souviens avoir écrit un article dans lequel j’alertais en attirant l’attention sur un type de communication qui se mettait savamment en branle dans notre pays et qui empruntait beaucoup ses méthodes à la stratégie de mise sous hypnose des peuples. Je disais qu’il y avait matière à réflexion à ce sujet.

Pourquoi aviez-vous cru devoir alerter et dire qu’il y avait matière à réflexion à ce sujet ?

J’alertais d’abord en étant conscient que cette méthode de communication opérait par un travestissement translucide monumental qui partait d’un ou de plusieurs faits réels autour du ou desquels on construit astucieusement une montagne de contrevérités. Aussi, tente-t-on par cette méthode de communication politique d’émerveiller, de séduire, en vue d’embastiller les consciences, en embrigadant les opinions. Par là, la posture de sauveur du peuple affichée opère bien et développe ses pleins effets du fait de l’énormité des choses dites ponctuées d’accusations mensongères et de calomnies n’épargnant personne parmi les dépositaires de l’autorité publique. On joue avec le paroxysme de l’invraisemblable. Comme dans un scénario de film fantastique, on s’amuse avec un désarmant aplomb avec la naïveté, l’ignorance des masses, ainsi que sur la crédulité, supposée ou réelle, d’une opinion publique qui reste encore moyennement formée à la complexité de la gouvernance, à la subtilité de la conduite des affaires publiques. On es- compte produire des effets politiques massifs pour dresser des fanatiques chauffés à blanc qui aideront à renforcer les moyens de la propagande bien élaborée pour embarquer l’opinion publique.

Je pense ici à tout ce que nous dit l’excellent ouvrage publié en 1937 à Paris par Hünenberg, un homme d’Etat et intellectuel allemand. Il a expliqué ce que signifie « la propagande en tant qu’arme en politique ». En Allemagne nazie et en Italie fasciste, c’est bien cette méthode qui aidera à produire les atrocités de la deuxième guerre mondiale. Pour ceux qui l’ont suivie, la conférence à laquelle le Premier ministre avait convié la jeunesse de son parti rappelait par endroits et en des séquences précises certaines clés de la méthode. Un propagandiste de l’époque : « je considère la radio comme le moyen de conditionnement des masses le plus moderne et le plus important ». Apparemment, le PASTEF utilise des codes et méthodes avoisinant beaucoup celles d’il y a un peu plus de 70 ans dans sa volonté d’embarquer les masses.

Aujourd’hui, le discours politique construit par la direction de ce parti et par ses partisans veut faire sonner dans l’oreille de certains citoyens l’idée que le politicien Ousmane Sonko signifie la bonne gouvernance, la transparence et la droiture. Et comme pourrait dire l’autre : « l’Internet est le moyen de conditionnement des masses le plus moderne et le plus important ». Pour saisir le mode opératoire de la propagande de Sonko, il suffit de revisionner le film du dernier épisode projeté lors de sa dernière conférence devant la jeunesse de son parti qui entra en transe quasi hystérique, pour ponctuer chaque parole du chef par des tonnerres d’applaudissements. Cela a bien marché le 24 mars 2024. Pourquoi alors arrêter une méthode qui fonctionne, au grand bonheur du parti et de celui de ses militants ? Ceux-ci en redemandent, à juste raison, d’ailleurs !