NETTALI.COM - La mutinerie du mercredi 19 juin au Camp pénal de Liberté 6, est venue nous rappeler que tout ne tourne pas rond dans notre système carcéral. Une situation qui n’est d’ailleurs pas une première, puisque cette prison a connu une mutinerie, deux ans auparavant, sans compter les incessantes évasions notées.

La prison de Rebeuss a eu sa part de mutineries et d’évasions avec les plus connues, notamment celles orchestrées par la bande tristement célèbre d’Alex et Ino en 1999 et 2001. Des évasions récurrentes, il y en a également eues avec le célèbre Modou Fall, alias Boy Djiné, que d’aucuns ont, à un moment donné, pensé être doté de pouvoirs mystiques. D’où son surnom d’ailleurs. Ces évasions ont eu pour lieu, les prisons de Rebeuss, du Camp pénal, de la Mac de Diourbel et de Ziguinchor.

Mais dans cette affaire de mutinerie qui a occupé l’actualité d’après Tabaski, deux versions s’affrontent. Celle des détenus de la chambre 8 qui ont brandi une fouille considérée comme une atteinte à leur dignité, là où la direction de l'Administration pénitentiaire a elle évoqué un refus de se soumettre à l'appel nominatif, une mesure de sécurité́ pourtant obligatoire.

Les vidéos partagées sur les réseaux sociaux, ont en tout cas montré un tel niveau de chaos et de violence visible à travers ces chambres saccagées, des ventilateurs cassés et des vêtements brûlés dans la cour de la prison, alors que des prisonniers sont blessés à la tête et aux bras.

Plusieurs thèses avaient alors circulé dans la même journée. Il avait d'abord été question de drogue (chanvre indien) trouvée dans des chambres. Une thèse toutefois réfutée par des prisonniers ayant témoigné dans des audios qui ont fuité. Ceux-ci ont en effet  estimé avoir obtempéré, alors que les gardes pénitentiaires sont venus fouiller les gens dans la chambre et ont commencé à piétiner les bagages, créant un véritable chaos, un désordre total.

Des détenus qui, en somme, ne demandaient, si on s’en fie à leurs déclarations, rien d’autres que d’être respectés  et traités “comme des êtres humains », se plaignant au passage des « grenades lacrymogènes jetées dans des chambres fermées avec des prisonniers qui se sont évanouis et d'autres qui se sont blessés »

Bref une situation chaotique. Et les images diffusées par la suite dans les médias, ont montré un nombre impressionnant de téléphones trouvés dans les chambres, du chanvre indien et des liasses d’argent. De quoi se poser des questions sur la provenance de tout ce butin et de leurs conditions d’introduction dans la prison.

L’Observateur du vendredi 21 juin qui a barré à sa une « Téléphones en prison - Enquête sur le modus operandi des détenus », a fait écho de téléphones cachés dans du poulet, de puces de téléphones dans des pommes ainsi que de complicités  de matons dit « charrettes », sans oublier des agressions et évasions coordonnées au téléphone à partir de la prison.

De même « Libération » a relaté dans son journal du même jour deux bénéficiaires de grâces présidentielles qui sont retournés en prison pour meurtre et vol.

Karim Xrum Xakh, en mode analyste de la prison

Invité de l’émission « Infos Matin » du 21 juin 2024 de la TFM, l’activiste Abdou Karim Guèye dit Karim Xrum Xakh, un habitué des prisons, a tenté des explications sur l’effet déclencheur de la mutinerie, l’attribuant à du désespoir et de la déception de ces détenus qui comptaient beaucoup sur les réductions de peines, les grâces et les libérations conditionnelles (après avoir purgé la moitié de leur peine, avec à la clef, une bonne conduite, etc). Une manière de dire que le nombre de 300 graciés par le président de la république, lors de la Tabaski est jugé modique par le rappeur activiste, au regard de ce qui se faisait dans le passé comme sous le règne de Macky Sall avec 3000 graciés d’un coup (pour une population carcérale de 11 547 dans tout le Sénégal avec 4000 pour la seule prison Rebeuss).

L’activiste a aussi pointé du doigt l’inexistence de fouilles qui est à déplorer au camp pénal avec des prisonniers condamnés de longue détention qui purgent 18 ans de prison avec des peines moindres de 7 ans, 10 ans. Une inexistence des fouilles qu’il considère comme une bombe à retardement et qui est la conséquence de trafics de toutes sortes (chanvre indien, téléphones), de « business » avec des détenus qui y font du « business alimentaire » (prisonniers égorgeant des bêtes pour faire de la restauration ou du Tangana), voire qui manipulent beaucoup de liquides (300 000 F).

Abdou Karim Guèye est allé jusqu’à considérer que, quel que soit le niveau d’humanité des gardiens, cela n’aurait jamais dû les empêcher de faire leur travail de manière professionnelle. L’activiste, de conclure que des complicités existent puisque des filtres opérés avec des fourchettes permettent de fouiller la nourriture qui y entre, estimant aussi que ces téléphones ne tombent pas du ciel. Celui-ci a toutefois accusé le ministre de la justice Ousmane Diagne de s’être défilé, n’ayant même rencontré les prisonniers, après avoir annoncé à son départ que la situation était sous contrôle, alors qu’il n’en était rien. L’activiste pense même que les autorités devraient parler avec les prisonniers qui en ont pris au passage pour leur grade, accusés d’être des manipulateurs qui racontent parfois des choses qui n’existent pas.

Un bémol toutefois dans les propos de l’activiste car, en fait de fouilles, une partie de la situation que décrit l’activiste n’est pas tout à fait exacte. En effet pendant la période de la Covid durant laquelle les gardiens de prison étaient confinés dans les prisons, ces derniers qui n’exerçaient pas entièrement leurs prérogatives, avaient leur moral au plus bas. De même, précision de taille, pendant la période 2021-2023 coïncidant avec l’affaire Adji Sarr et Ousmane Sonko-Mame Mbaye Niang et les vagues d’arrestations qui s’en étaient suivies, les prisons étaient bondées et les agents de l’administration en sous-effectif, étaient plutôt occupés par la gestion des flux de prisonniers entrants, que de s’atteler à des fouilles qui pouvaient déclencher des mutineries. Une situation qui a d’ailleurs été exacerbée par l’arrestation de deux gradés de l’administration pénitentiaire sous prétexte qu’ils avaient fait fuiter des informations sur la santé d’Ousmane Sonko (du fait d’une solidarité de corps). De plus les informations de l’activiste tendant à attribuer un effectif de 4000 détenus à la prison de Rebeuss ne sont pas aussi exactes qu’il le dit, la prison de Rebeuss ne comptant que 50 chambres et n’atteignait qu’au maximum 2500 personnes, même pendant les moments de pics qui correspondent aux vacances judiciaires qui ont lieu durant la saison des pluies entre juillet, Août et septembre.

Il est aussi à souligner que contrairement aux 3000 graciés qu’il a annoncés, les grâces accordées par le président Macky en décembre 2022 concernaient seulement 1372 détenus et 822 personnes en avril 2023. Et ces nombres sont les plus élevés de toutes les grâces accordées jusqu’ici.

L’on apprend aussi de sources concordantes et dignes qu’avec cette mutinerie, les prisonniers seraient dans une logique d’équilibre de la terreur, étant au courant qu’avec la nomination du nouveau Directeur de l’administration pénitentiaire,  l’inspecteur Aliou Ciss (soit le premier directeur issu du corps de l’Administration pénitentiaire), la situation va changer et qu’il va forcément s’inscrire dans une logique du tout sécuritaire. Une manière pour les détenus, selon ces mêmes sources, d’anticiper sur les conditions de détention qu’ils ne veulent pas voir corsées.

Tout cela pour dire que des complicités, il y’en a avec des gardiens. Ce qui explique d’ailleurs que les mutineries précitées, ont un point commun, celui d’avoir été orchestré avec l’aide de gardiens.

La réinsertion par la formation et le travail en prison

Mais au-delà de cette mutinerie et de la découverte de téléphones introduites frauduleusement, se posent de manière plus globale, d’autres équations telles que la question de la surpopulation carcérale, les sous effectifs en gardiens, les tarifs exorbitants appliqués dans certaines boutiques de prison et sur les coûts de communication, la nourriture insuffisante, les mauvais traitements etc. Tout ceci montre en réalité que le système carcéral institué depuis l’époque coloniale, n’a jusqu’ici pas apporté la preuve de son efficacité. Du moins, rien d’un point de vue de statistique, ne vient prouver que la criminalité baisse, le nombre de prisonniers dans le temps aussi. Le plus inquiétant est que l’érection de prisons est même devenue une demande sociale en raison de la surpopulation carcérale croissante, mais aussi obéit à une logique pour rapprocher les détenus de leurs familles.

La cartographie des établissements pénitentiaires révèle d’ailleurs une répartition des prisons sur l’ensemble du territoire loin d’être optimale. En effet le Sénégal compte 46 départements pour 37 prisons dont 8 prisons pour la seule région de Dakar. Ce qui veut dire que les disparités entre régions, sont importantes. Thiès, Fatick, Kaolack, Diourbel, Louga, Saint-Louis et Zinguichor comptent 3 prisons dans chaque région, là où Kolda et Tambacounda en comptaient deux (2) chacune ; des régions telles que Kaffrine, Kédougou, Matam et Sédhiou disposent chacune d’un (1) établissement pénitentiaire.

Des prisons qui sont réparties en 4 catégories : des maisons d’arrêts, des maisons d’arrêt et de correction, des camps pénaux et une maison de correction. La seule Maison de Correction (située à Sébikotane) reçoit uniquement des condamnés dont la peine est inférieure à un (01) an. La Maison d’arrêt de Rebeuss et la Maison d’arrêt pour femmes de Liberté 6 reçoivent des détenus provisoires en instance de jugement dont la peine restante à purger n’excède pas 6 mois. Les Maisons d’Arrêt et de Correction (Mac), plus nombreuses au Sénégal, reçoivent en même temps des détenus provisoires et des condamnés dont la peine n’excède pas un (01) an. Le Sénégal compte 2 camps pénaux (Liberté 6 et Koutal) qui reçoivent les condamnés à la réclusion criminelle à temps et à perpétuité et ceux auxquels il reste à subir une peine d’une durée supérieure à un (01) an.

Mais la vraie question qui mérite d’être posée, est de savoir si la prison remplit réellement sa vocation première qui est la réinsertion sociale. Et il semble bien que le principe d’emprisonner doit répondre à une seule logique, celle de faire payer à ces citoyens en conflit avec la loi, leurs dettes vis à vis de la société, de manière à pouvoir la réintégrer, une fois celle-ci acquittée. Une des raisons pour laquelle la politique carcérale telle qu’elle est conduite devrait être revue. Enfermer un prisonnier et le maintenir dans l’oisiveté, n’a pas de sens et encore moins de l’intérêt. L’enfermement 23 h sur 24 ne peut produire que du vice qui a pour noms, trafic en tous genres, rapports contre nature, gangs qui se reconstituent, violence, toxicomanie,  etc.  Ne dit-on pas l’oisiveté est la mère des vices ?

La réinsertion sociale nécessite à la vérité de réapprendre au détenu à vivre en société et à en accepter les régler. Le travail honnête et rémunéré en prison, est entre autres ce qui peut en partie apporter cette réponse.

Le camp pénal est certainement un exemple de prison où l'insertion est une réalité, même si elle ne se mène pas à une grande échelle. En effet, sur un effectif d’un peu plus de 800 personnes, c’est la centaine de prisonniers qui y exerce une activité relative aux métiers exercés avant l’emprisonnement : boulangerie, confection, menuiserie, décoration etc. Seule une poignée de détenus y apprend un métier. Ce qui veut dire qu’il y a encore des progrès à faire, même s’il reste logique d’isoler les prisonniers dangereux. De même la prison de Sébikotane est à vocation agricole. Tout cela pour dire qu’au regard du nombre de prisons recensés, il reste du chemin à faire dans le domaine de la réinsertion par le travail et la formation à des métiers.

Tout ceci veut dire que tous les détenus ne devraient point être logés à  la même enseigne. Un traitement au cas par cas, doit leur être appliqué. Aussi, les sociopathes et psychopathes devraient plutôt recevoir des soins au lieu d’être tout simplement enfermés sans prise en charge appropriée. Les prisonniers dangereux isolés et les prisonniers, cadres, enseignants et autres, utilisés dans la formation de leurs codétenus qui doivent, de manière à leur apprendre à lire et à écrire, utiliser un ordinateur ou exercer certains métiers et développer leur sens civique. Certains devraient pouvoir évoluer dans des métiers à vocation manuelle, tels que l’agriculture, l’artisanat, etc. Voire exercer des travaux d’intérêt général pour lesquels ils peuvent être rémunérés. Les occuper permet de les rendre utiles à eux-mêmes, de ne pas sentir le temps passer, retrouver l’estime de soi et leur permettre d’avoir un métier à la sortie de prison.

Nul doute que les récentes Assises de la Justice permettront de résoudre quelques problèmes en amont, tels que les mandats de dépôt systématiques, le nombre insuffisant de magistrats et de surveillants dans les prisons, d’augmenter les moyens de la justice pour construire de nouvelles prisons dans chaque département que compte le pays, mais aussi de multiplier les peines alternatives, sans oublier les aménagements de peines et les libérations conditionnelles.

Un pays avec des prisons remplis, est certainement le signe d’un Etat qui n’a pas suffisamment rempli sa mission d’éducation de ses citoyens.  Les exemples du Président de la république et du Premier ministre qui ont quitté directement la prison pour atterrir au palais et au petit palais, sont riches d’enseignements et prouvent à souhait que nul n’est à l’abri de la prison. Des honnêtes gens victimes d’erreurs judiciaires ou en conflit avec la loi peuvent tous s’y retrouver un jour ou l’autre. D’où l’intérêt de préserver la dignité des êtres humains. Car dans chaque être humain, il y a du bien qu’on peut réveiller et des mauvais comportements qu’on peut corriger.

L’on doit à la vérité apprendre aux Sénégalais ce qu’est la citoyenneté qui ne peut nullement être une option, mais une obligation. Renforcer l’éducation civique à l’école au bénéfice des plus jeunes, le service civique national et le service militaire qui sont des institutions incontournables pour une société qui veut produire des citoyens respectueux des règles, serait déjà un bon début. Cela peut davantage aider à réduire les actes d’incivisme et les incivilités qui se constatent de plus en plus dans la vie de tous les jours et dans le comportement des Sénégalais, dans les lieux publics et la voie publique.